C’est un homme las, victime d’un énième cambriolage, et pétris d’incompréhension qui s’est présenté à la barre du tribunal judiciaire de Mamoudzou ce mardi 5 avril. Déjà, deux jours avant les faits qui lui sont reprochés (violence avec usage d’une arme), une intrusion dans son domicile lui avait coûté son four et certains jouets de ses enfants. Alors, le 14 janvier 2020, quand il aperçoit dans la nuit une silhouette accroupie dans la lumière du réfrigérateur ouvert ainsi que les deux complices armés de couteaux, il panique. « J’ai voulu leur faire peur ». Il tire. Les versions sur le nombre exact de détonations divergent. Néanmoins, un des cambrioleurs est blessé sans gravité à l’épaule tandis que le second est atteint au niveau de la gorge. Son pronostic vital engagé, l’individu restera sept jours hospitalisé. Initialement indiqué comme étant une carabine à plomb, les experts balistiques vont constater que le projectile retrouvé s’apparente bien plus à un calibre de 22 long rifle. « Ce sont des armes dangereuses soumises à réglementation », s’enquiert d’informer la présidente du tribunal au prévenu, « et ce n’est pas pour rien ».
Les questions à l’encontre du prévenu fusent tant et si bien qu’un assesseur assène en fin de séquence, « ce dossier est révélateur des enjeux de la société à Mayotte et de la tournure que prennent certaines choses, se faire justice soi-même ». Lors de son réquisitoire, le substitut du procureur de la République a reproché au prévenu « une riposte disproportionnée », avant de mettre l’accent sur le fait que « si tout le monde faisait comme vous, on peut tous quitter Mayotte ». Une phrase dont l’écho semble trouver une résonance dans cette citation de Tropique de la violence, « ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu’il suffira d’un rien pour qu’il s’embrase ».
Justiciers armés, à la marge
Toutefois, ces assertions se confirment-elles sur le terrain ? Mayotte serait-elle en train d’assister à l’émergence d’une vague de fond latente sur l’utilisation d’armes à feu pour se faire justice soi-même ?
Certes, l’angoisse semble prédominante qu’il s’agisse des automobilistes, des élèves ou leurs parents, alimentée par les trop nombreux faits de délinquance, à l’instar de ce père de famille qui a voulu se faire justice lui-même avec un pistolet à grenaille.
Il n’y a néanmoins pour l’heure aucune tendance alarmiste qui se dégage. Joint par téléphone, le Commissaire de la police nationale de Mayotte, Sébastien Halm, a indiqué que « concernant la zone police, cela reste assez rare, pas comme en métropole ». « On ne constate pas de phénomène particulier d’utilisation d’armes à feu. On a plus à faire face à des armes factices et des pistolets d’alarme », tient-il à préciser. En ce qui concerne la gendarmerie, le colonel Capelle, commandant de la gendarmerie de Mayotte, indique pour sa part « qu’il n’y a pas d’éléments tangibles pour étayer cette tendance ». Un constat qui pour l’heure se veut rassurant.
Pierre Mouysset