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Henry Masson, président de la Cimade : « Nous pouvons nous respecter en nous appuyant sur nos points communs » avec le collectif

"Le droit, tout le droit et rien que le droit". Paix sociale, lutte contre les bidonvilles, mêmes droits qu'en métropole. Le président de la Cimade trouve des points communs entre ses combats et ceux du Collectif qui bloque les locaux de l'antenne locale de l'association mais avec qui il estime n'avoir "aucune raison d'être désagréable". Sans exclure des suites judiciaires en l'absence d'avancées.

Le JDM : M. Masson, vous êtes en visite rapide à Mayotte, qu’est ce qui vous amène ?

J’aurais aimé rester plus longtemps et passer plus de temps à Mayotte, effectivement on a été obligés de réduire. Pourquoi je viens à Mayotte : j’avais indiqué quand je suis devenu président de la Cimade il y a deux ans que je me rendrai en région, en métropole comme en outre-mer, pour rencontrer les groupes locaux, les appuyer, les conforter et comprendre les problématiques locales. Car les problématiques à Mayotte ne sont pas les mêmes qu’à Limoges ou à Marseille.

Il est tout à fait clair que j’ai dû accélérer ma venue à Mayotte parce que ça fait trois mois que nous ne pouvons pas accéder à nos locaux, et que nos salariés et bénévoles ne peuvent pas travailler dans le calme.

Une audience du TA du 13 décembre a donné lieu à une décision, le juge a décidé que les présentations que nous avons faites en tant que Cimade doivent être rejetées, il y a donc un paradoxe à indiquer que nous serions les parents de cette décision du tribunal administratif. Ce qui ne veut pas dire que nous ne l’approuvons pas. Le tribunal a considéré que nous n’étions pas légitimes à appuyer cette affaire parce qu’il n’y avait pas que des étrangers dans cette opération prévue par arrêté préfectoral mais aussi des Français et des personnes en situation régulière. Ça me permet de dire que nous ne pouvons pas être considérés comme les parents de cette décision du tribunal administratif.

Nous étions accompagnés de plusieurs associations dont Médecins du Monde et la ligue des droits de l’homme, et à la sortie de l’audience, il y avait déjà des invectives contre la Cimade et Médecins du Monde. Nos salariés et quelques bénévoles se retrouvent dans les locaux de la Cimade et là il y a une opération que je qualifierais d’intimidation de manifestants qui font beaucoup de bruits, profèrent des injures et menacent avant d’installer des banderoles qui figurent toujours sur les locaux de la Cimade. Ma première réaction quand j’ai appris ça depuis Paris, ça a été la stupéfaction. Je me suis dit que c’était une réaction qu’on pouvait peut être comprendre mais que je ne comprenais pas. J’ai vu que les choses continuaient. Nous avions des échanges avec le préfet et la directrice de cabinet. A chaque fois que les bénévoles se déplaçaient, ils étaient en quelque sorte menacée, et toujours avec des invectives violences, à tel point qu’une salariée a elle même décidé de porter plainte contre X, de même que nous nous l’avons fait puisque nous ne pouvons pas admettre que ces choses là se fassent. Toute cette période là a donné lieu à des échanges, mais ce n’était pas possible de revenir sur les lieux. Puis le propriétaire a proposé de visiter les locaux pour voir les travaux à faire et nous avons constaté que les serrures avaient été endommagées, de sorte que notre jeu de clé ne nous permet plus d’ouvrir les locaux.

A un moment, les manifestantes s’asseyaient sur les escaliers pour nous empêcher d’accéder au balcon. La police est intervenue à un moment donné, nous avons pu accéder au balcon, nous avons décroché les banderoles, qui nous ont été demandées par la police qui les a remises aux manifestantes et qui sont toujours là, enlevées tous les soirs et remises tous les matins.

Il y a des tensions sur des détails et c’est tout à fait dommage.

Vous avez prévu de rencontrer le Collectif des citoyens ?

Henry Masson insiste sur les « points communs » comme base d’un respect mutuel avec le collectif

Ma première visite en arrivant à Mayotte, ça a été de poser ma valise et d’aller sur place, parce que je voulais voir. J’ai vu des affiches où on nous traite d’escrocs, ou bien où l’on dit que nous faisons du trafic humain. J’appelle ça des propos diffamatoires. Il se trouve qu’au moment où j’arrive, il y a Madame Safina Soula. Bien évidemment je lui dis bonjour. Il est légitime de dire bonjour mais aussi de rappeler que le groupe local a demandé un entretien pour échanger. Quand il n’est plus possible d’avancer il faut bien se mettre autour d’une table pour discuter. Elle a dit « OK, on est prêts à avoir un échange ».

Ce que je souhaite et c’est ce que j’ai confirmé au préfet, c’est que nous ayons un entretien où tout soit mis sur la table, dans un climat serein et respectueux, avec égalité du nombre de personnes, sans médias ni manifestations ni banderoles. Mme Soula a proposé que ça ait lieu à la mairie.

Je souhaite qu’à la sortie de cet entretien nous ayons progressé, dans une connaissance mutuelle. Même si, peut-être, nos idées sont à l’opposé, nous avons des points communs. Nous pouvons en nous appuyant sur nos points communs nous respecter, reprendre le travail que nous avons entamé.  Une démocratie fonctionne mieux quand on arrive à se dire les choses respectueusement.

Je précise que ce n’est pas un travail exclusivement pour les personnes étrangères, qui sont mal reçues par des personnes habitant Mayotte. Quand nous faisons des cours de français, on ne demande pas aux gens s’ils sont ou pas français. Quand nous recevons des familles ou des couples mixtes, si nous réglons le problème d’un étranger, nous facilitons la vie à une personne de Mayotte. Lorsqu’on donne un titre de séjour à quelqu’un en France, il a la possibilité de se déplacer sur le territoire. Quand on le donne à Mayotte il ne peut pas sortir de Mayotte. Ça c’est une chose contre laquelle nous militons, nous souhaitons que les titres de séjour permettent aux ressortissants de voyager, ce qui par définition serait un moyen de diminuer les causes de colère et d’irritation d’un collectif comme celui que nous allons rencontrer.

Vous avez rencontré le préfet pendant près de deux heures, que vous êtes-vous dit ?

A chaque fois que je me déplace je rencontre les directions des étrangers des préfectures, en général c’est le préfet que je rencontre, accompagné de son secrétaire général et de son directeur de cabinet. Le préfet Suquet était avec sa directrice de cabinet, nous avons parlé de ce problème très important qui est le problème des décasages, c’est l’un des points d’achoppement aussi avec le Collectif. Il faut que nous soyons très clairs là dessus.

Nous avons parlé de notre problème majeur qui est la dématérialisation des dossiers, nous avons parlé de certaines concertations que nous menons sur la validité des titres de séjour, des étudiants qui commencent une belle carrière scolaire à Mayotte et qui ont ensuite des difficultés à poursuivre en France, avec là encore des conséquences sur la répartition Parcours sup entre étudiants mahorais et étrangers. Tout peut être sujet d’irritation et ça nous pouvons le comprendre. Mais dans ce genre d’exemple, il me semble et la Cimade l’a toujours défendu, que nous ne sommes pas contres les Mahorais et pour les Comoriens, nous sommes pour aider toutes les personnes dans la défense de leurs droits, historiquement ce sont des personnes étrangères parce qu’elles sont déjà sur le territoire. Ce que Mme Le Pen a dit quand elle est venue à Mayotte… imaginer un instant que nous ferions un appel d’air, ça n’a pas de sens, nous ne les hébergeons pas, nous ne sommes pas une association humanitaire. Des bruits courent comme quoi nous hébergerions des étrangers dans nos locaux. On rêve ! Nous ne les nourrissons pas, nous ne les habillons pas. Nous les suivons sur l’application de la loi française, en essayant d’être attentif sur le fait que quand on a des droits on a aussi des devoirs. C’est une chose qui s’applique aux personnes étrangères comme françaises, on a parfois tendance à l’oublier. Nous les accompagnons dans un meilleur apprentissage du français, car apprendre le français, c’est aussi permettre une meilleur intégration dans la société française. Nous accueillons donc aussi bien sûr des personnes françaises et originaires de Mayotte.

Vous souhaitiez clarifier la position de la Cimade sur les bidonvilles et les décasages

Oser raconter que nous serions pour les bidonville serait totalement absurde. Nous accompagnons en métropole des personnes avec le souci qu’elles puissent trouver un habitat pérenne, nous sommes attentifs à leur scolarisation. Nous souhaitons que tous les bidonvilles disparaissent. Dire, parce que nous avons participé à un contentieux, que l’on voudrait que les bidonvilles perdurent est pratiquement une injure. Là où nous devons expliquer les choses, c’est effectivement que nous souhaitons que ces opérations se fassent dans le plus grand respect des personnes. Mayotte est dans un état de délabrement contre lequel il faut lutter. Il faut supprimer les bidonvilles car ce n’est pas un habitat digne pour des personnes humaines. Mais quand ces personnes ont constitué un réseau au sein du bidonville, il existe une vie collective. La briser brutalement sans avoir prévu tous les relogements pérennes avec la scolarisation des enfants, ça me semble un vrai souci. Nous en avons parlé avec le recteur, pourquoi est ce qu’on n’organise pas ces opérations pendant les grandes vacances ? Pourquoi on ne prévoit pas longtemps en avance des logements pérennes pour que les enfants ne se retrouvent pas éloignés de plusieurs dizaines de kilomètre de l’école ? Pour des enfants qui ont déjà un parcours compliqué, ça faut la peine d’être attentif. D’autant que si ces enfants sont encore maltraités, ils risquent de terminer mal et de mal s’intégrer dans la société. Notre position, c’est donc de participer au bien vivre ensemble. Peut être qu’on est mal compris mais c’est bien ça notre objectif.

Donc vous dîtes que lutter contre les situations indignes et pour le respect du droit, c’est lutter contre la précarité qui génère la délinquance et la violence ?

Tout à fait, et c’est aussi parler de droits et de devoirs. On ne peut pas demander à quelqu’un de respecter certains devoirs si à son égard nous ne respectons pas le droit. Quand nous attaquons un arrêté préfectoral, ce n’est pas pour être désagréable avec le préfet, nous n’avons aucune raison d’être désagréables avec M. Suquet. Si nous attaquons, c’est parce que nous voulons que la loi, toute la loi et rien que la loi soit appliquée. Dans ses conclusions le juge dit qu’on peut faire beaucoup mieux. Si on a plus de respect pour les personnes, ce sera beaucoup mieux. Faire preuve de respect, c’est offrir quelque chose que les personnes puissent accepter. Si on veut que toutes les personnes qui vivent sur un territoire y respectent le droit, il faut le respecter aussi, c’est le rôle noble de l’Etat.

Le préfet a-t-il apporté des garanties sur la récupération de vos locaux ?

Une atmosphère jugée menaçante par les salariés de la Cimade, qui ont basculé en télétravail

Pour nos locaux le préfet a toujours indiqué qu’il considérait que la seule voie c’est celle du constat d’huissier, de la justice et du recours à la force publique pour appliquer une décision de justice. Il a toujours considéré qu’il y aurait plus de trouble à l’ordre public s’il intervenait que s’il n’intervenait pas.

Nous allons donc rencontrer le collectif, j’espère qu’à la fin nous aurons le sentiment d’avoir progressé, si nous devions piétiner, nous prendrions nos responsabilités pour avancer dans une autre voie respectueuse du droit.

Est ce que les activités de la Cimade se poursuivent malgré tout ?

On essaye de poursuivre nos activités avec l’aide d’autres associations, on essaye de poursuivre ce qui concerne la sensibilisation dans les collèges, on essaye de poursuivre tout ce que l’on peut, sans être aussi efficace qu’on le pourrait. Il est difficile de dire aux personnes de venir rencontrer la Cimade alors que notre local était connu et qu’il est maintenant inutilisable et que nous devons en changer. J’espère beaucoup de la réunion de ce jeudi, car si nous n’avons pas la même vision, nous avons aussi des points communs, nous n ‘avons aucune raison d’être désagréables mais pouvoir entrer dans nos locaux, c’est quand même le minimum.

Propos recueillis par Y.D.

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