Inciter les maires de Mayotte à empêcher les mineurs de sortir le soir, c’est ce que le préfet avait entrepris lors de la réunion de crise de la semaine dernière : « J’ai demandé aux maires de prendre des arrêtés de couvre-feu sur la circulation des mineurs, nous déclarait alors Thierry Suquet. Ce sont des mesures exceptionnelles qu’on ne peut pas prendre partout sur l’île mais il faut qu’ils fassent ça, s’ils le souhaitent, et s’il y a des troubles. On les conseille là-dessus, et ça nous permet de véritablement de maintenir la pression ».
Mais cet outil à la disposition des maires est-il véritablement adapté au contexte ? Vraisemblablement, la question divise. A Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila nous annonce qu’il n’en fera pas usage. « Pour le moment nous considérons que mettre le couvre-feu c’est aussi une façon d’inciter ces hordes de jeune à être partout, à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, et c’est difficile à mettre en place partout dans la zone ». Ainsi, le jeune maire explique que la municipalité préfère « mettre des points stratégiques et non se disperser, pour être confrontée avec des jeunes qui viendraient pour jouer » et préfère « se consacrer à des zones stratégiques ». « Ce n’est pas d’actualité, nous allons travailler autrement » conclut le premier édile du chef-lieu.
A Pamandzi en revanche, autre commune sévèrement frappée par les violences de la semaine dernière, la municipalité aborde les choses sous un autre angle. Le maire, Madi Madi Souf, annonce que le couvre-feu sera bien mis en place, et que l’arrêté devrait être pris ce lundi, pour un commencement à partir de mercredi : « Ce sera pour 15 jours dans un premier temps, pour toute la commune » explique-t-il. « On va le faire à partir de 20h pour qu’ils soient rentrés au moins pour 21 heures, on laissera une petite marge d’une heure. Les mineurs n’ont rien à faire à l’extérieur à 20h.
Le maire entend ainsi multiplier les patrouilles de police municipales, dont il nous explique avoir demandé une réquisition à la préfecture, à la suite du mouvement social qui paralyse la mairie depuis la semaine dernière. « Vu ce qu’il se passe actuellement, avec les agressions, on ne peut pas se permettre que la police ne travaille pas. En ce moment, 10 agents sont opérationnels ». Mais le maire souhaiterait atteindre au moins 20 agents : « J’ai un projet de brigade de nuit. Au-delà de 21h, une police spéciale de nuit. Il faudrait qu’ils soient armés, bien formés, travaillant uniquement la nuit, soit en permanence soit en patrouille ».
Quant aux conventions signées le mois dernier avec le parquet, portant sur le rappel à l’ordre et la transaction, permettant de renforcer la justice de proximité en donnant aux maires le moyen d’agir au niveau local, le maire explique qu’elles ne sont pas encore exploitées. : « Il faudrait faire une réunion de sensibilisation, déjà de la population mais aussi des procédures qui concernent le rappel à la loi. Il faudrait voir qui, quels moyens… Il faudrait d’abord une pédagogie avant de les mettre en place.
Au niveau de la population, au niveau de la police municipale, il faudrait voir dans quelles circonstances faire ces rappels à la loi, et communiquer avec la population. C’est toute une démarche à faire en amont ». Pour ce qui est des autres communes de l’île, le président de l’association des maires explique que la mise en place de ce couvre-feu est dépendante de la volonté des maires, en fonction de la situation dans la zone. Il cite pour exemple Bouéni, qui face à la tranquillité actuelle de la situation, ne prendra pas d’arrêté en ce sens.
A Tsingoni, commune régulièrement secouée par les affrontements historiques entre Miréréni et Combani, le DGS Florent Abodala nous confie que l’instauration d’un couvre-feu pour les mineurs n’a pas encore été discutée. « En interne, on n’a pas encore abordé le sujet. Rien n’est certain, cela fait partie des outils à la disposition du maire ». Néanmoins, rien n’indique que la décision sera prise dans ce sens. « L’arrêté de couvre-feu on l’avait déjà pris, mais parfois ce n’est pas très efficace car l’effectif qu’on a ne peut pas couvrir tout le territoire ». Pour le moment, « les élus discutent avec les villageois pour essayer d’apaiser les tensions ».
Trois visions différentes de la gestion de la délinquance donc, liées à chaque territoire et ses particularités, pour un outil controversé, avec la récurrente question des effectifs, souvent insuffisants pour assurer le respect de ce couvre-feu.
Mathieu Janvier