Faute de mise en place à Mayotte du statut d’intermittent du spectacle ou de licence professionnelle, les auteurs-compositeurs ne peuvent vivre de leur art. Même à La Réunion, où le statut existe, certains en sont réduits à ouvrir des pizzerias. C’est dire si la survie est compliquée à Mayotte. D’autant que ces 7 dernières années ont été marquées par un sérieux manque de suivi ici.
C’est ce qu’est venu tenter de réparer Michel Mey, directeur territorial de la SACEM Réunion-Mayotte. Il connaît bien la zone puisque c’est lui qui avait implanté les permanences SACEM en 2008. Nous l’avions alors rencontré, il avait pu fédérer une quarantaine de sociétaires SACEM au moment de passer la main, et de partir à Nice. Ils sont une centaine aujourd’hui. On compte notamment Dell, Lateral, Diho, Mtoro Chamou, Maalesh…
Mais depuis, aucun travail n’a véritablement été mené. Un auteur nous avait interpellé sur le manque de suivi, « depuis 7 ans, il y a un grand vide, nous n’avons plus de contact avec la SACEM ». C’est un peu en sauveur qu’il revient donc, à l’appel de la société, « ils m’ont demandé de reprendre le flambeau, je me suis aperçu qu’il fallait renouer les liens avec les artistes et retisser des partenariats avec les festivals existants. Nous le sommes déjà avec Milatsika, et nous l’envisageons pour Hip hop Evolution, et d’autre ».
Nommé le 1er janvier 2022, il est quasiment aussitôt venu à Mayotte, « l’ingénierie culturelle existe ici, on ne peut pas laisser pour compte ces artistes qui font un super travail. » Michel Mey a rencontré ce mardi le Collectif des arts confondus, qui s’était justement monté pour fédérer musiciens, acteurs, peintres, etc. pour faire entendre leur voix qui avait du mal à porter individuellement à 10.000 km de là.
Une plateforme « SACEM connect »
La période de flottement a été préjudiciable à la professionnalisation des artistes à plus d’un titre. Les aides qui ont été débloquées en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire ne leur ont pas été attribuées : « Sur cette période, la SACEM a créé un fonds de secours pour les sociétaires et les non sociétaires, des milliers de compositeurs en ont bénéficié, mais pas ici. L’information n’a pas circulé. »
Il ne suffit pas de rassembler les artistes, il faut aussi remettre en place la collecte auprès des diffuseurs de musique, et qui permet de redistribuer les fonds. Ceux qui abondent les caisses sont les radios, les boites de nuit, et le secteur café-hôtel-restaurant. Ces derniers vont être accompagnés pour proposer des concerts : « Ils vont recevoir une aide qui pourra aller jusqu’à 3 fois 200 euros, pour proposer des dates. Et nous allons mettre en place la plateforme ‘Sacem connect’ pensée pour mettre en relation les membres SACEM (auteurs, compositeurs) qui se produisent en live et les clients (cafés, associations, salles…) qui organisent des événements en musique. Tous les mercredis après-midi, un interlocuteur répond aux appels des artistes. Ça commence à bien marcher en métropole, nous allons la lancer ici et à La Réunion. »
La question des intermittents du spectacle est plus trapue, ce qui l’incite à proposer d’innover. « Ce statut existe à La Réunion qui compte 2.500 sociétaire SACEM, mais le nombre de lieux n’est pas suffisant pour assurer la survie de ces artistes. Seuls 50 bénéficient du régime d’intermittence du spectacle en réalité. A Mayotte, ce serait pire. Il faut donc élargir le panel des sites où ils peuvent se produire. Et intégrer par exemple les résidences d’artistes ou les établissements scolaires. » Pour cela, il compte proposer au Centre National de la Musique (CNM) qui doit se rendre à La Réunion, de venir également à Mayotte. « Et cette extension, il faut le proposer à l’ensemble des outre-mer qui ont le même problème ».
Pas de licence, pas d’aides
Pas d’intermittent, mais pas non plus de licence d’entrepreneur à Mayotte, « elle existe mais la Direction des Affaires culturelles ne la délivre pas*. Or, elle conditionne l’obtention d’aides du CNM. » Le ministère de la Culture alloue 1 million d’euros pour les projets outre-mer, mais Mayotte en est exclue faute de professionnalisation.
Il est séduit par le collectif des Arts confondus, mené notamment par Cécile Bruckert (école de musique à Mayotte), Sophie Huvet (Hip hop Evolution), ou Dell (Milatsika). « C’est ce véritable engagement dont Mayotte avait besoin, nous pouvons les aider, mais il faut obtenir les avancées dont nous venons de parler. Je me donne un an pour y arriver ». Et il en restera encore 5, puisque Michel Mey le dit, « je reste sur ce poste de directeur territorial Réunion-Mayotte jusqu’à la retraite, dans 6 ans ». Il revient fin avril-début mai pour une nouvelle permanence.
Celle qu’il a mise en place depuis quelques jours à l’école de Musique à Mayotte, rue des 100 Villas, se poursuit ces jeudi et vendredi de 17h à 19h. Il s’agit de « renouer le lien », parfois de le nouer tout simplement, « je ne connais pas les 100 musiciens membres de la SACEM ». A tous, il tient le même langage, « ne visez pas que la métropole. Vous arriverez peut-être à faire une bonne salle sur une soirée, et après ? Il faut viser la région et au-delà, l’Afrique du sud, l’Inde ».
Le Prix musique océan Indien offrait au vainqueur 14 dates en Europe, mais il n’a pas été repris au décès de son initiateur. « Nous allons recréer le prix SACEM océan Indien, en sélectionnant trois artistes, parmi les confirmés mais aussi, parmi les jeunes », se projette-t-il.
Une convergence de planètes qui devrait permettre à Milatsika de se sentir un peu moins seul !
Anne Perzo-Lafond
* La DAC nous informe de l’ouverture de ces licences d’entrepreneur à Mayotte en 2021. Seulement 5 musiciens en ont fait la demande