C’était il y a quelques jours : alors que le Sénat organisait une Agora de l’Education « Refonder l’école de demain », le mathématicien Cédric Villani renouvelait son constat d’un niveau « catastrophique » de mathématiques sur le plan national, 4 ans après la remise de son rapport sur l’enseignement des mathématiques au ministre Jean-Michel Blanquer. Il était motivé par les résultats alarmants obtenus au test PISA de compétences en maths par les élèves français de 15 ans au regard de la moyenne internationale. Mettre « l’accent sur le primaire et le collège », plus encore que le lycée est une des pistes qui avait alors été préconisée, ainsi que la formation des enseignants, notamment des professeurs des écoles.
Un constat national qui vaut encore plus en local où les difficultés sont accrues. C’est pourquoi les 21 mesures préconisées par le rapport Villani-Torossian servent de base à de nombreuses actions. Elles étaient mises en valeur par le recteur Gilles Halbout ce mercredi au lycée du Nord à Acoua, où est implanté un des deux laboratoires de mathématiques de l’île. L’autre est hébergé au lycée de Sada, celui de Kwale ayant essuyé les plâtres.
« Nous menons des actions dans le premier et le second degrés, nous explique Xavier Meyrier, Inspecteur de mathématique, chargé de mettre en place la valorisation de cette matière à l’échelle du territoire. Constatant que les professeurs des écoles sont dans l’ensemble, « peu formés aux mathématiques », des dispositifs dits de « constellation » sont mis en place. Des groupes de 8 enseignants qui bâtissent une séquence à partir d’une thématique particulière. « Par exemple, en cherchant comment introduire la géométrie auprès des élèves, un groupe a choisi la géométrie du quotidien. Ils sont sortis Smartphone en poche, pour prendre des photos de portails, de grilles et autres, pour ensuite, reconnaître des formes et calculer les applications mathématiques. Et ils ont la possibilité de s’observer les uns les autres pour chercher la meilleure méthode. »
Des solutions pour que les filles recollent aux maths
Dans le second degré, les mêmes « constellations » sont mises en place, avec des essais en inter-degré, qui mélangent des professeurs et des instituteurs. Deux établissements ont donc été choisis pour mettre en place un laboratoire de mathématiques. « Les enseignants sont là encore par petits groupes, pour imaginer des scénarios. Par exemple, l’un d’entre eux a mis en place au lycée du Nord, un accompagnement personnalisé des élèves en seconde, un autre les a accompagné sur la création d’un jeu mathématique, et sa diffusion dans les écoles, un troisième a réfléchi sur la place des filles dans les enseignements de spécialité mathématiques et scientifiques ». Un sujet national puisque l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public indiquait qu’avec la réforme du Bac, le taux de lycéennes dans ces spécialités est passé de près de 47,5 % à 39,8 %. L’arbitrage entre un enseignement obligatoire mais subi, et un choix assumé pour les maths est le cœur du débat. Qui peut s’enrichir de l’expérience réussie sur une classe du lycée du Nord, nous rapporte l’inspecteur de maths : « A la suite du débat sur la place des filles dans le monde scientifique faisant notamment intervenir des mathématiciennes, une 1ère de Spé Maths peut s’enorgueillir de compter 14 filles et 5 garçons ».
La voie vers les maths, c’est aussi par le jeu de société qu’on peut la trouver, et ça aussi, c’est expérimenté, « en particulier le mraha wa tso joué à Mayotte, qui se hisse au niveau des échecs ou du jeu de Go ».
L’innumérisme est pris en compte
Des belles actions, mais les bases sont-elles là ? Pour reprendre encore les propos de Cédric Villani, « que faire quand des fractions simples ne sont pas maitrisées ? » Les tables de multiplication, le cauchemar de plusieurs enfants, sont souvent mal intégrées. Et pas seulement, nous repend l’enseignant, qui évoque des « paradoxes » : « J’ai interrogé des jeunes 3ème qui étaient en grande réussite sur la conception de petits programmes sur leur ordinateur, sur un calcul mental d’addition simple dont la somme faisait 10, peu donnaient le bon résultat. Les acquis sont fragiles ou insuffisants à Mayotte, inférieur à la moyenne de l’éducation prioritaire de métropole, et cela fait partie des questions dont s’empare l’enseignant. L’’innumérisme’, ce défaut de maitrise des nombres, est l’équivalent des petits lecteurs-petits scripteurs. Les élèves arrivent en 6ème avec des manques. Nous devons tout travailler en même temps ».
L’objectif est de dégager à partir de ces deux lycées, Acoua et Sada, une logique de dynamique d’enseignement des mathématiques sur tous les établissements.
D’ailleurs, à l’échelle de l’île, sont proposées deux autres actions : un CAPES de mathématique, également en français et en lettre, spécial Mayotte, qui permet de faire monter en compétence des étudiants de L3, notamment du CUFR, qui suivent deux ans de formation pour décrocher à Bac+5 un CAPES. Et la mise en place d’un Institut de recherche et de développement des mathématiques, un IREMIS qui développe des groupes de recherche, et forme les étudiants au CAPES.
Rendez-vous est donné en mars pour la semaine des mathématiques, avec des actions inédites menées par les collégiens.
Anne Perzo-Lafond