« On s’attendait à trouver du glyphosate, mais à ce point, non. » Damien Devault, éco-toxicologue et enseignant chercheur au CUFR s’étonne lui-même des résultats de l’étude menée depuis 2018 auprès de 6848 volontaires de toute la France. Chacun avait, à ses frais, fourni un échantillon d’urine à un laboratoire allemand pour y rechercher des traces de glyphosate. A l’origine de cette démarche, les démêlés judiciaires de faucheurs d’OGM, qui voulaient prouver qu’ils agissaient car ils étaient intoxiqués.
Sans appel, le résultat des analyses conclut que 99,8% des échantillons contiennent du glyphosate à des taux quantifiables.
Si la collecte de données à l’origine une initiative militante et populaire, il fallait encore traiter ces données de manière scientifique.
« Ils ont créé un corpus de données et ont eu envie de le valoriser », relate Damien Devault. « Ils ont contacté des chercheurs qui travaillaient sur cette thématique, moi je représentais la France au niveau de l’UE sur la traçabilité des produits chimiques dans les eaux usées. Ils m’ont demandé si j’étais intéressé, j’ai dit oui ».
Depuis son laboratoire du CUFR où il travaille depuis 2019, le chercheur a décortiqué les informations relevées de 2018 à 2020, par âge, profession, région, et même saison et vérifié la fiabilité des données fournies. Deux ans après la fin de cette étude, un article a pu être publié dans la revue spécialisée Environmental Science and Pollution Research (en anglais).
Les principales constatations sont que les hommes sont plus touchés que les femmes, et en particulier les agriculteurs, parmi lesquels en premier chef, les viticulteurs. Les enfants sont particulièrement touchés aussi, sans doute à cause des céréales consommées le matin. Le glyphosate, « on le retrouve plus abondamment aussi chez les gens qui boivent de la bière » souligne le chercheur, qui indique que lors d’une autre étude menée en Allemagne, sur 14 bières analysées, 6 marques en contenaient.
A l’inverse, les gens qui consomment presque exclusivement du bio présentent moins de glyphosate dans les urines que les autres. « Les gens qui consomment 85% de bio ou plus ont une concentration significativement inférieure aux autres ».
L’étude ayant été menée sur deux années consécutive, elle permet aussi de conclure que « les concentrations sont les plus fortes pendant les périodes d’épandage » poursuit le chercheur.
Peu de glyphosate à Mayotte mais…
Si des Réunionnais ont participé, il aurait été intéressant que ce soit aussi le cas de Mahorais, souligne en substance le scientifique. En effet, « si le glyphosate arrive dans les assiettes c’est par l’alimentation, notamment les céréales, d’où la contamination des enfants, qui mangent des céréales ». Dès lors, une étude similaire à Mayotte apporterait des clés de compréhension sur l’alimentation sur l’île, fortement dépendante des importations et donc, de pratiques agricoles extérieures. L’article indique notamment que plus de la moitié des échantillons alimentaires analysés en France contenaient du glyphosate, et ce taux montre à plus de 87% pour les céréales de petit déjeuner, et jusqu’à 100% selon une étude de l’ANSES de 2016.
« A Mayotte, la DAAF anime une dynamique de zéro glyphosate, il y en a donc peu à Mayotte » rappelle le chercheur. Du coup, « réaliser des analyse d’urine ici permettrait de la relier à l’alimentation importée, comme les conserves et surgelés ».
Une telle étude pourrait même aller plus loin, en s’intéressant à d’autres pesticides, qui sont, eux, utilisés ici, comme le diméthoate qui empoisonne certains légumes vendus en bord de route. « 80% de la production agricole à Mayotte est issue du marché noir illégal selon la DAAF » indique le spécialiste. Avec une telle production qui échappe aux contrôles sanitaires et aux statistiques agricoles officielles, c’est tout un enjeu de santé publique qui pourrait s’ouvrir. A condition que la population et les pouvoirs publics s’en emparent. En métropole, les premières alertes sur les pesticides remontent aux années 1970. L’étude évoquée ci-dessus « aurait pu être faite il y a 40 ans, mais les pouvoirs publics ne s’en sont pas emparés. Il a fallu un collectif citoyen pour le faire » analyse le spécialiste des pesticides.
Alors… Bientôt un Collectif de Défense des Intoxiqués de Mayotte ?
Y.D.