Il y a quelques mois, on n’aurait pas parié un kopeck sur le retoquage du projet de loi Mayotte tant la participation aux ateliers menés par le préfet Colombet à la demande du ministre des Outre-mer était dense. Que s’est-il donc passé ?
Desservie par de nombreux discours populistes, la séance plénière du conseil départemental de ce jeudi n’apportait que peu d’éclaircissements sur les raisons réelles du veto collégial sur le projet de loi, « en l’état ». S’agissait-il de se ranger derrière la vox populi qui avait condamné le texte ? « La société civile permet de prendre la température du territoire », justifiait ainsi le conseiller Abdoul Kamardine. L’opposition menée par Hélène Pollozec ne l’entendait pas de cette oreille : « Il faut dépassionner le débat. Nous sommes tous d’accord pour émettre un avis défavorable, mais il faut argumenter, sinon à Paris, ils vont comprendre qu’on s’oppose pour dire de s’opposer. Nous n’avons pas assez travaillé, il fallait se saisir en amont d’un cabinet de juristes en sachant qu’on allait être sollicités pour avis. L’opportunité d’avoir une loi pour Mayotte est rare, il ne faut pas sen priver, et la passion autour de ce texte ne permet pas de prendre le temps d’échanger ».
Le « temps ». C’est aussi ce qui a manqué selon le président Ben Issa, qui expliquait avoir été saisi en urgence par le préfet le 17 décembre dernier, « j’ai été obligé de décaler mes vacances », et qui a du convoquer tout ce que la planète Mayotte comporte d’élus et de collectifs pour concerter à tout va avant d’émettre un avis, le gouvernement ayant l’intention de présenter le texte en conseil des ministres ce mois de janvier 2022.
« Le texte va dans le bon sens »
Comme antidote aux interventions passionnées, et souvent irraisonnées, la lecture de l’avis du Conseil économique social et environnemental (CESEM) en séance aurait été bénéfique. S’il se conclut sur un sentiment mitigé, « ce projet de loi comporte plusieurs points qui sont soit perfectibles, soit discutables », aboutissant sur un avis « très réservé » du CESEM, on y retrouve une argumentation qui reflète l’intervention du député et conseiller départemental Mansour Kamardine. Si ce dernier, en visio depuis Paris pour cause de 2ème Covid, indiquait ne pas délivrer d’avis favorable, il jugeait que le texte « va dans le bon sens » bien qu’il ne soit « pas à la hauteur des attentes ».
Les principaux discours, le sien, celui du président Ben Issa ou celui de l’opposition, décrivaient un contexte de déficit de concertation du gouvernement, « ce qui a faussé la définition des priorités ». En voulant arriver à point, le gouvernement s’est mis à courir trop vite, loupant son objectif.
Rappelons que le projet de loi comporte 4 parties : la lutte contre l’immigration clandestine et l’insécurité, le renforcement des droits sociaux, le développement accéléré du territoire, et la jeunesse et l’insertion. Le CESEM argumente. (Consulter l’Avis du Césem sur le projet de loi relatif au développement accéléré de Mayotte – VD)
L’Assemblée de Mayotte reste à dessiner
Par exemple sur l’Etablissement public de délégation de maitrise d’ouvrage, pensé sur 10 ans pour réaliser les infrastructures et les équipements qui font défaut au territoire. « Au lieu d’accompagner les collectivités territoriales locales dans leurs projets, l’établissement public envisagé tendrait à ‘faire à leur place’, voire ‘à faire isolément’ », critique-t-il en préconisant plutôt une structure « hautement qualifiée dans l’aménagement du territoire, assurant des missions de conseil et d’étude, ayant une vocation de coordination des politiques de développement ».
En matière de droits sociaux, et en attente de l’alignement, « la proposition transitoire devrait être la création d’un Fonds d’action sanitaire obligatoire et sociale pour Mayotte permettant de transformer l’équivalent des montants individuels non servis à ce jour en prestations collectives ».
Si la création d’un Grand port maritime d’Etat « fait consensus », des interrogations portent sur les mesures dérogatoires d’expropriation prises pour la piste longue, le CESEM leur préfère « le parachèvement du cadastre ».
Le second projet de loi, touchant à l’évolution institutionnelle a aussi été passé à la loupe, puisqu’il va bien falloir intégrer la dimension régionale. L’organe du département-région s’appellera « Assemblée de Mayotte ». Mais le CESEM déplore que les missions départementales et régionales du Département-Région de Mayotte ne soient pas clarifiées, « comme en Corse ou en Martinique et en Guyane », qui sont passées, rappelons-le, par le double statut conseil départemental-conseil régional auparavant. Ça aide. Il est demandé la création d’un Congrès des élus, « à l’instar du modèle de la Guyane et de la Martinique ».
Autre critique, l’absence de la question des finances de la collectivité dans ce projet de loi.
85 propositions, la veille de la plénière
La veille de la plénière, sur la boite mail du président Ousseni tombait un document évoquant 85 propositions pour développer Mayotte, « ça vient du gouvernement », déclarait-il laconiquement pour n’avoir « pas eu le temps de le lire » en raison des consultations tous azimuts menées ce mercredi. Une sorte d’annexe explicative qui détaille les avancées à attendre dans et hors projet de loi, pour chacune des 4 parties, et sur l’évolution législative. Certaines sont déjà adoptées, d’autres à appliquer.
A l’issue de la plénière, le conseil départemental émettait donc un avis défavorable, adopté à l’unanimité, mais « réitère sa volonté de déboucher sur une loi programme sur le plan économique, social, et sanitaire ».
Deux choix se présentent au gouvernement, qui débouchent peu ou prou sur le même résultat. La poursuite du cheminement législatif du texte après son passage au conseil des ministres, dont on sait déjà qu’il ne sera pas voté sous cet exécutif, mais après les présidentielles et législatives. Ou, à la faveur de ce désaveu cinglant, sa suspension pour réécriture après concertation sur les propositions locales dont certaines sont porteuses. Réponse dans quelques jours.
En tout cas, comme le demandait le CESEM en mai 2021, le gouvernement a listé -tardivement là encore- ses 85 propositions en fonction de la nécessité de les intégrer ou non au projet de loi. Et une majorité n’en dépend pas.
Anne Perzo-Lafond