Appuyant un parent, le GISTI (groupe d’information et de soutien des immigré-e-s), la LDH (ligue des droits de l’homme) et la FASTI (fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), ont intenté une action en justice contre la commune de Tsingoni, pour obliger son maire ainsi que le recteur, sous astreinte, de scolariser leur enfant, ainsi que 10 autres, âgés de 3 à 5 ans, en école maternelle.
A la commune, il est reproché d’avoir exigé de la part des parents des pièces jugées « illégales », « par exemple un acte d’état civil étranger légalisé », un exemple pour les associations de « la pratique administrative locale consistant à exiger pour l’inscription des pièces non prévues par les dispositions législatives et réglementaires applicables ». Surtout que la présomption de discrimination se mue en certitude pour le juge puisque toutes le familles concernées sont d’origine étrangère, et que la mairie de Tsingoni n’était pas présente en défense, ni représentée par un avocat, pour apporter d’éventuels éléments arguant « d’une sélection faite sur des éléments objectifs ». Le juge rappelle que « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans ». Au recteur, il était reproché de « ne disposer d’aucun élément sur la situation concrète des enfants concernés », et d’évoquer les difficultés de scolarisation sur le territoire et la mise en place de classes itinérantes pour y pallier, sans pouvoir démontrer que « cette modalité de scolarisation, ou de palliatif à la scolarisation, aurait été proposée aux familles en cause ».
En conclusion ce 28 octobre 2021, le juge des référés Marc-Antoine Aebischer, ordonne au maire de Tsingoni et au recteur de Mayotte, d’inscrire les 11 enfants concernés dans une école maternelle de la commune, dans un délai de 5 jours.
Pire que le métro aux heures de pointe
Replaçons cette décision dans le contexte de Mayotte. En novembre 2020, le recteur Gilles Halbout confiait dans nos colonnes qu’environ 8.000 enfants n’étaient pas scolarisés sur l’île, un fait qui l’incitait à appuyer la création de « classes itinérantes » accompagnées par le CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés). D’autre part, les 10.000 naissances par an, sont supérieures aux départs des diplômés de fin d’études, et il manque toujours au moins 800 salles de classe. Une situation difficile qui est devenue très compliquée lors de l’application de l’obligation nationale de scolariser les enfants de 3 ans. C’est pourquoi le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait mis en garde, rappelé dans l’hebdomadaire le Point : « Pour arriver à ce que tous les enfants de Mayotte et Guyane aillent à la maternelle dès trois ans, c’est un peu sur deux ou trois rentrées qu’on va y arriver pleinement ». En 2019, le syndicat SNUipp-FSU, jugeait que « la promesse de scolariser les enfants de 3 ans n’est pas prête d’être tenue à Mayotte. Les 800 classes annoncées par le chef de l’État ne suffiront même pas à accueillir l’ensemble des enfants d’âge primaire ». Une image nous vient, celle des pousseurs pour entasser les voyageurs du métro japonais aux heures de pointe.
Nous avons joint la mairie de Tsingoni et le recteur de Mayotte, pour recueillir leurs réactions. Sur leur absence en défense lors du procès, notamment sur l’origine étrangère des parents, le DGS Florent Abodala reste flou, mais garantit que l’inscription a bien eu lieu depuis : « Nous sommes surchargés, il n’y a plus de places, ce qui nous a obligé à créer 3 classes itinérantes, à Miréréni, Combani et Tsingoni, en aménageant la MJC, dans lesquelles nous avons intégré les 11 enfants. Mais ce jugement présente un gros risque, celui que cela devienne un marché, et que les parents qui viennent d’arriver à Mayotte obtiennent la garantie d’une inscription dorénavant ».
Une discrimination n’est pas acceptable, dans un sens comme dans l’autre. Que les nouveaux arrivants aient plus de garanties que les familles habitants l’île, en serait une.
« Cela va déstabiliser notre organisation »
Sur cette longueur d’onde, Gilles Halbout met en garde sur les effets d’un militantisme mal orienté, non sans avoir au-préalable replacé la décision dans le contexte.
« Nous ne nous sommes jamais engagés à scolariser tous les enfants dès 3 ans, j’ai toujours été sincère. Il y a un an, j’avais expliqué que nous commencerions par viser les 100% pour Grande section. Nous sommes actuellement sur la bonne voie et au-delà de nos objectifs puisqu’ils sont 90% à être scolarisés, et 85% de Moyenne section. Pour les petites sections, nous le faisons partout où l’on peut, mais le ministre lui-même a indiqué que ce serait plus compliqué en Guyane et à Mayotte. »
Parmi les 11 enfants, 3 relèvent de la Grande section, « si nous avions eu l’information de la demande des parents, nous les aurions pris. Mais pour les petits, dont un avait 2 ans au moment de la rentrée scolaire, nous faisons en fonction de la place disponible. Et je rappelle qu’en métropole, il est fréquent que des 3 ans ne soient pas scolarisés, parce qu’ils ne sont pas prêts à aller à l’école. On parle là de tout petit. Ici, plusieurs familles sont d’ailleurs d’accord pour les mettre que quelques jours par semaine à l’école, il n’y a rien de scandaleux. Je regrette une forme d’activisme déconnecté de la réalité du terrain. Car cela risque de déréguler ce que nous avons mis en place. Nous nous engageons sur la scolarisation des grands et peu à peu, nous mettons les moyens sur les plus jeunes. Mais si on nous oblige à faire autrement, cela va déstabiliser l’organisation. Il faut que ce message soit compris par ceux qui nous jugent. Ces gens feraient mieux de s’engager sur l’accompagnement aux communes à construire des écoles, c’est de ça dont nous avons besoin. »
Sans connaissance des demandes d’inscription des 3 grandes sections, le recteur explique qu’il était difficile de les satisfaire, « pour toutes ces raisons, je réserve ma décision d’interjeter appel de cette décision de justice ».
D’autant qu’un autre jugement du 25 octobre 2021, signé par un autre juge des référés du tribunal administratif, Jean-Philippe Seval, va dans le sens opposé. Appuyés par les mêmes associations, des parents qui déposaient plainte pour que leur enfant soit scolarisé, toujours à Tsingoni, ont été déboutés. Le tribunal se base sur l’absence de refus écrit formulé par la mairie, « les requérantes ne peuvent à la date de la présente ordonnance se prévaloir d’aucune décision implicite de rejet ». Pour le recteur, « c’est bien la preuve que lorsqu’on n’est pas informé, on ne peut pas réagir. » Et appelle au dialogue : « Avant de se lancer dans une procédure pour scolariser, il faut nous solliciter, car, à chaque fois, nous avons trouvé des solutions adaptées. »
Anne Perzo-Lafond