Les affaires de passeurs s’enchaînent et se ressemblent au tribunal de Mamoudzou. Des barques chargées à bloc de passagers et de marchandises, ou des kwassas VIP à plusieurs milliers d’euros pour trois ou quatre passagers, qui tentent de fuir les forces de l’ordre au mépris de la sécurité des occupants, occupent chaque semaine les équipages surveillant les frontières maritimes. Mais celle-ci ne ressemble à aucune autre. On est le 24 décembre 2020, soir de réveillon, quand un radar repère une barque au large. La gendarmerie lance un intercepteur à ses trousses et là, surprise, le pilote coupe le moteur et accueille les militaires à bord. Les gendarmes y trouvent un unique passager, paralysé des deux jambes et d’un bras, et le conduisent rapidement au CHM.
Dans la poche du pilote, la somme de 967€ pose question. Le parquet rejette l’option habituelle d’une comparution immédiate au profit d’une enquête plus poussée. Contrairement à nombre de passeurs, le jeune pilote habite à Mayotte, dispose d’un titre de séjour périmé, mais renouvelé cinq jours plus tard, son profil tranche avec celui des trafiquants d’êtres humains habituels.
« Ce monsieur, c’est lui qui m’a élevé, il n’avait pas d’espoir de guérison, j’ai mis ma vie en péril car pour moi, c’est mon père » explique celui qui n’en « pouvait plus » d’entendre l’état de santé du vieil homme se dégrader à chaque conversation téléphonique. Il l’assure, l’argent, c’était pour payer des soins à Anjouan. Mais en voyant l’état de paralysie du vieil homme, il a finalement décidé de revenir avec lui pour l’amener au CHM.
« Pour moi c’est une fiction totale » a balayé le procureur. « J’ai une autre explication ; il y a des kwassas VIP, une seule personne paye très cher son voyage, et ça explique la somme retrouvée sur lui » poursuivait-il, requérant 6 mois de prison avec sursis et une interdiction du territoire français de 3 ans.
Kwassa VIP ou immunité humanitaire ?
« Nous avons deux sons de cloche dans ce dossier » a constaté l’avocat de la défense, Me Ekeu. « Il y a une traçabilité pour cette somme, il l’avait sortie du gabier. Le dossier précise qu’il a coupé immédiatement le moteur, ce qu’on voit souvent c’est que les pilotes mettent les gaz et qu’il y a une poursuite, ce n’est pas ce qui s’est passé ici. On parle de barque VIP, ce monsieur est parti de Mayotte à 5h du matin, quand il revient des Comores il aurait pu y embarquer une ou deux personnes de plus, il ne revient qu’avec son papa. On voit qu’il a une carte de séjour épuisée depuis 5 jours, qu’elle va être renouvelée. S’il y avait l’ombre d’un soupçon dans ce dossier, on ne lui aurait pas renouvelé sa carte » plaidait alors l’avocat pour qui « la contrainte morale l’emportait sur la loi ».
« Je ne recommencerai pas, je l’ai fait parce que je n’avais pas le choix” a juré le prévenu à l’issue du procès. A l’issue d’une délibération rapide, le tribunal l’a finalement reconnu coupable d’aide à l’entrée d’étranger sans titre, mais l’a dispensé de peine, « considérant les conditions de l’infraction et qu’en l’absence d’audition du passager, la preuve que vos explications seraient fausses n’est pas rapportée ».
Une décision qui rime avec indécision. En effet, une relaxe aurait même pu être prononcée, puisque le Ceseda (le code de l’entrée et du séjour des étrangers et demandeurs d’asile) prévoit qu’on ne peut poursuivre pénalement « toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ».
Y.D.