C’est un gros dossier pour Mayotte, avec une trentaine de prévenus que l’on peut classer en deux catégories : les auteurs de délits de favoritisme, corruption ou pantouflage, représentés par une partie de l’ancienne équipe dirigeante de la mandature Moussa Mohamadi Bavi, de 2014 à 2018, et les bénéficiaires, des personnes physiques et morales, dont deux avaient déjà été condamnés en juin 2024 pour recel de favoritisme.
Un 3ème jugement s’est tenu ce mardi 11 février 2025, également pour recel de favoritisme, visant un chef d’entreprise mahorais et deux de ses sociétés. Comme les deux précédents, il s’agit d’une Comparution sur reconnaissance préalable de Culpabilité (CRPC), un « plaider-coupable ».
Si nous avons constamment dénoncé la gestion de ce qui était encore le Syndicat Intercommunal d’Eaux et d’Assainissement de Mayotte (Sieam) par « Bavi », c’est un signalement adressé par le parquet de Mamoudzou et par la Chambre régionale des Comptes sur la gestion du syndicat de 2014 à 2018, qui permet au Parquet national Financier (PNF) de lancer une procédure. Elle va mettre en évidence un manque de respect des règles de la commande publique, notamment un fractionnement des marchés, communément appelé saucissonnage. Au-delà du seuil de 90.000 euros hors-taxe, il y avait obligation de publicité et de passation de marché public, or, les marchés passés n’excèdent jamais ce montant.
« Bavi » avait été placé en garde à vue sur les accusations de favoritisme et de détournement de fonds publics. A l’issue de l’enquête, les premiers dossiers ont été jugés, seulement les CRPC, dont un 3ème ce mardi.
Le LEMA victime des agissements du Sieam sous Bavi
![SMEAM, SIEAM, Mayotte, Parquet national financier](https://lejournaldemayotte.yt/wp-content/uploads/2022/11/Bavi-Bareigts-300x245.jpg)
Même procédé. H.C.A. reconnaissait avoir bénéficié de marchés fractionnés pour ses sociétés M2D et MBMC, entre 2016 et 2018, pour un total de plus d’un million d’euros, sur des travaux de débroussaillage de réservoirs pour le compte du Sieam.
Le prévenu et le PNF se sont accordés sur les peines homologuées par le Tribunal. Il a été condamné à 1 an d’emprisonnement avec sursis, 15.000 euros d’amende, 3 ans avec sursis d’exclusion des marchés publics et 3 ans de privation des droits civiques, civils et de famille. Sa 1ère société M2D – Mahoraise de développement durable, a été condamnée à 75.000 euros d’amende et 3 ans avec sursis d’exclusion des marchés publics, et la seconde, MBMC – Mahoraise des bois et matériaux de construction, à 30.000 euros d’amende et 3 ans avec sursis d’exclusion des marchés publics.
Position paradoxale, le syndicat Les Eaux de Mayotte (LEMA), se positionne comme victime des agissements de la précédente équipe du Sieam, avait déjà obtenu un euro symbolique de dommages et intérêts. On peut même dire en forçant un peu le trait, que le LEMA défend aussi les souffrances d’une population mahoraise sous l’emprise de coupures d’eau à l’année pour une mauvaise gestion et un défaut d’investissements suffisants dans les capacités de production et de stockage de l’eau.
Nous avons contacté l’avocat du LEMA, Me Benoît Durieux, qui explique que les plus grosses peines au civil sont à venir : « Nous sommes satisfaits de la condamnation pénale qui acte que les règles de la commande publique n’ont pas été respectées, mais aussi de la condamnation sur intérêt civil. Car il consacre le syndicat LEMA dans son statut de victime des agissements de l’ancienne équipe. » Si la demande de dédommagements ne porte que sur un euro symbolique et le remboursement des frais de justice, c’est pour une bonne raison : « Nous ne voulons pas accabler les entrepreneurs mahorais, nous nous concentrons sur la peine demandée aux anciens décideurs. »
Le gros procès des membres de l’ancienne équipe dirigeante du Sieam et de près de trente chefs d’entreprise, doit se tenir en mai sur plusieurs jours, mais pourrait être reporté en raison du cataclysme ayant frappé Mayotte en décembre.
Anne Perzo-Lafond