Officiellement, le bilan victimaire établi par la préfecture de Mayotte fait état de quarante morts officiels, déclarés par les services du Centre hospitalier de Mayotte et de quarante-et-un disparus, pouvant avoir un lien de causalité avec le cyclone. « Le bilan est de 81 victimes, dont 40 décédées certaines car déclarées à l’hôpital et 41 personnes disparues ou enterrées », a réagi le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, dans nos colonnes. Deux mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, estimer le nombre de victimes est toujours une quête sensible.
Quelques heures après le passage de Chido, un infirmier du service des urgences de l’hôpital Martial Henry nous confiait avoir rencontré plusieurs familles, qui s’étaient présentées à l’hôpital pour demander l’établissement de certificats de décès pour leurs défunts. Faute de temps face à un afflux de blessés, de nombreuses familles étaient reparties sans certificat de décès. Depuis, à l’heure où le territoire s’engage dans sa reconstruction, les habitants gardent en tête le souvenir de leurs disparus, ceux qui ont été reconnus et ceux qui ont péri dans le secret.
« On dit tout et son contraire »
![Mayotte, sénateur, Saïd Omar Oili,](https://lejournaldemayotte.yt/wp-content/uploads/2025/01/Capture-decran-2025-01-08-a-13.49.46-300x233.jpg)
Quelques jours après le passage du cyclone, les autorités évoquent d’abord « plusieurs centaines » voire « quelques milliers » de morts. Les bruits d’une vie autrefois très remplie, étouffés par les débris, et le paysage apocalyptique des bidonvilles ravagés, laissent en effet le craindre. Le 23 décembre 2024, le Premier ministre, François Bayrou, évoque finalement des « dizaines » de victimes et non « pas des milliers« . Le 8 janvier 2025, le sénateur RDPI (Renaissance) Saïd Omar Oili demande l’ouverture d’une commission d’enquête sur la gestion de la crise, n’ayant pas eu de réponse à plusieurs de ses demandes, notamment à un courrier adressé au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et au ministre des Outre-mer, Manuel Valls, pour connaître le bilan des victimes de la catastrophe naturelle. « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponse. On n’a pas cherché (ndlr : les disparus). Je suis élu local depuis vingt-cinq ans. Il y a des gens, quand on va dans les quartiers, je ne les vois pas. Ils sont où ? Je n’accuse personne mais (…) il n’y a pas de transparence, on dit tout et son contraire« , soutenait le sénateur.
Les recherches de corps ont démarré dès la levée de l’alerte violette
Pourtant, ce samedi 14 décembre, après le passage du cyclone, le préfet du département lève l’alerte violette à 13h, heure locale, pour permettre aux secours d’intervenir. Des agents de la Gendarmerie Nationale, de la Police Nationale, du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Mayotte (SDIS), et du Régiment du service militaire adapté de Mayotte (RSMA), sillonnent les axes de Petite-Terre et de Grande-Terre à la rencontre le la population. D’après la préfecture de Mayotte, la première intervention des pompiers a eu lieu vers 15h, dans un contexte « particulièrement dégradé« , où « les axes de circulation étaient inaccessibles » et « les bases vie et de communication fortement impactées » par le passage du cyclone. Quarante-huit heures plus tard, une mission d’expertise dédiée à la recherche des victimes, impliquant des forces de l’ordre et des forces de secours, pilotée par Clémence Lecoeur, sous-préfète en renfort sur le territoire, se déploie sur le terrain. « Cette mission avait pour objectif de porter secours aux personnes blessées et d’échanger au sujet des décès qui seraient survenus, en recueillant des témoignages auprès des maires, des associations, des cadis. On a dit à la sous-préfète que des personnes avaient disparu et il y a eu plusieurs témoignages concordants sur ces disparitions mais sans avoir de corps« , relate le préfet du 101ème département français.
« On n’a pas une fiabilité à 100% »
![Mayotte, tombes, Koungou, Chido](https://lejournaldemayotte.yt/wp-content/uploads/2025/01/IMG_8491-300x174.jpg)
Les jours suivant le cyclone, dans un décor saccagé où règne un silence de mort, en proie à de fortes pluies, sans eau, sans électricité et sans réseau, les autorités et la population prennent conscience qu’un nombre important de personnes a pu être enterré dans l’ombre pour respecter l’inhumation des défunts selon les principes de l’Islam où le corps doit être enterré dans les 24 heures suivant la mort. « Le bilan victimaire est tripartite : d’abord, il y a des décès constatés par l’hôpital, ensuite, nous avons constaté sur le terrain des tombes fraîches assez proches de l’événement mais sans autopsie, et des disparus dont on ne sait pas ce qu’ils sont devenus », explique François-Xavier Bieuville. « Pour les victimes enterrées et les disparus, on suppose que le décès est lié à l’événement mais on n’a pas une fiabilité à 100%, c’est cela la difficulté. On a pris le parti de dire qu’on avait des tombes fraîches très consécutives à l’événement, donc que nous pouvions considérer qu’il y avait un lien de causalité entre ces tombes et le cyclone, mais avec la réserve que c’est pas forcément le cas », nuance le représentant de l’Etat. « Si nous avons d’autres victimes ou que des personnes disparues réapparaissent, on aura forcément un bilan réajusté, c’est en cela, qu’il est objectif mais non définitif. »
Mais alors que la préfecture estime travailler à la production de données objectives, certaines figures politiques dénoncent un manque de transparence des services de l’Etat à ce sujet. « Tout le monde sait que le bilan est plus important, c’est l’éléphant au milieu de la pièce », soutient l’ancienne directrice de l’Agence régionale de santé de l’archipel, Dominique Voynet. Dans un amendement à la loi d’urgence pour Mayotte, la députée écologiste fait ainsi passer un amendement pour réclamer au gouvernement un bilan exhaustif de la catastrophe dans un délai d’un mois. « La réparation, cela passe aussi par le fait de dire la vérité aux gens », ajoute-t-elle. Jeudi 6 février 2025, lors de l’examen de la proposition de loi sur le durcissement du droit du sol à Mayotte, l’ancienne ministre de l’Environnement soutient : « On ne dispose toujours pas d’un bilan humain exhaustif et concret, on ne dispose que d’un maigre projet de loi qui n’a d’urgence que le nom. »
« On n’a pas de disparitions d’enfants »
![Mayotte, cyclone, école, collège, Chiconi, Chido,](https://lejournaldemayotte.yt/wp-content/uploads/2024/12/chiconi-3-300x225.jpg)
Pour les services de l’Etat, la rentrée scolaire constituait un indicateur sensible sur la fluctuation éventuelle du bilan victimaire de Chido. Lundi 27 janvier, alors que les 117.000 élèves du département sont sur le point de reprendre le chemin des cours, après deux faux départs, la population retient son souffle, craignant que des personnes de l’éducation et des élèves, ne manquent à l’appel. Deux semaines plus tard, la préfecture estime que ces inquiétudes sont levées. « Notre crainte c’était de voir des enfants ne pas revenir à la rentrée scolaire. Cela n’a pas été le cas. Tous les enfants qui devaient rentrer sont rentrés et pour ceux qui ne devaient pas rentrer, un contact avait été fait entre les services de l’Éducation nationale et les parents qui avaient choisi de ne pas les faire reprendre l’école. Donc on n’a pas de disparitions d’enfants », commente le préfet de Mayotte.
À la recherche des corps étrangers, la mauvaise posture de l’Etat
Alors qu’un silence assourdissant régnait sur le département après le passage dévastateur du cyclone, faisant craindre de nouvelles victimes de Chido, un professionnel de santé du Centre hospitalier de Mayotte s’exclamait : « Pourquoi ils vont se fatiguer à chercher des gens qu’ils ne veulent plus voir hein ? » Le préfet de Mayotte avait pourtant été formel lors de son passage à Tsingoni, vendredi 20 décembre dernier : « Une vie est une vie. » Bien qu’il ne s’agisse pas d’un bilan définitif, les services de la préfecture estiment avoir fait un travail « sérieux », le « plus objectif et scientifique possible », pour établir un bilan le plus proche possible d’une réalité souvent mal calibrée. « C’est un devoir vis-à-vis des proches, il faut avoir quelque chose de reconnaissant et parce que reconstruire Mayotte sans avoir un bilan victimaire définitif, cela poserait des problèmes et des questions dans la sociologie politique collective. » Difficile, cependant, d’imaginer comment les habitants de l’île ont pu coopérer activement avec les services de l’Etat au sujet de victimes enterrées ou disparues, lorsque certains fuient quotidiennement les contrôles de police. À cela, le Préfet du département estime que « beaucoup de familles, notamment en situation irrégulière, n’ont pas fait état des victimes, pour des raisons que l’on peut entendre » et que les autorités ne seraient « pas capables d’évaluer cela à ce stade. » Le représentant de l’Etat suggère qu’une « expertise plus approfondie, moins pilotée par l’Etat, moins institutionnelle » soit menée « peut-être par des associations, pour essayer d’approcher une réalité qu’on n’a pas totalement captée. » Deux mois après le passage du cyclone, la mission d’expertise dédiée à la recherche des victimes est toujours « présente dans notre esprit mais moins active », mentionne François-Xavier Bieuville. « Si on a un témoignage de quelqu’un qui dirait que quelqu’un a disparu, on devra la réactiver », conclut-il.
Mathilde Hangard