A force de ne pas statuer sur un arrêté que nous avions qualifié de « fantôme » en janvier 2022, il arrive ce qui devait arriver, les tarifs exorbitants qu’il contient amènent les victimes à recourir à la justice.
Pour comprendre ce qui se joue, il faut garder à l’esprit les modalités d’une gestion de la DSP par MCG hyper centralisée dans les mains d’Ida Nel, qui a décidé seule de l’investissement pharaonique dans les grues et RTG sans en référer à son délégant qu’est le Conseil départemental, contrairement à ce que prévoit la loi. S’en est suivie la défiscalisation d’une partie des grues, donc payées avec l’argent du contribuable, mais pourtant amorties sur une courte période, ce qui a créé des charges exorbitantes, imposant à Ida Nel de relever les tarifs dans des proportions inimaginables.
En 2016 déjà, le Conseil départemental par la voix de sa 1ère Vice-présidente chargée des infrastructure, Fatima Souffou, expliquait avoir payé un consultant « parce que nous n’étions pas d’accord avec les prix proposés par le délégataire ». Un indice que ça allait mal se passer… Et les faits lui donnaient raison, le consultant, CATRAM, accusait MCG de « pratiques inacceptables » sur le port.
Achetées 20.750.262 euros, les 3 grues et les 4 RTG devaient être rentabilisées. Pour y arriver, Ida Nel impose un tarif au manutentionnaire SMART de 10.400 euros la journée de 7 heures. Pour comparaison, le tarif de location d’une grue sur le port de Brest est de 188 euros de l’heure, ce qui, rapporté à 7 heures, chiffre à 1.316 euros… On est bien loin des 10.400 euros demandés par MCG.
« Une DSP privatisée par MCG »
Et l’annulation en 2019 par la Cour administrative d’appel de trois ans de tarifs excessifs de MCG n’y fera rien, tel le shérif de Nottingham, la présidente de MCG fait rentrer les sous dans la caisse. D’autant plus qu’un nouvel arrêté tarifaire qui serait daté de 2016 fait son apparition en 2021, comme sorti du chapeau par Ida Nel. Un arrêté « fantôme » puisque ni le Conseil départemental, ni la préfecture, n’en trouvent trace dans leurs archives. Une graphologue mandatée par le conseil départemental y verra un faux.
Et l’achat récemment de trois nouvelles grues rajoutera un besoin supplémentaire de kopeks sur le tapis, leur plan de financement ayant connu des revers.
C’est la conséquence de tout cela qui était mise sur la place publique ce mardi à la barre du tribunal administratif, l’occasion pour les juges et les avocats, de revenir sur cet historique digne d’une saga sur lequel personne – à part la justice ? – ne semble avoir prise.
Croulant sous des redevances d’occupation du domaine public (AOT) prohibitives, deux sociétés ont émis un recours. La société MIM (Maintenance Industrielle Mahoraise) réclame à Ida Nel 503.285 euros de trop payés. Pour son avocat Me Michael Chehab, on a affaire à « une Délégation de Service Public (DSP) privatisée par MCG qui ne rend compte ni aux usagers, ni au Conseil départemental, le compte de résultat de la DSP par exemple, n’est pas connu. » Revenant sur des tarifs qualifiés « d’illégaux », qui pèsent sur l’activité économique, il lâchait un taux d’inflation des tarifs ahurissant : « De 2015 à 2023, on a assisté à une hausse de 3 450% des redevances ! Les entreprises sont d’accord pour une réévaluation, mais dans de justes proportions ». On comprend que ces sociétés répercutent cette charge sur les prix, entretenant l’inflation sur le territoire. Une étude de l’Observatoire des Prix et des revenus serait la bienvenue… Il revenait sur l’arrêté « fantôme », « depuis 2019, les redevances appliquées par MCG sont sans base légale, elle a créé elle-même ces montants ».
Des tarifs appliqués par un faux… « sans usage de faux »
De quoi piquer l’avocat d’Ida Nel au vif, et maître Jorion ironisait sur « seulement deux sociétés qui refusent de payer sur les 15 présentes sur le port ! » Sur l’arrêté « fantôme » des tarifs de 2016, extirpé en 2021, « qui a fait couler beaucoup d’encre, et que MCG a découvert plus tard », il reproche aux dirigeants de l’Union Maritime d’avoir accusé MCG de faux et usage de faux, les services de police ont conclu qu’il n’y avait pas usage de faux, mais que c’est un faux. Or, le Conseil départemental, n’a jamais retiré cet arrêté. » En effet, ils vont avoir du mal à annuler un arrêté qui n’existerait pas ! Sur l’expertise de la graphologue s’orientant vers un faux, l’avocat de MCG y voit une « discipline de foire ».
Au tribunal, celui qui donne un éclairage juridique de nature à orienter la réflexion de la formation de juges, c’est le rapporteur public, dont les décisions sont suivies à 95%. Pas une mouche ne volait donc pendant son avis. Il qualifiait le fameux arrêté d’inexistant juridiquement, « il y a de graves anomalies formelles, ce document ne peut pas être rattaché à une autorité administrative », tranchait-il. En conséquence, il recalculait les tarifs sur la base de l’arrêté de 2012, qui serait le seul valable : « Les tarifs de 2012 n’ont pas cessé d’être appliqués à la MIM, en conséquence, la société a payé 503.285 euros en trop, que MCG doit être condamnée à lui payer. »
Si le jugement rendu dans quelques jours colle à cet avis, on a une petite idée de la démarche que vont engager les 13 autres sociétés du port… D’autre part, s’il y a reconnaissance que seul l’arrêté de 2012 est le bon, il induit qu’il y a bien usage d’un faux en utilisant celui de 2016. L’affaire peut donc faire boule de neige.
Les conclusions ne sont pas les mêmes pour l’autre société à avoir intenté un procès pour une facturation exagérée, Hanuman Industrie de Guito Narayanin. En effet, la redevance n’a pas été payée, cela se résumerait donc à un litige entre deux sociétés privées, hors de compétence du tribunal administratif, estimait le rapporteur public. Me Chehab, qui plaidait également dans ce dossier, soulignait malgré tout que les méthodes utilisées par MCG « avec menaces » pour obliger les sociétés à signer les conventions de redevance, « Hanuman est obligée de provisionner des sommes importantes, comme une épée de Damocès sur sa tête ». En concluant, « la décision que vous livrerez pour MIM sera un vrai éclairage dans ce dossier. »
Délibéré le 24 septembre 2024.
Anne Perzo-Lafond