« C’est une affaire qui aurait dû normalement être jugée à la cour d’assises », a glissé Stéphanie Pradelle, la procureure-adjointe, lors de son réquisitoire. Il est en effet assez surprenant que le juge d’instruction ait décidé de requalifier ces 3 viols à répétition sur une période de 2 ans en « agressions sexuelles sur mineures de moins de 15 ans ». Etait-ce pour une question de rapidité de traitement du dossier ? « Je ne suis pas dans la tête du juge d’instruction pour pouvoir vous répondre », a coupé court la procureure-adjointe lorsque nous lui avons posé la question lors d’une suspension d’audience. Il n’en reste pas moins que c’est au tribunal judiciaire qu’a été jugé D., un homme de 31 ans, soupçonné d’avoir violé les 3 filles de la tante qui l’avait recueilli à Mayotte à la mort de sa mère aux Comores. Croyant faire une bonne action, jamais madame O. n’aurait imaginé que cet acte de bienveillance aurait un tel impact négatif sur la vie de ses 3 filles.
C’est en apprenant le viol de sa petite sœur par son beau-père que la jeune N., âgée de 14 ans à l’époque, a décidé de révéler à sa famille les viols à répétition subis à la fois par son beau-père et par son cousin. Se croyant la seule victime, la jeune fille s’était réfugiée dans le silence, mais le fait de savoir que ses deux petites sœurs avaient subi les mêmes sévices lui a donné le courage de parler, malgré les menaces à son encontre proférées par son cousin. Se sachant coupable, le beau-père a fui aux Comores pour échapper à la justice. Le cousin, le fameux D., croyait sans doute que la stratégie du déni lui éviterait toute condamnation malgré ses « demi-aveux » en garde à vue : « C’est possible, ça a pu arriver, mais je ne m’en souviens pas », avait-il reconnu devant les gendarmes. Devant les experts psychiatres et psychologues, il a prétendu « parfois perdre la raison » et « dire ou faire des choses dont il ne se souvient pas ensuite ». Pour lui, c’est parce qu’on « lui a jeté un mauvais sort ». Toutefois, devant les juges, il a préféré tout nier en bloc.
L’expertise médico-légale tend à confirmer les faits
Les faits se sont déroulés de 2016 à 2018 et la plainte n’a été déposée qu’en 2022. Un délai fréquent dans ce genre d’affaires dans lesquelles les victimes ont du mal à parler, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adolescents. Ceci a toutefois rendu les viols difficiles à prouver par voie médicale, mais l’expertise médico-légale a toutefois révélé que les deux aînées avaient perdu leur virginité anciennement, donc à un âge très précoce. Vivant à la campagne et éduquées d’une manière traditionnelle, il était donc fort peu probable que ces traces d’anciennes relations sexuelles constatées aient été consenties par les deux jeunes filles. La plus âgée, devenue majeure entre temps, a d’ailleurs témoigné à la barre « ne jamais avoir eu de petit ami » et le prévenu a lui-même reconnu « ne jamais avoir vu ses cousines en compagnie de garçons ». Pour Me Mélanie Trouvé, l’avocate des jeunes filles, « les conclusions de l’expertise corroborent les faits ». En effet, seules les deux aînées ont décrit des scènes impliquant une pénétration, la plus jeune ayant décrit des fellations et des attouchements. En revanche, Me Trouvé a estimé que les conclusions des experts psychiatres et psychologues ne mettaient pas assez en exergue le traumatisme subi par les jeunes filles et elle a préféré s’appuyer sur le rapport du suivi psychologique réalisé dans le cadre des mesures éducatives prises après les faits. « C’est plus parlant, car il s’agit d’un véritable suivi et non d’une simple séance d’une heure », a-t-elle déclaré, tout en demandant 40.000 euros de préjudice pour chacune des victimes.
Rejoignant Me Trouvé, la procureure-adjointe a démonté aisément la défense du prévenu, qui a successivement évoqué « la sorcellerie », « la vengeance » et « un complot monté contre lui » pour justifier les accusations portées à son encontre. Pour elle, les expertises psychologiques des jeunes filles démontrent suffisamment de traces de traumatisme et celle du prévenu indique qu’il aurait bien « des pulsions pédophiliques non réprimées par le surmoi ». Elle a donc requis 8 ans de prison ferme avec un maintien en détention, l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes et 5 ans de suivi socio-judiciaire passible d’une peine de 3 ans de prison supplémentaire en cas de non-respect.
La présidente du tribunal et ses deux assesseurs ont choisi de suivre presque exactement ses réquisitions, en y ajoutant une interdiction d’exercer une profession impliquant un contact avec des mineurs et une inscription au fichier des délinquants sexuels. Le tribunal a reçu la demande de partie civile des trois jeunes filles, demandant au prévenu 35.000 euros pour chacune de ses victimes et 12.000 euros pour leur mère au titre du préjudice moral (sous le choc en apprenant les faits, la mère des trois jeunes filles a passé plusieurs mois à l’hôpital).
N.G