Avant de la livrer, replaçons la tribune d’Abdourahamane Cheikh Ali dans le contexte. De tout temps, les égards des autorités françaises envers les dirigeants comoriens, dont le putschiste Azali, qui font la pluie et le mauvais temps à Mayotte, 101ème département français, trouvaient leur explication par les visées sur les réserves pétrolières comoriennes. Ils ne sont pas les seuls, et les américains, notamment à travers la promesse en mars 2023 d’investir 34 millions d’euros dans la pêche comorienne par leur société Huffine Global Solution*, était un pion avancé sur l’échiquier qui en comporte d’autres, nous explique Abdourahamane Cheikh Ali, diplômé de l’ENES en gestion et de l’université Lumière Lyon 2 en droit constitutionnel comparé, et ancien directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale des Comores en 1996.
* Le slogan de Huffine global solution : Transforming The Natural Resources of a Nation into Sustainable Health and Prosperity for Its People (Transformer les ressources naturelles d’une nation en santé et prospérité durables pour sa population)
Tribune – Les Comores dans l’escarcelle des Américains ?
Le délégué à la Défense, Youssoufa Mohamed Ali et l’ambassadrice des États-Unis aux Comores avec résidence à Madagascar, Claire Pierangelo ont signé le vendredi 5 juillet un protocole d’accord qui jette les bases d’un futur accord de défense en matière de sécurité maritime. La diplomate américaine a remis à cette occasion des drones « de dernière génération » aux autorités comoriennes.
Derrière les discours officiels sur la lutte contre la pêche illicite dans la zone économique exclusive (Zee) des Comores, la prévention des trafics illicites dans les eaux comoriennes, la recherche et le sauvetage des usagers de la mer, se cache un soutien à la dictature du colonel Azali à travers le renforcement du flicage de la population en échange de l’utilisation du territoire comorien comme base de surveillance et d’espionnage des mouvements des navires, des sous-marins et des aéronefs des puissances hostiles à Washington dans le sud-ouest de l’océan Indien.
Les premiers drones de fabrication américaine livrés aux Comores le 8 novembre 2022 se sont révélés d’une redoutable efficacité dans la surveillance de la population et la dissuasion d’éventuels actes de perturbation de la cérémonie d’intronisation du colonel Azali au stade Malouzini le 26 mai 2024 suite au hold-up électoral du 14 janvier 2024.
Contrairement à la France représentée par sa ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement, Madame Marie Lebec, le pays de l’Oncle Sam a boudé l’évènement pour laisser croire qu’il ne cautionnait pas la consécration d’un pouvoir illégal et illégitime. La supercherie des Américains a été un coup de maître. Une partie des hommes politiques comoriens qui se déclarent opposants au régime d’Azali ne jure que par ceux qui ont financé une mascarade électorale annoncée et les ont poussés à s’y porter candidats, donnant ainsi une apparence de normalité à un processus électoral vicié et un semblant de légitimité à un chef de l’Etat qui ne doit sa présence à la mal nommée Beit Salam (la Maison de la Paix) qu’aux fraudes opérées au grand jour par ses partisans et à la force des baïonnettes.
Les Américains ont été sans doute plus fins que les Français dont l’Ambassadeur à Moroni s’est vu obligé d’afficher devant les médias et les réseaux sociaux une lettre de félicitations du Président Macron aux côtés du colonel Azali. Une lettre de félicitations que les partisans de la dictature n’ont cessé des jours durant de brandir comme un trophée de guerre, faisant comprendre au peuple comorien que son soutien au régime vaut moins que l’adoubement du colonel Azali par le gouvernement français.
On lit une certaine gêne sur le visage du diplomate français sur sa photo sur le réseau X (anciennement Twitter) le 13 mars 2024 avec le colonel Azali, brandissant tous les deux la lettre de félicitations du Président Macron. Sylvain Riquier aurait rêvé d’un soutien plus discret au Dictateur. Mais le risque de voir les Comores tomber (complètement) dans la sphère d’influence américaine a contraint la France de céder au chantage du colonel Azali qui demande un soutien public et décomplexé de Paris à son régime.
L’archipel des Comores, qualifié de « point essentiel du monde » par le général de Gaulle lors de sa visite à Moroni en 1959, valent bien une messe pour tous les dirigeants français y compris pour « l’agnostique spiritualiste » Macron (la définition est de son conseiller Bruno Roger-Petit). L’Oncle Sam aime multiplier ses conquêtes quitte à cocufier ses amis. La France le sait trop bien. Les trahisons américaines sont nombreuses : annulation par l’Australie d’un contrat d’achat de sous-marins français sous la pression des Etats-Unis le 15 septembre 2021, confirmation par le Sénat américain de la nomination de l’ambassadrice US au Niger le lendemain du coup d’Etat qui a renversé le pro-français Mohamed Bazoum et son arrivée à Niamey le 19 août 2023 pendant que la France était sommée par les nouveaux maîtres du Niger de quitter le pays. J’ajouterai à cela les manœuvres américaines au Tchad à la fin des années 80 sous la présidence de Hissène Habré qui visaient à reléguer la France à un second rôle dans un pays de son pré-carré.
Le protocole d’accord signé le vendredi 5 juillet entre les Comores et les USA en matière de sécurité maritime est l’avant dernière étape d’un processus qui sera couronné par la signature d’un accord de défense qui consacrera la prééminence des Américains dans les affaires comoriennes.
Le colonel Azali est-il en train de jouer le même jeu que l’ancien dictateur tchadien qui était sur le point de faire tomber son pays dans l’escarcelle des Américains, se détournant ainsi de la France qui avait pourtant sauvé son pouvoir à 2 reprises lors des opérations Manta (août 1983-novembre 1984) et Epervier (13 et 14 février 1986) ?
Abdourahamane Cheikh Ali