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Mamoudzou

Comparution immédiate : des vols et des agressions en représailles d’un décasage

Vendredi, cinq hommes ont été jugés pour avoir pillé un magasin et agressé des automobilistes à Tsoundzou les 31 mai et 14 juin 2024.

Les agressions sur les routes sont devenues le quotidien de la population de Mayotte, qui espère à chaque déplacement ne pas se faire agresser.

Le 31 mai dernier, « des jeunes en nombre » aux visages dissimulés, armés de pierres, de barres en fer, de couteaux, de machettes, font irruption dans le magasin Douka Bé de Tsoundzou. Deux semaines plus tard, le 14 juin, à 10h du matin, d’autres individus décident à nouveau de voler des produits dans le magasin, avant d’installer un barrage  sur la route, monté avec des déchets, des pneus, des appareils électroménagers, pour agresser les automobilistes. Le 30 juin, grâce aux caméras de surveillance du village et à l’aide de drones, cing hommes, qui portaient les mêmes vêtements lors de l’attaque du Douka Bé le 31 mai et lors d’une deuxième intrusion et des agressions routières le 14 juin, sont interpellés avant d’être jugés en comparution immédiate le 5 juillet dernier. 

Un quotidien devenu « invivable » 

Dans ce dossier, une vingtaine de victimes se sont manifestées. Dans la salle d’audience, le responsable du magasin Douka Bé, entendu à la barre, demande aux jeunes : « Pourquoi Tsoundzou ? Pourquoi ce village est aussi violent ? Pourquoi semer la terreur ? » Le 14 juin, lorsqu’ils s’introduisent dans le magasin, une des caissière est menacée de sortir sa caisse mais ne s’exécute pas. Les jeunes s’immiscent alors en nombre dans le magasin, les visages cachés par des cagoules, des foulards ou des masques chirurgicaux, armés de couteaux et de cailloux, et s’emparent de denrées alimentaires : « deux paquets de viande », « une bouteille d’alcool », « une canette Fanta ». En sortant du magasin, le groupe se jette sur la route pour agresser les automobilistes.

Douka be, groupe GBH, Mayotte
À deux reprises, des jeunes en bande ont fait irruption dans le magasin pour voler des denrées alimentaires

Une des victimes effectuait une livraison en scooter à Tsoundzou II, lorsque trois jeunes s’attroupent violemment sur la route. Pour fuir, le motard accélère. Désigné du doigt par un jeune, une machette est lancée sur son scooter et l’impact le blesse aux côtes : « Ces voyous gâchent la vie de tout le monde. Si la machette avait été lancée sur ma cheville, j’aurais perdu mon pied. » À cause de cet événement, le restaurateur ne livre plus à Tsoundzou : « Je ne livre plus dans cette zone. Cela va impacter mon chiffre d’affaires mais je préfère perdre de l’argent, que de perdre la vie. » Quelques minutes plus tard, un habitant de kwalé sort de chez lui en scooter pour aller faire des courses, lorsqu’il rencontre une dizaine de jeunes au milieu de la route, dont l’un est armé d’un marteau. Il reçoit deux coups de marteau mais s’en sort indemne grâce à son sac à dos : « Je ne sais pas pourquoi ils s’en sont pris à moi. C’était vraiment pour faire mal. » Traumatisé par les faits, l’homme a décidé de quitter l’île avec sa famille : « Ça devient invivable. On peut plus sortir sereinement, on ne sort plus le soir, on ne peut plus faire de randonnées. Alors moi les excuses, ça me passe par la tête. Je suis bien content que vous ayez attrapé ces voyous. »

« Vous êtes tous à créer les conditions du chaos », a déclaré le président du tribunal 

Lors de l’audience, le président du tribunal a déclaré : « C’est parce que c’est la première fois que cela rend les choses moins graves. Savez-vous de combien sont punis ces faits ? Ils sont punis de 7 ans d’emprisonnement. »

Durant le procès, les cinq hommes âgés de 19 à 23 ans reconnaissent avoir participé aux faits mais pas d’avoir porté des coups : « Oui j’y étais mais j’ai pas lancé de cailloux, j’ai pas cassé de voiture, j’ai pas volé », a déclaré un des prévenus. Pour expliquer les raisons de son geste, un prévenu déclare : « On avait faim. Je ne savais pas qu’on allait aller au tribunal. » Mais ses explications n’attendriront pas le président du tribunal, qui soulignera à plusieurs reprises la gravité des violences commises et les dommages physiques et psychiques causés aux victimes, y compris aux gendarmes : « Vu le degré de violences, je ne crois pas que les victimes aient beaucoup de raisons de vous plaindre (…) Vous ne vous êtes pas battus avec les gendarmes, vous les avez agressés, il y a une nuance (…) Vous êtes tous responsables, vous êtes tous à créer les conditions du chaos, en arrêtant les voitures, c’est vous qui donnez aux autres l’ordre de caillasser, vous avez tous votre responsabilité (…) On aurait pu annoncer à une femme et un bébé qu’ils allaient continuer seuls leur vie sans mari ou père car vous avez voulu voler une canette de Fanta et des chips. »

Un contexte de décasage à l’origine de ces violences  

Les opérations de décasage, menées dans le cadre de Wuambushu, ont souvent conduit à des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre

Le jour des faits, le 14 juin dernier, une opération de lutte contre les personnes en situation irrégulière et les habitations informelles est en cours. Des émeutes éclatent dans le village de Tsoundzou, où des jeunes du village se caillassent avec des jeunes de Passamainty et affrontent les forces de l’ordre. Ce malheureux contexte rappelé par le président du tribunal en début d’audience a été souligné avec importance par le parquet : « On explique aux jeunes que c’est à eux d’aller balancer des cailloux, on les envoie au casse-pipe, à la fin ces jeunes se retrouvent au tribunal et ils doivent justifier leurs actes. C’est compliqué de dire non (…) quand pendant toutes ces années, on a été éduqués en marge du système (…) Pourtant, aucun des prévenus n’a fait état du contexte de décasage. » Sur les cinq prévenus, quatre sont en situation irrégulière sur le territoire, sans antécédent judiciaire, en situation d’échec scolaire, sans diplôme, ni travail : « J’ai fait ça bêtement mais je regrette beaucoup (…) ma vie est très compliquée (…) Je vis de bricoles si j’en trouve », a confié un jeune. 

Malgré tout, au regard de ces éléments de contexte, « qui ne sont pas des circonstances atténuantes », le Ministère public a souhaité « envoyer un message fort aux jeunes (…) mais aussi pour les victimes, la société en général (…) ces 5 jeunes ont montré une très grande dangerosité (…) ce qui leur rendrait le plus grand service c’est une mesure d’incarcération dès aujourd’hui. » Dans ce contexte, le parquet a requis trois ans d’emprisonnement pour trois prévenus, deux ans  et un an d’emprisonnement pour les deux autres prévenus, sans sursis probatoire. Après avoir délibéré, le tribunal s’est aligné sur ces réquisitions. Une des victimes s’est dite soulagée car elle espérait du tribunal « la plus grande fermeté. » 

Mathilde Hangard

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