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Médecins hospitaliers en grève : « Combien de morts pour réagir ? »

Ils sont peu enclins à descendre dans la rue, mais quand c’est le cas, la parole se libère et les injustices se ramassent à la pelle. Si le blocage des primes fut l’élément déclencheur, le frein régional à la mise en place de la 1ère année de médecine ou aux instances représentatives, va créer des remous. La mobilisation du jour portait sur l’affectation de médecins non-européens aux parcours tronqués déjà en place en Guyane.

Le blocage de leurs primes avait incité les praticiens hospitaliers à déposer un préavis de grève pour ce lundi 10 juin. Ils nous avaient expliqué que le système mis en place par la précédente direction avait eu pour vertu de compenser un peu le décalage avec les primes perçues par les pédiatres et les gynécologues, mais que les modalités n’avaient aucun cadre légal. La direction régionale des finances publiques (DRFIP) a donc tilté et bloqué l’ensemble, privant les médecins de percevoir l’intégralité de leurs indemnités en mai.

Il est rare que les préavis de grève aillent jusqu’à leur terme chez les médecins hospitaliers, mais cette fois, en partant négocier au ministère de la Santé, ils ont été mis devant le fait accompli : l’arrivée de praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) dans une version Outre-mer, déjà expérimenté en Guyane. « Nous avons découvert que Mayotte avait été intégrée au dispositif PADHUE Outre-mer par la loi du 27 décembre 2023, sans qu’il y ait eu concertation avec la communauté hospitalière ici », déplore Anne-Marie de Montera, présidente du conseil de l’Ordre des médecins de Mayotte, qui nous en dit plus sur ces PADHUE : « Il s’agit de médecins qui n’ont pas validé les épreuves écrites que passent tous nos étudiants en médecine, et qui n’ont pas suivi le parcours de consolidation de deux à trois ans selon les spécialités. Ils vont arriver en se formant sur le tas. »

De gauche à droite, Charlène Ledoux, Sophie Fouchard, Nadjati Harouna, Anne-Marie de Montera, quatre praticiennes hospitaliers au front

Des PADHUE, il y en a déjà en métropole, notamment en Ile-de-France, et en Outre-mer, « mais ce ne sont pas les mêmes. Les PADHUE Outre-mer dont je parlais et qui n’ont pas fini de se former, ne peuvent pas exercer en métropole ».

La Guyane a mis ce dispositif en place, mais non sans écueils, nous rapporte Nadjaty Harouna, vice-présidente de la Commission Médicale d’Établissement (CME) : « Un des chefs de service du Centre hospitalier de Cayenne privilégie les candidatures de la même nationalité que lui, et un autre ferme l’accès aux diplômes européens. »

Défiscalisation pour le privé et le public

Alors que Mayotte est déjà sinistrée, « nous n’avons plus de ligne de SMUR H24 », critique Anne-Marie de Montera, les praticiens dénoncent l’écart de compétence, « en France, nous avons une médecine de pointe alors que certains de ces médecins arrivent de pays où il n’y a même pas d’IRM, ils vont donc se former sur le tas, c’est ce que nous dénonçons ».

Seuls une cinquantaine a répondu à l’appel de la mobilisation sur les 200 en poste au CHM, « dont un quart doit être en vacances », mais cela illustre aussi selon eux la problématique, « nous ne sommes que 73 titulaires à Mayotte ». Tous ont été privés de leurs primes le mois dernier, « la direction nous a assuré que nous allions en récupérer une partie à la fin de ce mois. Mais ils doivent toujours trouver un cadre légal pour en assurer la légalité ».

Le Plan blanc illustre plus que jamais la crise en cours

Lors des discussions entamées sur ce sujet avec un ministre de la Santé dont la pérennité est suspendue aux futures législatives, d’autres points ont été abordés. « Nous demandons un statut dérogatoire pour Mayotte afin d’attirer et fidéliser les médecins. Actuellement, un médecin de l’Éducation nationale ne peut pas prescrire quand un gamin a une mycose, il faut déroger et élargir les primo prescriptions qui relève habituellement de spécialistes absents à Mayotte. Nous demandons également des incitations par la défiscalisation : une zone franche pour les médecins libéraux, il en existe à Paris et en Guyane, mais pas ici, et une défiscalisation de l’Indemnité Particulière d’exercice pour les hospitaliers. »

Et de nouveau, l’ombre de La Réunion

Ces injustices laissent le goût amer d’une absence de volonté politique de trouver les solutions, estiment-ils. D’autant qu’ils ne sont pas vraiment représentés dans les négociations. « Il n’y a pas d’Ordre des chirurgiens, ni d’Ordre des infirmiers ici à Mayotte, tout est ‘océan Indien’, donc centralisé à La Réunion. La conséquence, c’est que nous ne sommes pas défendus », reproche Nadjaty Harouna, elle-même chirurgien-dentiste, qui cite en exemple la 1ère année de médecine : « La Réunion refuse l’implantation de la 1ère année de médecine à Mayotte car cela diminuerait le quota des places réservées aux réunionnais qui l’ont mis en place. Par contre, on va nous envoyer des médecins qui ne peuvent exercer qu’ici et pas à La Réunion. Quand on dit qu’on veut développer des filières de médecins ici, on envoie en métropole des jeunes de 17 ans qui n’ont plus leurs repères, qui ont des difficultés matérielles, et qui ont le niveau scolaire que l’on connaît. Il faut implanter une 1ère année à l’université de Mayotte et les accompagner. » Le syndrome de l’ARS OI continue, avec des facilités préemptées par le département voisin.

Sans commentaire…

Le cortège de la cinquantaine de soignants s’est mis en marche vers les Urgences, beaucoup parmi eux reproche à l’ARS Mayotte de ne pas les soutenir, « on se demande même dans quelle mesure ils n’approuvent pas la mesure des PADHUE Outre-mer », nous glisse l’un.

Jean-Matthieu Defour, le directeur général du CHM est présent. Il espère qu’une solution sera trouvée pour rendre « réglementaire le système de rémunération », et rapporte son expérience des PADHUE : « J’ai travaillé en Guyane pendant 5 ans, ça peut être la solution, mais cela ne doit pas devenir le système de recrutement unique. Peut-être faut-il instaurer dans chaque service un quota qui viendrait en appui d’un socle de titulaires. »

C’est rare, et preuve de leur exaspération, les praticiens ont bloqué – brièvement – la circulation par un sit-in au carrefour du commissariat, pour terminer leurs revendications devant des urgences sinistrées.

« Nous espérons que les demandes que le ministère dit examiner quotidiennement deux heures par jour, vont aboutir rapidement, car en cas de remaniement du gouvernement, nos interlocuteurs ne seront certainement plus en place à la mi-juillet…»

Anne Perzo-Lafond

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