VIH à Mayotte, quand le virus profite de la précarité

Sur l’île, la circulation du VIH reste préoccupante et les populations vulnérables, trop souvent invisibles, subissent les conséquences d’un accès aux soins encore inégal.

Le VIH circule plus que jamais à Mayotte. Invisible pour certains, brutal pour d’autres. Dans les quartiers précaires, parmi les jeunes et les populations migrantes, le virus profite des failles du système et de la précarité. Camions de dépistage détruits par les cyclones, laboratoires gratuits débordés, parcours de soins fragmentés : sur l’île, la lutte contre le VIH ressemble à une course contre la montre. « Si nous nous réunissons aujourd’hui, c’est parce que la situation de notre territoire exige une mobilisation claire, coordonnée et déterminée », a alerté Moncef Mouhoudhoire, directeur de Nariké M’sada, en ouverture d’une conférence de presse. Les chiffres sont là : diagnostics tardifs, circulation active du virus, accès aux soins toujours inégal.

Mayotte sous tension : une épidémie qui ne ralentit pas

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Le Dr Mohamadou Niang s’inquiète des cas de VIH diagnostiqués tardivement, ayant évolué vers le sida, et déplore deux décès cette année dus à un dépistage tardif.

Avec 98 nouvelles séropositivités enregistrées en 2024, Mayotte se place derrière la Guyane et dépasse désormais l’Île-de-France. La tranche la plus touchée est celle des 25-49 ans, avec un mode de contamination essentiellement hétérosexuel. La situation est exacerbée par les flux migratoires venus des Comores, de Madagascar ou des Seychelles, mais le virus circule aussi localement. « La situation est préoccupante dans la zone océan Indien », alerte Youssouf Hassani, délégué régional de Santé publique France. Les chiffres partiels de 2025 confirment la tendance : 70 cas déjà recensés à fin septembre, et la projection pour la fin d’année laisse craindre une hausse continue.

Le Dr Mohamadou Niang, chef du service infectiologie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), souligne un autre problème majeur : 30 % des diagnostics sont réalisés à un stade avancé, rendant plus complexes les traitements et augmentant le risque de complications. Car à Mayotte, le VIH n’est pas seulement un enjeu sanitaire, c’est un défi social. La précarité, le manque d’accès aux soins et les parcours fragmentés contribuent à laisser circuler le virus dans l’ombre.

Prévention et dépistage : des progrès limités par la précarité

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Dans les quartiers informels, la précarité, la peur des contrôles et le manque de ressources compliquent l’accès au dépistage et aux soins.

Pour freiner l’épidémie, des initiatives existent. Les camions de dépistage mobiles ont permis de réaliser 565 tests hors centres, tandis que le laboratoire gratuit « sans ordonnance » a enregistré plus de 200.000 tests VIH depuis son lancement en septembre 2024. Parmi les outils de prévention, la PrEP* injectable par lénacapavir offre désormais une protection complémentaire à la PrEP orale pour les personnes à risque. Mais son accès reste limité, dépendant des ressources disponibles et du suivi médical.

À ce défi médical s’ajoute une réalité humaine et sociale complexe. Beaucoup de Mahorais, fragilisés économiquement ou administrativement, hésitent à se déplacer. Les habitants en situation irrégulière redoutent particulièrement les contrôles de la police. « Nous n’allons plus dans les quartiers dits informels, car à chaque fois que nous y allions, la police venait pour contrôler », explique Moncef Mouhoudhoire. Des démarches sont en cours pour coordonner les interventions et permettre aux associations de travailler en toute sécurité, tout en laissant chacun accomplir son rôle dans la santé publique. « Nous avons levé le pied sur ces quartiers, mais les besoins restent criants », ajoute-t-il, illustrant la difficulté d’aller vers les populations les plus vulnérables.

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En 2025, malgré la présence d’un seul médecin et l’absence d’infirmier pendant huit mois, le CeGGID de Mayotte a pris en charge 2.335 patients, réalisé 4.430 consultations et effectué 14.821 examens de laboratoire.

Le Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), malgré des moyens extrêmement limités, offre un aperçu frappant de cette pression sur le terrain. Avec un seul médecin et sans infirmier pendant huit mois en 2025, le centre a assuré 4.430 consultations pour 2.335 patients et réalisé 14.821 examens de laboratoire. Parmi eux, 12 diagnostics de VIH, 355 cas de chlamydiae, 174 de gonocoque, 33 de syphilis et 29 hépatites B ont été détectés. « Nous dépistons et prenons en charge bien plus que tous les autres réunis, avec des moyens très limités », souligne le Dr Alain Prual, rappelant le déséquilibre criant entre besoins et ressources.

Au-delà du VIH, les infections sexuellement transmissibles restent une menace majeure et souvent négligée. Le Dr Prual insiste : « On parle beaucoup du VIH, mais derrière, il y a toutes les infections sexuellement transmissibles, qui sont toutes aussi importantes ». Les consultations à Mamoudzou, les permanences à Iloni et les projets de sites à Mramadoudou et Dzoumogné tentent de pallier ces obstacles, mais la précarité et les aléas, comme le cyclone Chido qui a détruit un camion de dépistage, compliquent la couverture du territoire.

La situation des mineurs est particulièrement préoccupante. Relations sexuelles précoces, peur des contrôles de la police aux frontières et accès limité à l’information exposent les adolescents et jeunes adultes à un risque accru. Pourtant, malgré ces contraintes, les efforts locaux portent leurs fruits : au 25 novembre 2025, 31 nouveaux cas de VIH avaient été dépistés, soit trois fois plus que l’année précédente.

Plus de dépistages, plus de patients 

Par peur d’être stigmatisés, de nombreux patients atteints du VIH préfèrent se soigner hors du territoire, comme à La Réunion ou en Hexagone.

Et plus on teste, plus on découvre. Augmenter le dépistage du VIH ne se limite pas à détecter la maladie plus tôt : cela signifie aussi prendre en charge un nombre croissant de patients, souvent fragiles et précarisés. « À chaque risque sexuel non protégé, il faut se faire dépister. Plus on dépiste, plus on a de patients à suivre, mais c’est la seule manière de freiner le virus  », insiste le Dr Mohamadou Niang. Chaque test est une opportunité de soins, mais aussi un défi logistique et social , certains traitements exigent un suivi strict, un accompagnement nutritionnel et un soutien psychologique pour être pleinement efficaces.

 

« Les traitements prescrits ne font pas bon ménage avec le ventre vide »

D’autre part, les conditions de vie extrêmes transforment chaque ordonnance en défi. Le directeur de Nariké M’sada, l’illustre crûment . « Les traitements prescrits ne font pas bon ménage avec le ventre vide », souligne-t-il, rappelant que certains patients se prostituent pour se nourrir, une réalité que les acteurs locaux ne peuvent ignorer. Ainsi, pour 2026, Moncef Mouhoudhoire fixe les priorités : intensifier le dépistage, renforcer la prise en charge sociale des patients, et adapter les dispositifs aux conditions de vie les plus précaires.

La stigmatisation reste également un obstacle majeur. « Nous parlons beaucoup de populations migrantes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de Français séropositifs. Les Français de Mayotte vont parfois se faire dépister ailleurs et se faire suivre ailleurs, pour éviter la stigmatisation », nuance Moncef, soulignant la nécessité d’une approche inclusive et sécurisée pour tous les habitants.

Pour que le dispositif soit efficace, chaque acteur doit trouver sa place dans un maillage coordonné. Associations, Centre hospitalier de Mayotte, ARS, PMI, CSSM et laboratoires doivent articuler leurs actions, organiser les parcours de soins quartier par quartier et assurer un suivi pluridisciplinaire, parfois au-delà du territoire. « La lutte contre le VIH, c’est un travail éminemment collectif  », insiste Moncef Mouhoudhoire. Car à Mayotte, le VIH, comme d’autres infections sexuellement transmissibles, se heurte à la pauvreté structurelle, à l’exclusion sociale, aux flux migratoires et aux lacunes d’un système qui laisse encore de nombreuses vies en marge.

*La prophylaxie préexposition (PrEP) est un médicament qui protège les personnes qui n’ont pas le VIH (séronégatives) du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Mathilde Hangard

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