En choisissant de focaliser le plan national d’Emmanuel Macron « Un jeune, une solution » sur les 16-18 ans, l’association Apprentis d’Auteuil suit deux objectifs principaux : se concentrer sur la classe d’âge où tout peut basculer à Mayotte, et créer un pont entre cette action financée par l’Etat et le dispositif de prévention spécialisée déjà existant, du conseil départemental.
Lancée depuis 3 mois, l’action « Parcours personnalisé 16-18 ans », financé par l’Etat à hauteur de 430.000 euros, faisait l’objet d’un point d’étape à Apprentis d’Auteuil ce mardi, en présence de Patrick Kluczynski, Responsable de l’insertion à la Direction de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS), et de Madi Moussa Velou, 7ème vice-président chargé de l’Action sociale et de la Santé. La présence de ce dernier était très attendue après sa charge, notamment dans nos colonnes, contre les dysfonctionnements de la prévention spécialisée sur certaines zones de l’île. Il revenait sur le sujet dans son discours, en justifiant sa position.
« Depuis 4 ans, le conseil départemental investit 3 millions d’euros chaque année sur la prévention spécialisée, soit 12 millions d’euros en tout, nous attendons donc des résultats. Et qu’on nous présente des actions concrètes. Donc, oui, je mets la pression. A l’action, ‘un jeune, une solution’, j’ajouterai, ‘une insertion’ ». S’il répète qu’il ne soutiendra pas « les associations partenaires qui tapent sur le conseil départemental parce qu’il est de bon ton de le faire », il affirme vouloir y arriver en concertation, « nous avons la volonté de voir les deux dispositifs, prévention spécialisée et médiation citoyenne, montrer leur efficacité ».
« Si je vous parle de ce que j’étais il y a quelques années… »
Sa position est dictée par deux forces convergentes et exigeantes : ses collègues élus qui lui demandent des comptes alors que les violences sont quotidiennes, et les collectifs qui ne voient pas d’un bon œil ces associations qui engrangent des milliers d’euros pour insérer des jeunes et dont les réussites sont moins palpables que les actes de délinquance, « c’est la population qui m’a élu, je l’écoute, vous devez comprendre ça, nous ne voulons pas dépenser la 15 millions d’euros par an sur l’action sociale sans résultat », s’adressait-il aux associations présentes, conviées par Apprentis d’Auteuil, Fahamou Maesha, Messo, Mlezi, l’EAM, la Cimade, notamment. Tout en rajoutant, « quand ça va, je le dis aussi, et je suis là ici pour ça aujourd’hui ».
En s’adressant aux jeunes, il les motivait tout en se livrant sur son passé : « Saisissez votre chance, j’ai grandi dans un quartier difficile, si je vous parle de ce que j’étais il y a quelques années, vous n’allez pas en revenir ! » Et invitait ses partenaires à solliciter ses services autant de fois qu’il le fallait, « et si vous rencontrez des difficultés, je ne vous pardonnerai pas de ne pas m’en avoir parlé ».
« Les 16-18 ans, c’est notre faiblesse »
Il a bien sûr eu des retours sur ce qu’on peut appeler des « coups de gueule » d’un élu qui n’a pas la langue dans sa poche, « on m’a dit que j’étais trop impatient, que les résultats de la prévention spécialisée ne sont visibles sur la durée ». C’est bien le problème, et Madi Velou le mettait involontairement en évidence : le conseil départemental ne s’est investi dans sa mission de prévention qu’en 2018, sous la férule de son prédécesseur Issa Issa Abdou. Auparavant, les jeunes n’étaient pris en charge qu’à travers des associations qui faisaient avec les moyens du bord, et qui étaient directement financées par l’Etat. Plusieurs voix s’étaient élevées pour mettre en garde, « si on ne s’occupe pas de cette jeunesse, c’est elle qui va s’occuper de nous. » S’il n’est pas trop tard pour bien faire, on paie les errements des élus précédents. Pour ne prendre qu’un exemple, le département du Val-de-Marne injecte chaque année 12 millions d’euros dans la prévention spécialisée, depuis des années, et avec beaucoup moins de jeunes sur le territoire.
Les résultats de cette volonté politique qu’on peut considérer comme récente à Mayotte, et dont Madi Velou incarne la fermeté, ne peuvent donc émerger qu’avec le temps, et le contrôle de l’efficacité des sommes allouées aux associations, en est une des pierres.
Guillaume Jeu, directeur d’Apprentis d’Auteuil, nous expliquait la logique qui a prévalu pour intégrer ce parcours personnalisé des 16-18 ans au sein du service de prévention spécialisée de l’association : « Cette tranche d’âge, c’est notre faiblesse à Mayotte. J’ai donc relié le dispositif du président Macron à celui financé par le conseil départemental, car ce sont les mêmes jeunes que l’on retrouve dans nos maraudes. »
« Je veux sauver les jeunes de la violence »
Le travail mené avec les jeunes par l’équipe de 6 personnes, coordonnée par Romain Bustillo, porte sur l’évaluation du niveau scolaire, puis une remise à niveau des savoirs de base, l’apprentissage de la vie en communauté, une formation au numérique. En ce qui concerne l’insertion du jeune, un travail est mené sur un projet individuel « Préparer mon avenir ». « Ils sont déjà allés une semaine en stage en entreprise, dans plusieurs secteurs, société de sécurité, supermarché, ébénisterie, barge. A 90%, ce sont eux qui les ont trouvés, et nous avons eu de très bons retours », nous rapporte Guillaume Jeu. Deux nouvelles semaines de stage les attendent la semaine prochaine, « pour préparer leur sortie du dispositif fin novembre. »
Mais il est réaliste, « ce n’est pas en 5 mois qu’on apprend à rédiger ou à parler correctement le français », plusieurs dispositifs peuvent donc prendre le relais, dont la Maison familiale rurale, « où ils peuvent intégrer des classes de la 6è à la 3è et décrocher un CAP. Nous avons 5 jeunes qui y sont partis. »
Il le répétait, c’est la synergie des équipes internes à Apprentis d’Auteuil, mais aussi entre l’Etat et le CD qui va permettre d’aboutir à des avancées concrètes.
Les jeunes ont différents profils, certains sont déscolarisés depuis longtemps. De Tahimina, 18 ans, qui a quitté le lycée en seconde parce que sans orientation, dont le projet est de travailler dans le commerce, et qui témoigne, « ma vie commence à avancer », à Sanhadji, 18 ans, titulaire d’un CAP de plomberie, mais qui souhaite devenir agent de sécurité, il a des papiers, « mais je restais à la maison sans rien faire, j’accompagnais des copains », en passant par Ibrahim, 16 ans, qui a quitté l’école en 5ème, au visage marqué, et qui nous affirme d’un air déterminé vouloir faire de la médiation, « je veux sauver des jeunes de la violence, il faut arrêter », mais sans papier, on a une petite idée de l’énergie de colibri qu’il faut déployer, pour arriver à créer un cercle vertueux.
Au regard des profils des jeunes, la création d’un plan « un parent, une solution », ou « un référent, une solution », ne serait pas un luxe pour remettre l’encadrement familial du jeune au centre du débat.
Anne Perzo-Lafond