À Mayotte, pour certains diagnostiques vitaux, les patients doivent encore quitter l’île pour espérer des soins adaptés. Pendant ce temps, ailleurs dans l’Hexagone et dans d’autres territoires d’Outre-mer, l’idée d’utiliser le numérique et l’intelligence artificielle (IA) pour améliorer la médecine commence à se développer.
En France hexagonale, l’IA suscite de plus en plus d’intérêt dans le secteur de la santé, mais pour l’instant elle reste surtout un outil d’aide en phase d’expérimentation, plutôt qu’une technologie bien intégrée au quotidien des hôpitaux et des cliniques. Dans un document officiel publié en février dernier par le ministère de la Santé, le panorama y est dressé : l’intelligence artificielle pourrait apporter énormément de changement dans les parcours de soins. Que ce soit pour améliorer les diagnostics, personnaliser les traitements, faciliter les prises en charges des patients. Mais pour y arriver la route est encore longue… Malgré cela, certaines applications commencent à apparaître, en imagerie médicale, dans des systèmes d’alerte ou encore pour faire un triage d’urgence, l’IA est testée comme assistant. Toutefois ces outils sont encore loin d’une utilisation généralisée car ils nécessitent des financements conséquents, des validations scientifiques et un encadrement très sérieux.
À Mayotte, l’hôpital est sous pression

Sur l’île, le dispositif hospitalier repose sur deux niveaux. D’un côté, des structures de proximité pour les soins courants, de l’autre, le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) à Mamoudzou, qui concentre les cas graves. Lorsque même le CHM ne peut pas faire face, il reste l’option des évacuations sanitaires (Evasan) vers La Réunion ou l’Hexagone. Le CHM, avec ses 573 lits, est l’établissement de référence, mais il peine à absorber la demande. Les établissements périphériques, comme celui de Pamandzi, prennent en charge les urgences courantes, mais dès qu’un patient nécessite une prise en charge spécialisée, il est transféré vers Mamoudzou. Malgré ses capacités, le Centre hospitalier reste très en dessous des standards de l’Hexagone. La densité de médecins spécialistes est également faible : 39 pour 100.000 habitants, selon l’Insee en 2023. L’infrastructure existe, mais elle est souvent saturée et insuffisante face aux besoins réels.
À cela s’ajoutent des contraintes locales : une population en croissance rapide, l’insécurité, une immigration abondante, des infrastructures publiques fragiles, des coupures d’eau et des conditions de travail qui compliquent l’attractivité pour les professionnels de santé. Résultat : les hôpitaux de l’île sont constamment sous pression et peinent à répondre aux besoins croissants des patients.
DOM-TOM : premières réflexions autour de l’IA médicale

D’après un article de nos confrères d’Outre-mer La 1ère, certains territoires ultramarins dispose déjà de services de pathologie publique tels que la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Guyane ou encore la Polynésie française. L’idée de recourir à la pathologie numérique et à l’intelligence artificielle pour compenser le manque de spécialistes et accélérer les diagnostics commence doucement à naître. Pour l’instant, il s’agit surtout de réflexion : le manque de financements, la formation du personnel et l’absence de logiciels et d’infrastructures adaptées freinent tout déploiement concret.
Dans ce contexte, Mayotte se retrouve encore plus à la traîne. Sur l’île, les infrastructures restent très limitées et la pathologie numérique n’en est vraiment qu’au tout début. Le manque de personnel et d’équipements spécialisés rend les besoins locaux criants, et on comprend vite que la situation ne pourra pas évoluer sans investissements importants.
Les conséquences pour les Mahorais
À Mayotte, le retard des aménagements médicales se traduit directement dans le quotidien des habitants. Pour de nombreux patients, obtenir un diagnostic précis ou un traitement spécialisé signifie quitter le département, souvent pour se rendre à La Réunion, parfois jusqu’en France hexagonale. La saturation des structures locales joue un rôle important dans ces choix : certaines femmes enceintes préfèrent partir accoucher ailleurs, même si la maternité locale est équipée, simplement parce que les places manquent. Emilie Marwane, originaire de Labattoir a accouché tous ses enfants en France. « Pour moi, c’est plus simple et je suis mieux suivie là-bas. En plus, je ne suis pas seule car je vais chez ma soeur. J’aurais aimé accoucher ici, mais pour moi c’est impossible je n’ai pas la patience ». De la même manière, des patients malades choisissent d’éviter le Centre hospitalier de Mayotte et d’aller directement chercher des soins hors de l’île, afin de ne pas perdre de temps ou de se retrouver face à des files d’attente interminables.

Pour beaucoup, ce n’est pas un simple aller-retour : certains patients doivent voyager plusieurs fois dans l’année, selon leurs rendez-vous médicaux et traitements : suivis pour le cancer, opérations de la vue comme les cataractes, ou autres soins spécialisés. C’est le cas de la fille de Karim Attoumani, diagnostiquée d’une cataracte à sa naissance : « Elle a commencé ses traitements ici, puis très rapidement, on nous a évacués vers La Réunion. Cela fait trois ans que nous faisons plusieurs allers-retours pour ses opérations. Cet été encore, nous y étions pour l’une d’elles, et il faudra y retourner pour les suivis », confie le père de famille. Il ajoute : « Tous ces déplacements ont un coup élevé mais on n’a pas le choix, après pour le logement ma femme a de la famille là-bas donc c’est plus simple ».
Quand il n’existe pas de solution d’hébergement à l’arrivée, cela implique de multiples allers-retours et une organisation personnelle très lourde. Ces déplacements imposés créent des situations complexes : trajets fréquents et coûteux, éloignement de la famille et du réseau de soutien, stress lié à l’incertitude et aux délais. Et pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers ou familiaux de partir, il n’y a souvent pas d’autre choix que de rester sur le département et de se plier aux contraintes locales, avec tous les retards et limites du système hospitalier.
Avec un manque de personnel, des installations limitées et des outils encore insuffisants, Mayotte reste largement en retard par rapport aux autres territoires ultramarins et à la France hexagonale. Si certains hôpitaux commencent à explorer le numérique et l’IA ailleurs, sur l’île, la priorité reste de rattraper un retard structurel qui impacte directement le quotidien de la population.
Shanyce MATHIAS ALI


