Lors d’un de nos reportages sur les grossesses précoces, une maman récemment arrivée de métropole en famille nous avait confié, « j’ai prévenu mes deux grands garçons que s’ils avaient une relation sexuelle débouchant sur une maternité ici, ils devraient ensuite l’assumer pour le restant de leurs jours. » Nous commençons en évoquant la partie masculine du problème des grossesses précoces parce qu’elle n’a pas été abordée dans le documentaire de Séline Soula et Romain Fleury, « Mamans mineures à Mayotte ». Il faut dire que parler de la vie de ces ados que la vie rattrape en accéléré et de leur prise en charge avait peine à être contenu en une heure que dure le reportage.
Les deux comparses, journalistes à France TV, n’en sont pas à leur premier opus touchant aux phénomènes de société, ils avaient notamment réalisé, « Mayotte la française ? » en 2016. Ils s’attaquent cette fois aux grossesses précoces, terrain de tous les dangers pour les jeunes filles, voire les fillettes se retrouvant enceintes. La journaliste guide au fil du documentaire le spectateur, en annonçant qu’elle-même a été une maman précoce à 17 ans.
Pendant un peu plus d’une heure de film, on suit les parcours de ces jeunes pas encore sorties de l’enfance, que sont Youssrat, 17 ans, Djaouzaou, 16 ans, ou Hadidja, 13 ans, enceinte de 5 mois, et d’autres. « Ça me fait peur, très peur d’élever un bébé comme ça », confie Youssrat à la sage-femme qui lui fait passer une échographie, à l’issue de laquelle elle avouera, « je l’adore déjà ! », après avoir découvert les contours du bébé sur l’appareil. Si cette jeune femme proche de la majorité passe d’un sentiment à l’autre, inutile de dire que les plus jeunes sont perdues.
Célébration cadiale d’union de très jeune mineure
La Répémobile du Réseau périnatal de Mayotte (REPEMA) se rend dans les quartiers pour les premières prises en charge, pour parler de rapports sexuels, « un sujet qui reste trop tabou dans les familles », pour écouter notamment la jeune Hadidja et faire le lien entre ces grossesses précoces et des violences sexuelles subies dans l’enfance, « et c’est à ce moment que remontent tous les souvenirs douloureux qui étaient enfouis. » Parallèlement, elles affichent toutes la détermination de reprendre les études, et l’appui ou le rejet de la famille, va être déterminant pour leur avenir. Les structures embryonnaires que sont les LVA indispensables pour prendre le relais. Avec une suggestion en forme de conclusion de la part de Séline Soula, « l’impact pour un enfant d’avoir eu une maman jeune reste inexploré à Mayotte ».
C’est sur cet ensemble de données que les participants au débat étaient invités à échanger, sous la houlette enjouée de Chacrina Moussa, Directeur de Pôle Social chez Mlezi Maore et Kassandrah Chanfi, Directrice Communication et Partenariats également chez Mlézi Maore, association organisatrice de l’évènement.
Beaucoup d’informations sont venues enrichir le sujet. « Il faut parler du rôle des cadis ou des dignitaires religieux, qui célèbrent des mariages de mineurs dont certains dans la parfaite illégalité. L’autre jour, nous avons eu le cas d’une jeune fille de 15 ans unie avec un homme de 47 ans », déclarait Nassime Soumaïla, chef de service de la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP), censée enregistrer tous les signalements de maltraitance, y compris ceux qui transitent par le parquet.
Car les très jeunes filles prennent de gros risques pour leur santé, « Ce n’est pas seulement un sujet de société, rappelle une psychologue, c’est une épreuve mortifère d’accoucher avant 20 ans, elles risquent leur vie et celle du bébé qui a plus de risques de naître prématuré ». Maria Chevolleau, Secrétaire générale du réseau de sage-femmes, en expliquait les raisons : « A 13 ou 14 ans, le corps n’est pas encore formé à la maternité, le bassin ne s’est pas élargi, il y a de gros risque pour la maman et le bébé. »
Extrapolant les statistiques, le sous-préfet à la Cohésion sociale Cedric Kari-Herkner évaluait les grossesses précoces « à 500 environ ici à Mayotte ». Un phénomène qui s’il « reste encore lié à un aspect culturel », relève aussi « de motifs psychosociaux, dont des agressions sexuelles dans l’enfance. » Le représentant de l’Etat soulignait qu’étaient principalement touchés les territoires les moins développés, « comme en Afrique Subsaharienne et l’Amérique latine.
« J’étais très en colère »
La CRIP commence à se structurer, et enregistre déjà près de 400 signalements de mamans mineures, « nous allons dépasser ce chiffre cette année. Il faut impérativement que la justice sanctionne sévèrement », soulignait Nassime Soumaila.
Car derrière, c’est l’engrenage. En amont, le « cumul de vulnérabilité », couvre tout ce que la jeune voire très jeune fille a traversé : les violences sexuelles très jeune, mais aussi un parcours de rupture, ou des problèmes de santé mentale. Et quand la grossesse se déclare, l’avortement n’est que rarement retenu, « la religion nous dit que c’est un péché de tuer un bébé », explique une jeune fille qui a voulu le garder. C’est ensuite le Bac que la plupart veulent passer, mais avec des difficultés pour suivre les cours, la possible exclusion de la famille, une jeune fille qui n’a pas les moyens d’élever son enfant et qui peut tomber dans la prostitution, avec un enfant qui s’élève seul et bascule dans la délinquance.
Le tableau n’est heureusement pas toujours aussi noir. D’abord parce qu’il y a des mamans qui soutienne malgré tout leur fille, « j’étais très en colère parce que je l’avais prévenue, que nous sommes venues à Mayotte pour chercher une vie meilleure, qu’elle pouvait s’en sortir avec le Bac, et que nous n’avons pas de revenus fixes », dira l’une d’elle qui va s’occuper du bébé pendant que sa lycéenne tentera le Bac, qui lui est reconnaissante, « elle veille sur moi, elle me donne du courage ». Tout en s’interrogeant, « qui va payer les couches du bébé? »
Ensuite parce que des dispositifs ont été mis en place. Un accompagnement psychosocial avec l’Aide sociale à l’enfance du Département, avec des infirmières, etc. C’est aussi la coordination des moyens entre le REPEMA, la CRIP, le Centre hospitalier, les PMI (Protection Maternelle et Infantile), « nous proposons un staff médico-social pour un suivi personnalisé des grossesses », explique Mathilde Lozano, Coordinatrice Sage-femmes de PMI.
Faille dans la carence affective familiale
L’Etat joue sa partition expliquait le sous-préfet : « Le Pacte de solidarité va amener des moyens supplémentaires avec une programmation pluriannuelle 2024-2027 où est prise en compte l’accompagnement des mères célibataires. »
Les Lieux de vie et d’Accueil (LVA) mis en place par le conseil départemental accompagnent jusqu’à mettre la maman en situation d’autonomie avec son enfant en assurant une veille. Mais difficile de tout résoudre, et Ahmed Djoumoi, Chargé de mission à la Protection de l’enfance du CD posait une question essentielle : « Comment résoudre le manque de carence affective que la jeune fille a ressentie petite dans sa famille, et qu’elle vient chercher auprès d’un homme ?
Une éducatrice au sein du service AEMO invitait à avoir un discours commun : « On doit se mettre d’accord. A Mayotte désormais, le mariage forcé, on l’accepte ou pas ? Les grossesses précoces, on les accepte, ou pas ?! »
Un gros travail est mené au LPO de Kawéni appelé « le lycée maman », pour avoir enregistré 53 grossesses en 2021…
Le contexte actuel en rajoute, « il faut rappeler qu’avec la fermeture de plusieurs PMI et le plan blanc au CHM, nous avons du mal à prendre en charge ces grossesses précoces. Et je rappelle qu’une fois ces jeunes filles sorties de l’accompagnement notamment l’assistante sociale au lycée, ou en LVA, la vie quotidienne devient encore plus compliquée sans papier. ».
Anne Perzo-Lafond