Quel Mahorais n’a jamais croisé son chemin et souvent avec une certaine appréhension, voire de la frayeur et du dégoût ? La scolopendre. « Cet arthropode fait partie de ce que l’on appelle les myriapodes (mille-pattes) qui se divisent en deux classes : les chilopodes qui possèdent des crochets avec du venin et les diplopodes qui eux sont inoffensifs car sans crochet ni venin », explique Nicolas Gommichon. Il existerait sur Terre environ 2.000 espèces de chilopodes selon l’entomologiste et seulement quatre espèces vivraient à Mayotte, dont la scolopendre.
Qu’est-ce qui caractérise une scolopendre ?
« Morphologiquement la scolopendre a des yeux et de longues antennes avec des organes sensoriels lui permettant de sentir les vibrations sur le sol. Elle dispose d’une seule paire de pattes par segment. Elle est dotée de deux crochets puissants et venimeux, c’est un mélange de protéines et de toxines pouvant entrainer, dans certains cas lorsque l’on est mordu, de la fièvre et un dérèglement du système nerveux », raconte Nicolas.
En effet, qui n’a pas fait la douloureuse expérience de se faire mordre par cet animal et de ressentir comme une pointe que l’on vous enfonce dans le corps avant d’éprouver une brûlure pendant plusieurs heures? Et ça c’est pour le meilleur des cas ! Pour les situations les plus extrêmes, cela peut se transformer en allergie et direction l’hôpital, mais c’est peu fréquent. Aussi comme le fait remarquer l’entomologiste, « Contrairement aux idées reçues, la scolopendre est plus redoutable que n’importe quel serpent vivant à Mayotte. Il existe par ailleurs des scolopendres de différentes tailles, cela va d’une dizaine de centimètres à environ vingt-cinq centimètres pour les plus grandes (Scolopendra gigantea). La scolopendre se nourrit principalement de feuilles mortes, de troncs d’arbres, d’insectes et d’araignées. Même si parfois, pour les gros spécimens, cela peut aller du petit lézard à la toute petite souris, mais cela est assez rare. Elle joue ainsi un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire », explique l’entomologiste.
Les grandes scolopendres sont beaucoup plus dangereuses que les petites à cause de leur venin. En revanche les jeunes diplopodes, de quelques centimètres et que l’on voit surtout pendant la saison des pluies, ont tendance lorsqu’ils se sentent un danger à s’enrouler sur eux-mêmes, en cercle pour se protéger. « On peut les prendre à la main sans danger et sans risquer de se faire mordre pour les remettre ailleurs », assure Nicolas.
La saison des pluies une période propice pour la reproduction
La scolopendre aime l’humidité, si elle entre dans les domiciles c’est pour rechercher un endroit calme où se cacher avec de la fraicheur et de l’obscurité. Aussi, faites attention le matin en mettant vos chaussures, il se peut que durant la nuit elle ait élue domicile au fond de vos baskets… « En ce moment il y a beaucoup de scolopendres dans la nature car c’est la période de reproduction, durant la saison humide. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas une espèce invasive, ni envahissante, elle est présente à Mayotte depuis longtemps, même si elle n’est pas endémique », fait remarquer le garde de l’îlot de Mbouzi.
Aussi, la scolopendre n’est ni hermaphrodite, ni asexuée. Les mâles et les femelles disposent d’une anatomie différente. « Le mâle possède deux pattes articulées à l’arrière de l’abdomen en période de reproduction avec une poche remplie de spermatozoïdes que l’on appelle le spermatophore, la femelle vient alors sur son dos pour être fécondée », indique le naturaliste.
La scolopendre est-elle dangereuse à proprement parler ?
La littérature scientifique fait malheureusement défaut à Mayotte sur ce sujet. « Nous manquons de données précises sur la scolopendre à Mayotte… Le seul ouvrage de référence date de 2019(*) et c’est le seul disposant de données fiables avec un vrai travail de recherche, avant ça il n’y avait quasi rien ». Selon l’entomologiste, la scolopendre n’est pas dangereuse en soi mais elle est agressive et à tendance à se défendre au lieu de fuir quand elle se sent en danger, contrairement aux araignées et aux reptiles, ce qui la rend plus dangereuse aux yeux du public.
« Il y a une peur répandue autour des insectes, ils sont vus comme dangereux et sales. Du coup la première réaction est de les tuer, souvent à coup de machette. Concernant la scolopendre, on n’est pas obligé de la tuer lorsque l’on en voit une. Elle ne nous prend pas par surprise, on a le temps de la voir… Il suffit simplement de prendre un couvercle avec un tupperware et de la déposer à un endroit où elle ne nous dérangera pas. Aussi, dans certains pays elle se mange, comme en Asie », ajoute-t-il.
L’entomologiste compte ainsi refaire une étude sérieuse sur cet animal en acquérant des connaissances sur le terrain, afin de répertorier, classifier et apporter du contenu pour les chercheurs. « Il faut faire connaître cette faune de Mayotte… On aime ce que l’on connait et l’on protège ce que l’on aime ! », philosophe Nicolas. Il a ainsi pour projet de monter une association d’ici quelques mois, la SEUM (Société Entomologique Unifiée de Mayotte) afin de recueillir des données, transmettre des photos, partager ses observations. « Nous devons faire un travail de correction, refaire des recherches sérieuses… C’est un travail colossal sur la faune car la biodiversité de Mayotte est tellement riche et exceptionnelle qu’il est important de mener à bien ce travail ».
B.J.
* Diplopodes et autres Myriapodes de Mayotte, de Didier VandenSpiegel et Aurore Mathys – Collection Digitale, « Documentation zoologique ».