Cette semaine, Thierry Suquet sera passé de la théorie au terrain. Non que le préfet découvre les villages de cases en tôles, « je suis allé dans plusieurs quartier, mais pas sur les hauteurs de Kawéni », expliquait-il aux organisateurs de cette rando d’un autre genre, destinée à faire le point sur l’étendue des cases informelles. A l’initiative, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, et le capitaine Chamassi, en charge de la DPSU.
« Au delà de la bidonvilisation, l’enjeu est la sécurisation de ces habitants », rapporte le maire au préfet, en entamant la marche dès 6h30 ce samedi, montrant les rochers en surplomb qui n’attendent qu’une forte coulée de boue pour dégringoler sur les fragiles habitations de Cavani en aval. Sous sa plume, un arrêté de péril imminent serait prêt, l’arme juridique qui doit être validée par le préfet pour que des démolitions aient lieu, et reloger les habitants dont la situation administrative le permet, à la condition d’avoir assez de logements, et reconduire à la frontière les autres.
La petite troupe monte les pentes escarpées qui les mèneront sur les hauteurs de Cavani et de Kawéni, en redescendant par Mangatélé. Préfet et maire en tête, suivis par le recteur Gilles Halbout, le sénateur Abdallah, le conseiller départemental de Pamandzi Daniel Zaidani, le directeur adjoint du SDIS, etc. Deux ados, bonnet et chaine apparente, sur un vieux canapé tentent la provoc, alors que trois très jeunes enfants montent la pente abrupte qu’elles empruntent chaque jour, « on rentre de l’école coranique », glissent-elles.
Des enfants dans les petits papiers
Des enfants, il y en a derrière chaque porte, « il faut arriver à toucher les jeunes filles qui arrivent sur le territoire pour les informer sur la contraception », lançait un des agents de la mairie, mais pour un cadre, c’est peine perdue, « elles font des enfants pour accéder à la nationalité française et pour avoir des allocations ». L’ARS Mayotte a gros à jouer sur ce terrain, en ne faisant pas qu’informer sur l’accompagnement des jeunes femmes enceintes, mais en privilégiant en premier ressort des campagnes de contraception. Un élu avait lâché il y a quelques années, « pour obtenir des papiers, un enfant suffit, pas la peine d’en faire plusieurs ! »
Un peu plus loin, des maisons en dur, dont les pilotis s’effritent avec le temps, le maire pointe du doigt ces habitations qui ont succédé aux tôles, « là, c’est une fosse septique qui, lorsqu’elle déborde laisse partir les excréments entrainés par les pluies, et en contrebas, des femmes lavent le linge ! » Pas de taux d’incidence des bactéries sur la santé des habitants du lieu, alors que le péril est bien là. Le lit de la rivière est en saison sèche un lit de déchets, qui dégringoleront sur la route à Kawéni aux premières fortes pluies, « après on nous dit qu’on ne sait pas gérer nos collectivités ! Mais comment faire ?! », lâche le maire excédé. Parmi la rocaille, tel une oasis, l’eau sourd, un petit puits naturel est aménagé.
Alors que la petite troupe emprunte le passage à flanc de colline bien connu des visites ministérielles, un petit étal de bonbon comme surgi de nulle part, offre sucettes et friandises aux passants, comme sur une artère très passante.
Parmi les personnalités présentes, Gamil Kakal, le PDG de Cananga, gros propriétaire terrien à Mayotte, donc très sollicité. C’est sur ses terrains que se forment peu à peu les villages de cases en tôle grises et bleues, ces dernières datant de 2019. Les décisions à prendre émanant de la mairie ou de la préfecture le concernent donc directement. Il annonçait par ailleurs mettre à disposition de la mairie de Mamoudzou 15 hectares pour un projet d’agroforesterie, destiné à replacer la nature au cœur de Kawéni, et proposer aux habitants une activité vivrière qui pourra les nourrir.
Journée d’un patrimoine non désiré
Arrivés sur un plateau à l’ombre, chacun dresse un bilan de l’heure et demi de marche. En montrant le paysage garni de taches grises et bleues, le maire de Mamoudzou est un peu abattu, « c’est notre patrimoine non désiré », lâche-t-il en parallèle avec les Journées européennes du patrimoine qui se déroulent ce week-end. Et demande, à l’instar du sénateur Hassani Abdallah, davantage de législation. Ce dernier pointait les spécificités : « Nous n’avons pas assez de temps pour détruire. Le délai de flagrance nous l’interdit à partir de 72h, or, une case met moins de deux jours pour se construire. La loi est prévue pour des maisons en dur. Il faut rallonger ce délai. » Ce rallongement était notamment inscrit dans la loi Mayotte.
De son côté, Chaharoumani Chamassi nous informait du passage de l’effectif des policiers municipaux de Mamoudzou à 65 dans les prochaines semaines, « mais nous ne pouvons pas les envoyer seuls dans ces quartiers ».
Le préfet Thierry Suquet tenait à faire passer deux messages : « Tout d’abord, avant de vouloir légiférer de nouveau, nous sommes loin d’avoir utilisé toutes les règles actuelles de la police de l’urbanisme », il se pourrait donc que davantage d’opérations de démolitions soient menées par ce biais. « D’autre part, il va y avoir du changement. Le président de la République nous l’a dit jeudi dernier en réunion des préfets, la Guyane et Mayotte sont deux territoires à part, où la situation demande d’autres règles ».
« Une impasse »
La presse nationale rapporte en effet les propos tenus par Emmanuel Macron au sujet de la Guyane et Mayotte, « deux territoires où il faut changer les règles avec beaucoup de force parce que la réalité géographique et démographique de ces territoires est différente du reste du sol de la République ». Gérald Darmanin a voulu pousser plus loin le curseur de la présence d’un parent en situation régulière avant la naissance de son enfant, en demandant de la passer de 3 mois à un an. Mais un audit doit être fait au préalable de la mesure actuellement en place, avait demandé l’auteur de ce bouleversement, le sénateur Thani Mohamed Soilihi, et le conseil constitutionnel a son mot à dire.
Le sénateur mahorais qui met en garde dans un article de Public-Sénat: « Si le quotidien des Mahorais ne s’améliore pas, on va se retrouver dans une impasse ». Un article qui revient comme nous l’avions évoqué, sur une nécessaire coopération avec les Comores, et « la mise en place un grand plan de développement économique et social qui pourrait passer par le tourisme et les activités maritimes, l’archipel pouvant servir de point de relais entre le golfe persique et le sud du continent africain ».
Le maire de Mamoudzou sera-t-il parvenu à faire passer son message sur le péril imminent de ces quartiers ? En tout cas, il invitait tous les présents à assister ce jeudi au bilan des déclinaisons des mesures prises lors des Assises de la sécurité.
Anne Perzo-Lafond