Dans la salle, une grande photographie du quartier Bonobo, réalisée par Nayl Mtoubani, capte rapidement l’attention. Placée en arrière-plan, elle domine subtilement l’espace : maisons éventrées, tôles arrachées, collines dévétues. Cette image donne le ton : ici, l’art sert à se souvenir.

Un peu plus loin, l’œuvre « Chido de l’artiste Deutch », composée de morceaux de miroirs brisés et de brindilles ramasés juste après la tempête, attire tous les regards. Elle est sans doute celle qui a le plus marqué les visiteurs. Asmai Hamada, confie : “J’ai revécu certaines scènes en voyant ce tableau. Mais ça m’a aussi permis de me rappeler que malgré tout, on est toujours debout”. Le peintre a marqué les esprits avec deux toiles : “Mémoire des tôles”, portrait d’un vieil homme qui s’efface sur un bout de tôle rouillé, et “Chido” qui signifie « miroir » en shimaoré, et l’œuvre agit bien comme tel : chacun y retrouve son propre souvenir de ce fameux jour.
La photographie a aussi trouvé sa place. Dylan Nourdine a immortalisé un homme en prière dans un lieu de culte abîmé, portant un t-shirt où l’on lit Alhamdoulillah (Dieu merci). À ses côtés, Kamardine Mohamed Rabion a figé une scène de solidarité autour d’un puit, symbole de survie collective. “Cette image raconte comment les habitants ont recréé du lien dans l’adversité. Seul, personne n’aurait pu s’en sortir, ensemble, on survit”, explique-t-il. Le photographe Ismael Kidza, quant à lui réfugié dans une mosquée au moment du drame, confie avoir pris des clichés presque instinctivement : “C’était ma façon de témoigner et de rendre hommage aux victimes”.
Des expressions artisitques contrastées
Les artistes ont répondu avec des langages variés. PapaJan lui s’est emparé du cyclone sous forme de bande dessinée et de graffitis. Ses planches montrent des silhouettes errant parmi les décombres, mais toujours en couleur. “Mon tableau est un souvenir. Après la tempête, on ne savait pas qui avait survécu. Mais tant qu’on est vivant, on peut rire”, affirme-t-il. Son œuvre s’intitule “Ce qui ne tue pas…”, trois petits points laissés volontairement. Pour lui, c’est au public de choisir la fin : “Ça peut faire rire ou rendre triste. Ce qui ne tue pas peut être positif comme négatif. Tout dépend de la personne”. Boaz Mbemba, avec son œuvre “La danse du vent”, a mêlé peinture et danse contemporaine africaine. Il explique : “Le thème c’était Chido et le vent. Je me suis dit : je vais partir sur les racines, et les racines c’est un fil. Ce fil pour moi, c’est la mémoire, c’est le témoignage, c’est la résilience, c’est aussi pour cela que j’en ai mis sur ma peinture”.

Béatrice Édouard apporte une dimension singulière : elle est la seule à proposer une œuvre joyeuse. Sa peinture d’une mariée en vêtement traditionnel, bien qu’elle n’ait pas été réalisée spécialement pour l’exposition, illustre que malgré le chaos, la vie continue. Elle témoigne : “Après Chido, j’avais perdu toute envie de peindre. C’est en reprenant mes pinceaux que j’ai retrouvé un peu d’espoir”. Cette œuvre symbolise les unions et les mariages qui ont eu lieu après le cyclone.
Pour Denis Balthazar, le directeur artistique, cette démarche s’est imposée comme une évidence. “Tout de suite après le cyclone, nous avons pensé qu’il fallait donner à la population un moyen de se reconstruire. L’art permet de transformer la dureté de l’événement en une expérience esthétique qui apaise et rassemble”, confie-t-il.
L’exposition comme espace de parole, de mémoire et de résilience
Au-delà des artistes, l’exposition a profondément touché les visiteurs. Nakida Radjabou, qui a vécu le cyclone, partage son avis. “À Mayotte, on a l’habitude de garder nos émotions. Là, l’art nous aide à exprimer ce qu’on a traversé et à partager ce traumatisme”.

Pour Fatima Ousseni, membre de l’organisation, l’exposition porte un message collectif. “Le directeur artistique est arrivé sur l’île juste après le cyclone. Il a constaté le silence : personne ne s’adressait à la population. Il a voulu parler aux âmes avec l’art. Chaque œuvre est une réponse, un témoignage”, raconte-t-elle. Un discours qui rejoint celui de l’enseignant Yoann Elisabeth-Mesnager qui lui retient la dimension universelle de l’exposition : “Le cyclone nous a rappelé notre fragilité. Mais il a aussi montré la solidarité. Quand on voit ces œuvres, on retrouve un regard d’enfant qui apprend à voir le monde autrement”.
Visible jusqu’à la fin du mois d’octobre, l’exposition “Les mémoires du vent” ne se contente pas de commémorer le 14 décembre 2024. Elle propose aux Mahorais un espace où transformer la douleur en mémoire partagée. Trois mots semblent résumer l’esprit de l’exposition : résilience, solidarité et foi.
Shanyce Mathias