Après les arts et divertissements en 2019, patrimoine et éducation en 2020, patrimoine pour tous en 2021 et enfin, patrimoine durable l’année passée, cette cuvée 2023 se voulait basée non pas sur une thématique mais bien deux relevant du patrimoine vivant et du patrimoine du sport. Une perspective assez large qui a trouvé pleine résonance en nos diverses communes ouvrant un champ des possibles inspiré et une participation plutôt riche et active à en découvrir les respectives programmations qui avaient été proposées tout au long de ce week-end.
N’ayant malheureusement pas la chance de pleinement maitriser le don d’ubiquité ni même la recette de la téléportation, notre rédaction s’est tout de même rendue en quelques rendez-vous pour partager, re-découvrir et parfois même en apprendre sur notre toute jeune région ultrapériphérique (RUP) européenne.
Chiconi, le partage dans l’assiette et dans les chants
C’est à heure matinale, dans les jardins de la bibliothèque municipale, que les dynamiques cocos du village s’affairent à éplucher et ciseler habilement les brèdes mafane mais pas que. Au menu, 5 à 6 plats traditionnels en perspective qui seront soumis à la dégustation du tout venant mais aussi des actifs participants, jeunes générations incluses. Car oui, là est toute la subtilité recherchée; faire de cet événement un échange ouvert et intergénérationnel comme nous l’explique Mariata Madjani, directrice de la bibliothèque en question : « À travers les années, ce qui a toujours uni les gens et arrêté le temps c’est bien la nourriture. Nos mamies sont toutes volontaires et les enfants sont là pour les observer mais également les aider et c’est ainsi que perdurent les traditions. C’est ce que nous souhaitons ».
À cette approche purement culinaire, se greffe également un volet littéraire, lieu oblige, nourri de contes plus ou moins ancestraux et de témoignages livrés par nos seniors préférés. Moments extraordinairement simples en apparence mais tellement beaux de par leurs essence et symbolique. En milieu d’après-midi, c’est au son des mbiwis que les familles et badauds se sont regroupés, non loin de là, sur la place centrale du village, face à la mer. Parmi la foule, une discrète mais non moins connue invitée qu’est l’anthropologue Éléna Bertuzzi :
« Par sa participation, Mayotte dévoile encore plus à la face du monde sa richesse tant culturelle que religieuse et cela casse les images inconscientes que les gens peuvent avoir. L’esprit de solidarité, de collaboration et de partage reprend pleinement sa place loin des clichés stigmatisants et d’autant plus en cette époque conflictuelle et polémique ».
Ouvrons les portes du culte
Du moins des lieux de cultes… C’est ce qu’offrait dans son volet visite guidée la commune de Mamoudzou.
Ainsi, les personnes nourries de saine curiosité et de questions aussi diverses que variées ont pu se rendre, par exemple, dans l’antre de la fameuse et grande Mosquée du vendredi de Kawéni destinée, dès les années 60, à accueillir en un même lieu tous les villageois se rendant à Mamoudzou pour ce jour de prière important M’kiri wa djimoi. Bien plus qu’une mosquée de quartier, elle est aussi et désormais célèbre pour avoir été le lieu d’emplacement de son Minbar; objet de culte quasi historique qui a bénéficié d’un financement dans le cadre du programme Le Plus Grand Musée de France pour sa restauration. Immersion aussi bien profitable qu’apaisante qui fut similaire en l’église de Notre Dame de Fatima. Plus récente que la chapelle de Saint-Michel, bâtie en 1849 en Petite-Terre, Notre Dame de Fatima a été édifiée en 2 temps, le premier en 1955 et une seconde extension bien plus récente en 2002.
C’est le Père Bienvenu Kasongo en personne qui accueille et joue les guides de circonstance : « Les gens se demandent si on peut entrer avec les chaussures, et bien oui tout comme ils souhaitent savoir comment on prie. C’est cette curiosité qui est belle, savoir comment fonctionnent les autres religions dans le respect, le dialogue et la saine collaboration. Les ouvertures ne se font ni dans la force ni dans la domination et encore moins dans le jugement. Nous sommes tous des religions monothéistes ayant une profonde foi qui doit avoir pour unique but que celui de nous mener vers la tolérance et l’amour. Ces journées du patrimoine sont l’occasion de s’ouvrir encore plus et tout le monde est le bienvenu ».
Place au sport à la pointe Mahabou
Dynamique et joviale ambiance au coeur même du parc et ce, grâce à divers ateliers ludico-compétitifs proposés, faisant partie, pour certains, d’un quotidien au final tellement ancré qu’on en oublierait la pleine complexité pour d’autres, plutôt néophytes en la matière tels que Valérie et Christophe, originaires de la Réunion, fraichement arrivés à Mayotte qui sont venus dans le cadre des ces journées du patrimoine un peu par hasard mais qui ne regrettent absolument pas la découverte et l’immersion :
« On nous a spontanément proposé de nous joindre à une équipe. C’est génial ! Je viens de faire le concours de râpage de coco. Eh ben ça n’est pas facile du tout, c’est très technique voire même dangereux », nous confie avec un sourire l’époux précité nous montrant ses paumes de mains un peu ensanglantées. Parmi les candidats, des jeunes de la commune s’étant inscrits auprès de leurs respectives MJC mais également des arrivants spontanés de tous âges venus s’essayer, tout au long de la journée, aussi à des traditions qui se perdent telles que la montée des grands troncs des cocotiers ou encore, bien plus rare, la course ya shekele. Véritable jeu de coordination et dextérité, les fous rires étaient garantis. Le but : se déplacer pieds nus sur des demi coques de noix de coco reliées par une ficelle.
Simple sur le papier, beaucoup moins dans les faits comme nous le confirme à chaud Sarmada : « Cela fait un mal fou, on doit se tenir droit et toute la pression est dans notre gros doigt de pied. Vous avez vu, personne n’a couru, même pas les enfants. C’est un jeu qu’on avait oublié ici à Mayotte ». Un autre oubli savoir-faire et artisanat qui s’inscrit de plus en plus dans le temps, celui de l’Art du tressage des feuilles de coco. Et à en juger les commentaires, nombreux étaient ceux qui n’avaient même jamais essayé et ce, qu’ils soient mzungus ou mahorais. « Il est évident que nous perdons ce que savaient faire nos anciens. Je suis ravi de tester pour la première fois et de comprendre cette technique du tressage; c’est loin d’être évident mais c’est vraiment sympa de s’essayer et de s’encourager en groupe » nous confie Amir, 16 ans originaire de Kaweni.
Les très réputées oranges de Mtsamboro
Du côté du Grand Nord de notre île, il était un retour fort émouvant, celui de la grande fête de l’orange. Et pour cause, la dernière remontant à 2009.
Tout un symbole. Le patrimoine de Mtsamboro et de son îlot au regard de la culture traditionnelle de ce fruit, au goût si significatif, pour ne pas dire singulier. Et pour ceux qui auraient le malheur de dire qu’une orange a la simple appétence d’une orange et ce, quelque qu’en soit le lieu, soyez certain que vous serez, au mieux, bannis, au pire, condamnés à manger des agrumes insipides et sans saveur ! Dès les premières heures, par kilos, les sacs, jus et confitures se sont arrachés et les gens, des 4 coins de l’île venaient. Une réputation qui perdure à travers les années et que l’ADINM*, aussi à l’origine de cette journée, souhaite voir revenir au devant de la scène en matière d’économie vivrière locale.
« L’orange chez nous, c’est tout une histoire qui se transmet de génération en génération » introduit Louara Ahmed, vice présidente de l’association précitée « Il y a malheureusement eu divers facteurs ces dernières années qui ont contribué à diminuer la production mais nous souhaitons pleinement relancer tout cela en conscience et de manière encadrée. La Direction des ressources terrestres et maritimes (Drtm) nous a fait don de 1 330 plans qui ont été replantés sur l’îlot. Ce sont au total 17 agriculteurs qui sont suivis activement par l’agronome Magali van Gelder et d’ici 4 à 5 ans, nous espérons récolter le fruit de tout cela en y incluant d’autres agriculteurs ». En plus des quelques producteurs et revendeurs, c’est une vingtaine d’exposants et restaurateurs qui sont venus se joindre à la fête et même si la pluie fut l’heureuse invitée, rien n’en fut gâché, bien au contraire.
Sada la belle
Pour ses journées européennes du patrimoine, le service culturel de Sada — sous l’égide de son adjointe au maire, Sitti Said — a vu varié, riche et grand.
Au programme, notamment pour 100 jeunes scolaires de la commune, visite architecturale et traditionnelle nourrie d’échange et de partage au sein de l’écogîte et restaurant le Chissioua. L’opportunité de découvrir les habitats d’autrefois tout comme son artisanat par deux fois, aussi en la maison du même nom. Petit crochet par la Mosquée du vendredi et direction, par voie maritime s’il vous plait, l’îlot de Sada, de quoi en mettre plein la vue et l’esprit à nos jeunes chanceux mais pas que. Du côté du parking principal attenant au littoral, exposition, marché, vente et animations toute la journée.
Des animations hautement rythmées grâce au groupe de Mbiwi Roses des îles du village de Mangajou mais également celui de Chok Chokou n°1 de Sada qui a littéralement mouillé le salouva offrant généreusement danses alliant à la fois modernité et traditionalisme plutôt rare, notamment au moyen de ce Wadaha, aussi connu sous le nom de danse du pilon, qui a littéralement envouté la spectatrice assemblée intergénérationnelle, impulsant même des féminines participations des plus spontanées. Inutile de préciser que l’ovation finale fut amplement méritée avant de laisser place à un folklore musical composé d’artistes locaux.
Une réussite unanime et participative appelant déjà avec grande impatience l’édition prochaine en 2024. Marahaba niengui à tous ces acteurs, bénévoles et volontaires qui ont oeuvré à faire de ce week-end un événement généralisé qui n’a rien à envier aux autres communes du monde entier.
MLG
*Agir pour le développement intégré du nord de Mayotte