Une étape décisive pour Mayotte
Dans les prochains mois, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) – le Département et certaines intercommunalités – lanceront leurs premiers réseaux de transport urbain et interurbain. C’est une avancée historique pour le 101ème département français, jusque-là privé de transports publics réguliers, hormis la desserte maritime entre Petite-Terre et Grande-Terre. Le droit à la mobilité, au cœur de la promesse républicaine, entre ainsi dans une phase concrète. Mais ce projet marque seulement le début d’un chantier complexe, mobilisant de nombreux acteurs aux intérêts parfois divergents. La loi d’orientation des mobilités (2019) a déjà fixé un cap : dépasser la seule notion de « transport » pour penser la mobilité dans son ensemble, en intégrant qualité de vie, inclusion sociale, performance économique et transition écologique.
Le défi majeur : financer la mobilité

Avec une urbanisation rapide, pas toujours maîtrisée, et une croissance démographique soutenue, Mayotte doit mettre en place des solutions de transport efficaces, accessibles et durables. Ces ambitions impliquent toutefois un mur de dépenses : infrastructures, matériel roulant, financement de l’exploitation et de l’entretien des lignes, etc. Il en va également de l’avenir du STM et des futures lignes de transport maritime, dont l’exploitation devra bénéficier d’une attention particulière, au regard des opportunités de complémentarité entre les réseaux terrestres et maritimes ainsi que des évolutions structurelles du territoire.
Les collectivités devront notamment trouver un équilibre entre des investissements lourds mais indispensables et les dépenses de fonctionnement, qui constituent la part la plus importante (exploitation des lignes, ressources humaines, entretien, sécurité…). Il convient de rappeler que les dépenses pour le transport public sont couvertes par les recettes, c’est-à-dire l’achat de billets par les clients voyageurs. Le reste relève des impôts – budget national et budget des collectivités autorités organisatrices des mobilités – et du versement mobilité – taxe payée par les entreprises de 11 salariés pour participer au financement du transport local et d’ailleurs déjà prélevée par la CADEMA.
La question centrale est donc la suivante : comment bâtir un modèle de financement pérenne, capable de garantir une offre régulière, fiable et attractive, dans un département où les collectivités locales évoluent dans un contexte budgétaire contraint et incertain, où la majorité des entreprises concernées par le versement mobilité siègent à l’échelle de la CADEMA, alors que 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que le chômage atteint des niveaux record ? Une chose est certaine, sans alternatives crédibles à la voiture individuelle, Mayotte s’expose à une congestion chronique et récurrente et à un ralentissement de son développement économique.
Les autorités organisatrices vont devoir impérativement développer plusieurs axes :
- Assurer des services réguliers, accessibles et fiables ;
- Étendre la couverture du territoire avec des solutions adaptées, notamment pour les zones peu denses ;
- Mettre en place des solutions complémentaires de mobilité : taxis, transport à la demande, vélo, mobilité partagée.
Quel pilotage à l’échelle du Département ?

Il ne s’agit donc pas seulement d’un sujet de transport, mais d’un enjeu de société : faciliter les déplacements, soutenir l’activité économique, limiter la pollution et désengorger les routes. Plusieurs leviers existent pour améliorer l’efficacité du système :
- Coordination institutionnelle : mettre en place une structure de pilotage départementale afin d’harmoniser les décisions et de définir un modèle de gouvernance adapté au contexte économique et social local.
- Productivité et attractivité : faciliter la régularité des services grâce à une gestion optimisée de la voirie, incluant des couloirs de bus et des priorités aux carrefours.
- Diversification des modes : associer taxis et solutions de mobilité souple dans le service public.
- Contractualisation incitative : instaurer des clauses de performance et de partage de gains avec les exploitants.
- Concurrence encadrée : envisager l’allotissement des réseaux pour maîtriser les coûts.
- Tarification adaptée : modulation selon les zones, horaires ou services, tout en préservant une tarification sociale.
- Politique de stationnement : renforcer les liens entre gestion du stationnement et développement des transports publics.
Ces mesures visent à optimiser l’utilisation des financements existants et à prévenir des investissements disproportionnés au regard des besoins réels du territoire.
Conclusion : un choix de société

Mayotte est à un tournant. Développer les transports publics, ce n’est pas seulement mettre des bus et des cars sur les routes : c’est garantir à chaque habitant le droit à la mobilité, soutenir l’économie locale et protéger l’environnement. Les questions qui se posent sont claires :
- Comment assurer une offre de transport adaptée à chaque territoire et aux besoins des Mahorais ?
- Comment équilibrer financement public, contribution des entreprises et participation des usagers ?
- Comment bâtir une mobilité durable qui concilie équité sociale et efficacité économique ?
La réponse passera par une meilleure organisation, des choix adaptés et une gestion rigoureuse des ressources. Plus qu’un réseau de transport, c’est une nouvelle vision de la mobilité, un modèle à trouver qu’il faut inventer pour l’avenir de Mayotte.
Mohamed Hamissi
Directeur des mobilités à la CCPT