A quelques jours de Noël, le 23 décembre 2023, Galiane Lavisse a cru vivre les dernières heures de sa vie sur la plage de Kani-Bé au Sud de l’île, dans la commune de Kani-Kéli. Alors que son groupe d’amis venait de quitter les lieux peu avant 18h, et qu’elle s’attardait pour contempler le coucher de soleil, la jeune femme d’une trentaine d’années est violemment abordée par un homme cagoulé et muni d’une machette, qui lui lance deux mots : « Madame, téléphone ». Ayant le réflexe de préserver cet instrument, à la fois de travail et de données personnelles, mais surtout, lien indispensable pour appeler les secours, elle le tient fermement en suppliant son agresseur, provoquant sa colère. Il lui assène plusieurs coups sur la cuisse avec le plat de la lame. S’en suit un corps-à-corps au cours duquel elle parvient à lui arracher sa cagoule. Lors de notre échange, elle nous explique alors avoir intensément mémorisé les détails de son visage : « Il ne portait pas de cicatrice, des traits pas vraiment antipathiques, des pommettes un peu épaisses, des cheveux courts et bien coupés, des oreilles plutôt petites et rondes, des sourcils assez épais ».
Une fois au sol, la victime se retrouve à plat ventre dans le sable, la machette coincée sous le bras gauche, dont la lame découverte lui frôle le cou. « J’ai cru mourir ! », nous rapporte-t-elle à plusieurs reprises. Elle essaie de crier pour appeler de l’aide, il tente de l’en empêcher. Tout en parvenant à se relever, elle reçoit un violent coup de lame sur la main pour lui faire céder son téléphone. Profitant d’un retrait de son agresseur elle parvient à s’enfuir et à appeler un de ses amis policiers de la BAC en visio, qui alerte aussitôt la gendarmerie. Mais l’homme à la machette revient en courant derrière elle, cagoule à poste, ce qui ne permettra pas au policier de le visualiser. Il lui assènera de nouveaux coups de lame, mais cette fois sur le buste, parvient à lui arracher son téléphone, son sac banane, et son casque de scooter qu’elle était parvenue à enfiler.
L’agresseur prend la fuite avec son butin, laissant sa victime ensanglantée sur le bas-côté, qui parviendra à enfourcher son deux-roues et à le manœuvrer malgré sa main droite fracturée. Elle réussira à donner l’alerte et sera prise en charge par le dispensaire de Mamoudzou. Verdict du corps médical : une triple fracture de la main nécessitant la pose de trois broches, un menton suturé avec 4 points, de multiples lésions, impliquant 60 jours d’ITT (Incapacité Totale de Travail).
Sur place mais sans trace ADN

L’ouverture de l’enquête incitera les gendarmes à faire le parallèle avec deux autres affaires. Celle d’une agression quelques semaines auparavant, le 24 octobre 2023, sur la même commune de Kani-Kéli, contre un couple dont la voiture est garée au parking de la plage de Kani-Bé, par un individu au visage caché et muni d’une machette qui leur dérobera 100 euros.
Faits similaires contre deux autres personnes le 9 novembre 2023, également menacées d’une machette par un individu dont le visage était dissimulé par un tee-shirt, qui leur volait leurs téléphones portables et 600 euros. Appelés, les gendarmes arrivaient sur les lieux pour observer la fuite d’un homme abandonnant un sac de supermarché contenant un masque et un tuba de plongée, ainsi qu’une paire de gants troués.
Après expertise des objets, l’ADN d’un certain Ibrahim*, né en 1993 à Anjouan est retrouvé sur le masque de plongée. L’homme est également connu sous l’identité de Soultoine*.
Le 29 avril 2024, il était interpellé alors qu’il circulait à bord d’un scooter. S’il nie en bloc les faits concernant les trois affaires, il reconnait être allé le 9 novembre 2023 à la plage de Kani-Bé, « pour pêcher », et avoir fui en apercevant les gendarmes car il n’avait pas ses papiers. Il indiquait avoir été sur cette même plage de Kani-Bé le 23 décembre 2023, mais en matinée, « pour pêcher le poulpe ».
Pour autant, son ADN n’est retrouvé nulle part ailleurs, pas plus sur la peau de Galiane Lavisse, que sur le casque de son scooter, mais la présence de sable pourrait sans doute l’expliquer. Et l’analyse de la géolocalisation de son téléphone faite entre le 24 octobre 2023 et le 10 novembre 2023 ne permettait pas de le situer sur les lieux des deux agressions commises en octobre et novembre 2023.
Des relevés téléphoniques hors sujet

Une perquisition est menée le 30 avril 2024 au domicile d’Ibrahim où les enquêteurs trouveront cinq smartphones en pièces détachées, en dehors de son passeport comorien.
Le 1er mai 2024, le procureur de la République ouvrait une information des chefs de vol avec arme, d’extorsion avec arme commis le 24 octobre 2023 à Kani-Kéli, au préjudice du couple, ainsi que de vol aggravé commis le 23 décembre 2023 à Kani-Kéli ainsi que de violences volontaires aggravées avec arme et le visage dissimulé au préjudice de Galiane Lavisse.
Aucune des 4 premières victimes ne reconnaissait son agresseur sur planche photographique, pas plus que lors de la confrontation. Ce n’est pas le cas de Galiane Lavisse qui reconnait formellement son agresseur. Mais pour la juge d’instruction, les preuves sont insuffisantes, elle ordonne donc un non-lieu ce 5 septembre 2025. Elle le justifie par une reconnaissance qui intervient plusieurs mois après les faits, donc trop tardivement, mais également, par l’absence de géolocalisation d’Ibrahim sur ladite plage de Kani-Bé, « les réquisitions pour les factures détaillées sur la ligne qu’il utilisait ne couvraient pas cette date du 23 décembre 2023 », mentionne l’ordonnance de non-lieu, donc un aveu de manquement, et enfin, aucune trace papillaire pouvant le confondre n’a été retrouvée sur les affaires de la jeune femme.
C’est une victime ébranlée que nous avons eue au téléphone. Pour Galiane Lavisse, c’est bien son agresseur qu’elle a eu devant elle pendant la confrontation. Elle nous explique les éléments qui fondent sa certitude. « Le lendemain de mon agression, je me suis fait un audio avec les descriptions précises de mon agresseur. Cela fait quatre ans que je travaille dans l’insertion à Mayotte, j’ai donc l’habitude de reconnaitre les différentes morphologies. D’autre part, quand la gendarmerie me montre une première photo peu après mon agression, j’hésite, car il lui ressemble en dehors du nez. Mais il se trouve qu’il avait sur cette image le nez enflé. Sur une 2ème photo qui m’est présentée plus tard, je le reconnais formellement, et on m’explique que c’est la même personne, mais prise plus récemment ! ». Aucun portrait-robot ne lui a été demandé au lendemain de son agression.
Non confiée à la Section de recherche

Lors de la confrontation avec Ibrahim, celle qui fait habituellement montre d’une grande maitrise d’elle-même, perd tous ses moyens, « je me suis sentie immédiatement en détresse, il n’y a aucun doute, c’est bien lui ». Il parle le même français approximatif, « et il n’a jamais dit qu’il n’était pas sur la plage cet après-midi-là ».
Il reste beaucoup d’interrogations sur cette enquête. Comment le suspect explique-t-il la présence de 5 smartphones en pièces détachées chez lui ? Pourquoi la géolocalisation n’a-elle pas été ordonnée sur ce 23 décembre 2023 ? A-t-il été interrogé sur sa pêche au poulpe ? Comment se fait-il qu’il se retrouve systématiquement sur les plages les jours d’agression ? Si les deux premières affaires relèvent du même mode opératoire, peut-on rattacher celle de Galiane Lavisse ? Pourquoi après plus de 30 coups de machette qui évoque une tentative d’homicide, l’affaire n’a-t-elle pas été jugée aux assises ? Et pourquoi n’a-t-elle pas été confiée à la Section de Recherche de la Gendarmerie nationale, habituée à ce type d’enquête. Trop d’interrogations pour l’étiqueter d’un simple non-lieu final.
Et autant de questions que ne manquera pas de soulever une nouvelle fois le conseil de la jeune femme, puisqu’elle a décidé de faire appel de la décision, « non seulement je suis abattue, mais je veux me battre pour éviter qu’il y ait de nouvelles agressions », nous explique-t-elle, qui compte 25 cicatrices cutanées, et des séquelles corporelles.
Anne Perzo-Lafond
* Prénom d’emprunt