Ce mardi 2 septembre, le ministre d’État, ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a poursuivi sa visite officielle à Mayotte. Après une première journée consacrée, notamment, à la gestion des déchets et à la production d’eau avec la visite de l’usine d’Ironi Bé, il s’est intéressé aux différentes fonctions du sol, à la fois support nourricier et économique avec l’agriculture, protecteur via les forêts et lieu d’ancrage à travers l’accès à la propriété.
Plus de huit mois après le passage du cyclone Chido, ces fonctions restent fragilisées. La relance de l’activité agricole demeure difficile, les forêts tardent à se régénérer en saison sèche et restent menacées par les incendies, tandis que l’accès à la propriété déjà complexe, connaît des difficultés exacerbées par la catastrophe. Sans actions urgentes sur ces trois domaines, la reconstruction reste impossible et la visibilité à long terme compromise.
La relance agricole durable compromise par des aides fragmentées

La matinée a débuté à 10h15 à Combani, sur l’exploitation SCEA MALAVOUNI Mahoraises. Fouadi Salim, gérant de la Coopérative des agriculteurs du centre (COOPAC), a accueilli le ministre et le préfet sur ses parcelles familiales. La coopérative regroupe sept agriculteurs et vingt-huit exploitations. Avant Chido, elle réalisait un chiffre d’affaires mensuel de 60.000 euros en 2019, puis 110.000 euros en 2024. La catastrophe a fait chuter ces revenus à près de 48.000 euros, bouleversant la dynamique économique de la coopérative.
« Salades, concombres, aubergines… avant le cyclone nous commencions à trouver un rendement, maintenant il faut tout reconstruire », souligne Fouadi Salim. L’agriculteur a obtenu une première aide de 15.000 euros via le fonds de solidarité mais attend de nouveaux financements. La coopérative a remporté un appel à projets France 2030, mais le dispositif, qui ne finance que 80 % des projets, laisse près de 240.000 euros de dépenses par agriculteur, un montant impossible à assumer.

« Qu’est-ce qui bloque concrètement la relance ? », a interrogé Manuel Valls. Les exploitants ont déploré des aides arrivant au compte-gouttes, suffisantes pour survivre mais pas pour reconstruire durablement. Gilles, membre de la coopérative, a souligné que les livraisons de fruits et légumes, autrefois quotidiennes, se font désormais tous les trois jours. Il a demandé trois mesures : relever le taux de financement à 90 %, créer un prêt garanti par l’État pour l’agriculture mahoraise et mettre en place une assurance agricole spécifique.
« L’urgent est que l’argent arrive rapidement sur les trésoreries des exploitants pour reconstruire les serres », a insisté le ministre. La COOPAC vise à rebâtir en priorité deux serres avant la prochaine saison des pluies, sur un total de huit, pour un coût de 36.000 euros. La reconstruction complète est estimée à 500.000 euros.

« L’ensemble de la filière agricole a été dévasté. Les aides du ministère de l’Agriculture, de la MSA et du ministère des Outre-mer ont déjà bénéficié à plus de 1.500 exploitants. D’ici fin 2025, plus de 200 millions d’euros auront été versés. C’est un soutien exceptionnel dans l’histoire de l’agriculture mahoraise », a rappelé Manuel Valls, précisant que l’objectif à long terme est d’atteindre l’autonomie alimentaire du territoire.
« Il faut remettre en place les serres avant la saison des pluies sinon il va y avoir des inondations, et il faudra recommencer« , alerte Yannis, le fils du propriétaire des parcelles, qui aimerait beaucoup prendre en main la suite de l’exploitation. « C’est difficile, il y a beaucoup de travail mais mon père tient le coup ».
Les 5 priorités pour les forêts de Mayotte
À 11 h 30, Manuel Valls s’est rendu sur un site de reboisement au Mont Combani. Avant le cyclone, les arbres masquaient le soleil, désormais la chaleur est intense. « 90 % du site a été fortement endommagé, voire détruit », explique Rachida Omar, directrice de l’agence territoriale de Mayotte de l’ONF. Le chiffre est de 85 % pour les forêts publiques.

À Combani l’enjeu est de taille. La forêt est située à proximité des retenues collinaires et abrite les principaux cours d’eau qui alimentent les bassins. En collaboration avec le bataillon de reconstruction, l’ONF a dans un premier temps procédé à la sécurisation de la forêt et souhaite dorénavant accélérer le reboisement. Une étape clé et urgente loin d’être acquise puisque les pépiniéristes également touchés par le cyclone, peinent à se relever, que la forêt est menacée par les incendies et que les plantes invasives commencent à parsemer les terrains. « Il faut procéder au reboisement au plus vite, certaines zones ne pourront se régénérer elles-mêmes puisque les graines sont détruites. On a commandé les plants aux pépiniéristes mais il faut attendre entre 6 mois et 1 an avant de les planter », détaille Rachida Omar.
Elle appelle à un pilotage renforcé pour une gestion a long terme de la forêt, avec un observatoire cartographiant les zones à risques, celles pouvant se régénérer naturellement et celles nécessitant un reboisement. La coopération avec le SDIS doit aussi être améliorée pour stopper efficacement les incendies.

« Notre plan pour la forêt repose sur cinq priorités : prévention des feux, lutte contre les espèces envahissantes, restauration, réhabilitation des sentiers et contrôle des cultures illégales », a déclaré Manuel Valls, soulignant la nécessité de mieux coordonner les acteurs. Sur le plan financier, 175.000 euros ont été versés aux pépiniéristes, dont deux ont remporté un appel à projets national pour 465.000 euros, auxquels s’ajoutent 5 millions spécifiquement dédiés au reboisement dans le cadre du plan stratégique national.
Avant de quitter le Mont Combani, le ministre a planté trois arbrisseaux, qu’il a nommés « Espoir », « État » et « Bataillon », en hommage au travail du Bataillon de reconstruction.
Accès à la propriété et indemnisation, « il faut sécuriser les familles Mahoraises »
Le ministre Manuel Valls s’est rendu dans le quartier de Bonovo, en plein chantier suite à une opération de décasage, sur les hauteurs de M’tsapéré à 12 h 30, pour faire un point sur la régularisation du foncier et le dispositif du guichet commun, un enjeu majeur particulièrement après le passage du cyclone Chido.

À Bonovo, un habitant présent depuis 40 ans dans le quartier a enfin pu obtenir un titre de propriété grâce à la Commission d’Urgence Foncière (CUF), qui collabore avec le guichet commun. « Après tant d’années, la CUF m’a permis d’avoir un titre en l’espace d’un mois », raconte-t-il. Mais sa maison ayant perdu sa toiture lors de Chido et sans assurance, il reste incertain quant à la reconstruction.
Pour permettre aux habitants de reconstruire et de sécuriser leurs droits de propriété, un guichet foncier commun, regroupant l’État, le Département, la CUF, la DEALM et la DRFIP, vise à centraliser les démarches administratives. Ce dispositif récent offre un point de contact unique et simplifie l’accès aux titres fonciers.

Sur le territoire le travail à accomplir est colossal. Le cadastre identifiait environ 80.000 parcelles en 1999-2000 ; aujourd’hui, près de 200.000 parcelles sont à régulariser sur le territoire, selon Cédric Maleysson, directeur de la CUF. Pour accélérer le processus, tous les acteurs doivent se mobiliser, avec le guichet commun mais aussi le tout nouvel établissement public EP2R.
Concernant la reconstruction, Manuel Valls a évoqué le prêt à taux zéro et déploré la réticence culturelle et le manque de confiance qui freinent l’accès à ce dispositif. Malgré des simplifications administratives et des efforts de communication, seuls une cinquantaine de dossiers sur moins de 300 ont été acceptés récemment, a précisé le préfet.
« Chido a mis en exergue des problèmes anciens, comme le cadastre et les titres de propriété. Je ne parle pas des situations illégales ni des bangas. Il y a des rumeurs d’expropriation, il ne faut pas agiter les peurs. L’objectif est de sécuriser les familles mahoraises », a précisé Manuel Valls. « Des terrains départementaux occupés illégalement doivent être reconstitués pour les familles légitimes ».

Le ministre a signé une convention avec la préfecture et la CUF pour subventionner l’emploi de deux géomètres experts qui se rendront prochainement sur le terrain. À Bonovo, sur 830 parcelles, 130 sont non régularisées ; 51 familles ont obtenu un titre et les 80 restantes sont accompagnées pour envisager la régularisation.
En fin de journée, Manuel Valls s’est rendu à Doujani, au siège de l’EPFAM, pour lancer officiellement l’EP2R, nouvel établissement public chargé de piloter efficacement la reconstruction et la refondation de Mayotte, coordonnant financement, supervision et grands projets tout en assurant un ancrage fort avec les acteurs locaux.
Lors de la séquence, le sénateur Saïd Omar Oili, a accueilli le nouveau directeur de l’EP2R, Benoît Gars. Il a souligné l’importance de son expérience dans les collectivités territoriales pour allier expertise technique et connaissance du territoire afin de relever les enjeux locaux. La présidence de l’établissement revient au Conseil départemental de Mayotte, Ben Issa Ousséni.
Victor Diwisch