Économie et croissance vertes, protection de l’Environnement, préservation des ressources naturelles, autonomie alimentaire et durable développement… Des politiques se voulant désormais prioritaires du niveau local à celui d’international. Des prises de conscience plus ou moins concrètes et des mesures plus ou moins actées qui s’y prêtent. Comment s’articule l’univers d’un professionnel à la fois de l’Agriculture et de l’Agrologie aussi en cette période de sécheresse et de crise l’eau. C’est directement en terrain sud, dans son exploitation, que nous avons échangé avec Clément Rollet.
JDM : On ne peut concevoir un arbre sans racine mais qu’en est-il d’un pépiniériste sans eau ?
C.R : Il est évident et sans surprise que l’eau se fait de plus en plus rare. Son usage se voudrait normalement controlé mais dans les faits, nous y sommes loin. En tant que professionnels, nous avons l’obligation de procéder à des demandes officielles de prélèvement. Malheureusement, tout le monde ne joue pas le jeu et il faut aussi informer et communiquer là dessus pour sensibiliser les concernés. À cela s’ajoute également les captages sauvages et tout ceci se fait encore en toute impunité.
JDM : Selon vous, comment peut-on enrayer ce phénomène justement ?
C.R : C’est une réalité généralisée, les captages illégaux sont de partout à Mayotte pour un usage bien supérieur à celui qui devrait être prévu exclusivement pour les agriculteurs professionnels pleinement régularisés. Les cultures informelles, même de loisir, n’ont aucune restriction vu qu’elles n’existent pas sur le papier.
Dans ma zone, nous sommes à peine une dizaine de professionnels, c’est déjà assez difficile comme ça de s’installer, si en plus on doit lutter contre les captages sauvages, vous comprenez que c’est peine perdue. Il existe une brigade de l’eau mais ils sont peu nombreux sur la commune et s’ils se déplacent, c’est juste pour constater, marquer un point GPS et seulement à l’issue de cela, il faut attendre la venue de la gendarmerie pour couper le tuyau concerné. Cela peu prendre des semaines. En attendant, même si c’est sur notre terrain, nous n’avons pas le droit de toucher à ce tuyau. Donc en gros, on ne peut rien faire, si ce n’est attendre ! Et on ne peut bien évidemment pas se faire justice soi-même car, d’une part, nous sommes déclarés, identifiés, donc justiciables et passibles d’une amende, face à un propriétaire de tuyau bien souvent anonyme et, d’autre part, nous anticipons aussi les potentielles représailles. Ça n’est pas évident.
Je ne pense pas que ce phénomène puisse cesser par contre, il faut des politiques de terrain plus persuasives pour que les gens réalisent qu’ils sont dans l’illégalité justement face à l’actuelle impunité qui perdure. Dans un second volet, il faut une vraie enquête, remonter voir où atterrissent ces captages, savoir de quel terrain il s’agit, appartenant à qui, savoir qui travaille(nt) dessus, main d’oeuvre légale ou non. Voir s’il existe des contrats en règle, voir ce qui est produit, la quantité etc.
Un moment donné, si quelqu’un est fonctionnaire, qu’il passe sa semaine au bureau, qu’il a un terrain à la campagne, où il n’y est que les week-ends, et qu’il a par miracle et claquement de doigts une fertile production, il faut être réaliste, ça ne se fait pas tout seul et il faut imposer des sanctions ! Des sanctions aussi au niveau de la vente aux bords des routes. Les gens qui s’arrêtent pour acheter à ces marchands participent à toute cette économie souterraine et cette accélération de l’appauvrissement hydrique mais aussi de la pollution des sols car, bien souvent, on n’est pas regardant sur l’utilisation des pesticides ou autres en ces exploitations.
JDM : Votre exploitation subit-elle déjà un impact au regard de cette crise de l’eau ?
C.R : Durant des années, j’étais sur Coconi, ma production s’étalait aux alentours de 700 m2. Maintenant que je suis dans le Sud, sur une surface plus importante, je pourrais cultiver davantage mais tout ceci est conditionné par mes réserves d’eau justement. Je n’ai qu’un seul stockage de 200 m3 et heureusement que je l’avais anticipé. La situation globale ne va pas s’améliorer du jour au lendemain et je compte les gouttes. Comme beaucoup d’autres agriculteurs professionnels, je vis un peu au jour le jour. À cela s’ajoute une 2ème conséquence qui touche directement mes ventes qui ont déjà diminuées.
Comment vendre des plantes, ’’non essentielles’’ de surcroît, à des gens qui n’ont pas d’eau ? Ça peut faire sourire mais c’est la réalité. Et en fonction de l’évolution de tout cela, je serai contraint d’envisager autre chose. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas eu de mise à disposition de citernes pour les particuliers et professionnels bien en amont. Aujourd’hui, les besoins sont là, les prix explosent; là aussi, il faut arrêter de profiter de la misère des gens et avoir une réelle dynamique solidaire. Nous vivons tous ensemble sur un petit bout de caillou, il serait temps de réaliser que nous dépendons tous les uns des autres.
JDM : Quelle(s) potentielle(s) alternative(s)/solution(s) s’offre(nt) à vous ?
C.R : Il est important de comprendre que plus on exploite ces réserves d’eau de surface, sans parler de leur pollution, moindre sera la quantité qui parviendra à s’infiltrer pour les réserves souterraines et la richesse des sols. Si nous devons continuer à nous battre pour cette eau, en plus du fait qu’on nous la vole etc. nous sommes de plus en plus d’agriculteurs à songer à l’option des forages. Cela coute extrêmement cher, notamment la phase d’étude, mais cela peut être pris en charge par des aides européennes dans le cadre de travaux de modernisation d’une exploitation. Il est évident que cela prend du temps, c’est un investissement qu’il faut avancer et la réactivité se table plus sur du 2 ans que de l’immédiateté, raison double d’engager, dès maintenant, des moyens locaux pour régulariser et préserver tout cela. Il existe un seul réseau d’eau agricole à Mayotte, au niveau du territoire Centre mais là encore, comme il n’y a pas vraiment de gestion et contrôle de tout cela, donc l’eau est utilisée sans vraiment être justifiée au niveau du débit ou autre.
JDM : L’État français pousse ses territoires ultramarins vers une souveraineté alimentaire et une préservation environnementale plus accrue. Comment peut-on appréhender la chose ici, à Mayotte.
C.R : C’est assez ironique qu’on soit toujours obligé d’ouvrir les yeux avec un certain retard. L’autonomie alimentaire, pourquoi pas ! Mais basée sur quels axes prioritaires, sur quels besoins concrets ? Quels produits en particulier ? Demain, j’arrête mes plantes ornementales, fruitières et médicinales et je me mets à cultiver des bananes. Ah c’est certain que cela sera plus intéressant pour moi financièrement mais sur du long terme, quelles conséquences sur la richesse même de la terre ? Et je ne vous parle même pas des problématiques récurrentes de vol…
On tend de plus en plus vers des cultures maigres en termes de consommation d’eau, l’Europe nous y pousse soit, parlons d’hydroponie. En gros, je cultive des tomates hors sol, elles en ont la forme mais pas l’apport complet vitaminique naturel, et comme il y a de forts besoins, je défriche, voire déforeste, massivement en amont une zone pour implanter mon industrie hydroponique, je fais couler une belle dalle de béton pour construire mon aire de culture naturelle non naturelle, je mets en place le tout mais ça ne se fera pas en un claquement de doigts…
Vous voyez déjà la complexité et je m’arrête volontairement là. Avant de parler d’autonomie alimentaire, il faut déjà structurer et soutenir cette filière agricole professionnelle. Définir un rapport global de la situation et vers quoi on souhaiterait tendre, tout en soulageant la complexité administrative pour les exploitants. À Mayotte, il est dommage de constater qu’il y a plus de gens dans les bureaux ou même d’ingénieurs, sensés s’occuper du développement de l’Agriculture sur notre territoire, que d’agriculteurs professionnels. Alors tant mieux mais quelles en sont les réelles retombées à l’heure actuelle ?
JDM : Comment pensez-vous que votre profession est perçue ?
C.R : À Mayotte, tout le monde est agriculteur ! Tout le monde va à sa petite campagne le week-end donc tout le monde est agriculteur. Notre profession n’est pas perçue comme quelque chose d’encadré, de carré. Les notions mêmes de parcelles et propriétés privées d’exploitation sont difficiles à faire respecter. Combien de personnes, mes confrères et moi-même, pouvons-nous trouver marchant sur nos terrains ou bien se servant directement.
Les vols sont monnaie courante et vivre à même son exploitation, comme il peut en être cas dans beaucoup d’endroits en Métropole ou autres, est quelque chose de quasi inenvisageable ici, pour motif majeur d’insécurité. Nous sommes donc des agriculteurs qui doivent, en plus, nous rendre dans nos respectives exploitations avec les embouteillages et autres problématiques. Au niveau matériel, là encore, il n’existe pas de magasins réellement spécifiques dédiés aux professionnels; nous sommes logés à la même enseigne que les particuliers, avec du matériel bien souvent de particuliers et des tarifications grand public. Être agriculteur je dirais que c’est une vraie religion au regard des nombreux sacrifices et contraintes. Pendant mes 4 premières années, je ne me suis pas versé de salaire pour pourvoir mettre une trésorerie de côté et l’utiliser en temps voulu pour justement faire monter en puissance mon entreprise; j’ai pu le faire car j’ai une épouse qui a un emploi plus stable entre guillemets mais si on est seul, c’est clairement du suicide. Il faut être lucide, une exploitation n’est pas viable avant 4 à 5 ans, le temps du démarrage et de la mise en place.
JDM : Quelconques aides pécuniaires ?
C.R : Je pense sincèrement que notre profession, reconnue comme vitale, ne devrait pas dépendre des aides. Nous devrions être bien rémunérés justement et rapidement soutenus et appuyés. Nous devons lutter contrer divers facteurs et sommes de surcroît en concurrence avec de l’illégalité bien plus intéressante économiquement parlant. Nous travaillons avec les mêmes outils que monsieur et madame tout le monde mais nous avons pour vocation et mission de nourrir légalement et sainement la population. Il serait important de valoriser notre profession. Oui l’entreprenariat est une liberté mais nous payons trop chère cette pseudo liberté justement.
Avant nous pouvions bénéficier des aides départementales appelées Minimis qui étaient des petits coups de pouce financiers plafonnés, plutôt faciles d’accès contrairement aux nombreuses contraintes liées aux financements européens; mais elles ont été arrêtées ici. De mon côté, je fais le nécessaire pour monter des dossiers d’aides nationales de types FranceAgrimer par exemple, ce qui m’a permis de financer dernièrement l’achat de tables de culture alimentées par un circuit fermé en eau.
JDM : Dernière question, cela représente quoi pour vous d’être agriculteur pépiniériste ?
C.R : On parle beaucoup de déforestation, des dommages collatéraux qui ne sont plus à prouver, de cet appauvrissement des sols et de cette eau qui ne peut même plus y pénétrer en certaines zones, sachant qu’elle se fait de plus en plus rare. À la base, un agriculteur c’est une personne qui respecte et utilise l’écosystème car ce dernier le fait vivre, en plus des connaissances techniques et professionnelles qu’il a amassées.
Plus que jamais, un agriculteur comprend qu’il dépend de la richesse et préservation de cette terre dont il en est aussi le gardien. Les personnes attirées par l’appât du rapide gain iront tout bruler pour faire des champs de salades ou autre mais ils ne s’inscrivent aucunement dans la durabilité. Un vrai agriculteur est donc, par définition même, un gardien de la terre et il fait du bien autour de lui. Je me répète, être agriculteur est une religion qu’il faut préserver.
Propos recueillis par MLG