En ces estivales vacances et en dehors des heures de prière, la quiétude règne aux abords de ce lieu sacré désormais sous le feu des projecteurs. Oui ! Les projecteurs mobiles des archéologues y travaillant à l’intérieur, en des postures, disons-le, plutôt complexes. Tantôt voûtés, courbés, tantôt à genoux ou sur-élevés, il y en a pour tous les goûts et fort probablement pour le plus grand bonheur des ostéo et des kiné… Ils grattent, ils aspirent, ils déblaient; en somme, ils sondent, farfouillent et étudient au millimètre près. Depuis 7h30, en ce mercredi matin, ils sont au total 6 archéologues, appuyés d’un géomètre; dans l’ensemble tous rattachés à la Direction interrégionale de l’Inrap Nouvelle-Aquitaine et Outre-mer.
Remettons les choses dans leur (récent) contexte
En proie à des problématiques d’infiltrations, principalement dues à l’utilisation d’enduit de type béton — ne garantissant pas la pleine respirabilité des murs et l’évacuation de la vapeur d’eau — la mairie de Tsingoni a donc souhaité entreprendre des travaux de rénovation de sa mosquée. Une mosquée, rappelons-le, classée et répertoriée, par arrêté du 25 mars 2015, au titre de monument historique et qui se doit, légitimement, de respecter un certain protocole avant d’entreprendre quelconques travaux de réaménagement. C’est donc le très réputé cabinet d’architecture parisien Gatier qui a été désigné Maitre d’oeuvre, avec, en amont, un important travail de diagnostique, d’étude et d’état des lieux, géré conjointement par la Direction des affaires culturelles (DAC) de Mayotte — sous tutelle du Ministère de la Culture — ainsi que Virginie Motte, Conservatrice régionale de l’Archéologie Réunion-Mayotte. Un travail qui a confirmé le caractère historique et fortement intéressant de mener quelques recherches préventives avant de donner le plein feu vert à ce chantier de restauration.
Après un appel d’offre remporté par l’INRAP, le temps de mettre en place toutes les parties juridico-administratives et la logistique escomptées, c’est donc en ce tout début de mois dernier que les festivités archéologiques ont commencé, appuyées, bien entendu, d’un cahier des charges scientifique précis, aussi appelé prescription. Une prescription qui indique moult données, telles que les endroits où déblayer, creuser, à quelle(s) largeur(s), profondeur(s) ou encore quels types de techniques en vigueur il faut utiliser etc. En bref, le manuel du parfait archéologue préventif dans le cadre de fouilles qui se veulent, vous l’aurez compris, exhaustives avant de laisser place au futur projet qui suivra, assuré de ne pas détruire d’éminents vestiges.
Une grande première en bien des points
En effet, ce chantier archéologique s’inscrit dans une approche plutôt dynamique et interactive.
À la fois classée historique, cette mosquée se veut également lieu de culte et de prière toujours actif et cette opposition, qui n’en est pas vraiment une, revêt un caractère plutôt novateur pour l’archéologue et responsable d’opération, Justine Saadi et ses équipiers : « Il s’agit pour ma part d’une première tant dans les DOM que dans l’océan Indien. Nos recherches s’articulent également en fonction des temps de prière, respectant la quiétude des fidèles sachant que notre zone de chantier cohabite avec la partie rez-de-chaussée où ils font leurs ablutions. Nous nous arrangeons pour quitter momentanément les lieux et revenons à l’issue. Cette approche est au finale très enrichissante et permet de rappeler que l’Archéologie se doit aussi d’être vivante. Nous venons quasiment tous de Métropole et n’avons pas la prétention de connaître toutes les techniques de constructions traditionnelles. Cette promiscuité pousse les gens à venir vers nous et les échanges de leurs vécus, souvenirs ou même connaissances de leurs aïeux, sont extrêmement importants pour nos données. C’est au final un chantier ouvert et nous sommes sincèrement touchés et reconnaissants au regard des bienveillance et gentillesse des mahorais ».
Une imprégnation aussi historiquement culturelle qui a justement été l’engouement et la motivation majeurs pour venir participer à ce projet ô combien singulier et peu commun. Eh bien oui ! L’Histoire de France et de ses colonies s’est toujours plutôt portée en un caractère religieux catholique. Il n’est guère coutumier, dans le cadre d’un projet national français, d’avoir l’occasion de venir scruter les parois et sous-sols d’une ancienne mosquée riche de son antériorité shirazienne.
Montre moi ton bâti, je te dirai qui tu es…
Au regard de la promiscuité aussi des caveaux d’inhumation, l’étude initiale subodorait la présence de sépultures antiques datant donc du 16ème, voire peut-être même du 15ème siècle. Des sépultures qui, malheureusement après sondages bien encadrés et définis en amont, rappelons-le, n’ont pas exprimé cette révélation tant espérée.
À cette profondeur et en ce point précis, RAS* et pour ceux qui s’inquiéteraient et/ou s’offusqueraient en jugeant blasphématoire le caractère de l’approche, rappelons qu’il n’est autorisé fouille(s) justement que dans le cas où les sépultures n’ont plus d’identité. C’est donc une respectueuse manière de redonner vie à tout ce qu’a pu incarner, en amont, un défunt tombé dans l’oubli…
Donc, pour résumer, pas de sépultures dans l’immédiat mais une archéologie du bâti riche par la composition de ses différentes strates soulignant la temporalité des divers travaux de restructuration qui se sont modelés et ajoutés au fil des années, au moyen de matériaux en lien avec des époques bien précises. Calcaire marin, corail, céramique, dolomie ou encore basalte… Le plus ancien se tablerait sur de la roche sédimentaire de type grès. Qu’il y ait ou non ses 50 nuances, il est certain que la configuration et l’architecture même du lieu aient été modifiées en bien des points présentant, par exemple, une ancienne cour d’entrée, désormais couverte et fermée, à laquelle est aussi venu s’implanter un vieux minaret en pierres et de récents caveaux funéraires.
Les sols et les murs parlent, permettant ainsi de comprendre, à travers le temps, l’évolution de ce site ô combien sacré pour les mahorais et de pouvoir définir, grâce à des prélèvements de sédiments, des datations bien plus exactes au regard de la genèse de ce lieu.
Ce chantier s’inscrivant dans une configuration globale, c’est à dire faisant appel au chevauchement de plusieurs entreprises et corps de métiers, en un laps de temps plutôt réduit, il s’avère que, tel un effet domino, les équipes de l’Inrap ont malheureusement enclenché leur phase de travail et d’étude en retard. Ayant à coeur de pouvoir mener à bien leur mission — entièrement prise en charge par la Préfecture de Mayotte et qui doit se clôturer le 31 août prochain — une demande de petite prolongation, au prorata du temps perdu lord de la phase initiale de démarrage, a été formulée ce mercredi. En attente de validation de cette requête, les archéologues poursuivent activement leur chantier avec, de surcroît, un souhait d’organiser d’ici peu, une journée portes-ouvertes afin d’inviter le tout venant à découvrir l’envers du décor et l’Histoire de cette incroyable mosquée. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés lorsque cette date sera officiellement arrêtée.
MLG