À l’image de la dominante colorimétrique attribuée traditionnellement à leur tenue de travail, on ne peut objectivement pas dire que les équipes de la maternité de Kahani, dans leur ensemble, voient toujours la Vie en rose ! Du moins la situation actuelle, au regard de diverses problématiques nationales mais également locales qui perdurent, touchant le coeur même de la profession, en particulier les sages-femmes.
Sans pour autant introduire cet article de manière foncièrement pessimiste, il est tout de même important de rappeler que, officiellement depuis le 3 juillet 2023, les maternités de Dzoumogné et de Mramadoudou ont été mises hors fonction au motif principal d’une désertification médicale. L’afflux des naissances, lui, ne semble guère décroître, avec au total 5 722 accouchements répertoriés entre janvier et juin 2023, dont 1 311 rien que pour la Grande-Terre, hors agglomération Mamoudzou. Un complexe balancier pour lequel la direction du Centre hospitalier de Mayotte a donc tranché, en ce début d’été, concentrant son activité pré et post natale sur ses sites de Mamoudzou, de Dzaoudzi (Petite-Terre) et de Kahani.
Etat des lieux chez les sages-femmes
Des suites des légitimes et conséquentes revendications, ayant soulevé d’importants mouvements sociaux, encore très récemment, le corps des sages-femmes, par le biais de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes (Onssf) et de l’Union nationale et syndicale des sages-femmes (Unssf) ont signé, il y a près de 3 semaines, un nouvel avenant visant une revalorisation significative à la fois de certaines de leurs responsabilités professionnelles mais également pécuniaires, en lien avec les actes et consultations. Une avancée notoire qui concerne principalement le milieu libéral mais qui ne pourra résoudre en un claquement de doigts la problématique de l’attractivité professionnelle dénoncée par pré-alertes répétées depuis ces dernières années; et d’autant plus dans le milieu public et hospitalier.
En effet, alors que d’autres professions se cassent la tête en période estivale, afin de jongler avec les plannings des nombreux départs en vacances, il n’est guère similaire motif pour nos maïeuticiennes qui se font de plus en plus en rares, tant sur les bancs de l’école (moyenne nationale de +20% de places non pourvues en 2ème année à la rentrée 2002*) que dans nos hôpitaux de France, de Navarre et de Mayotte… Ainsi, en plus d’un désamour parfaitement compréhensible au regard des diverses sollicitations chronophages qui dégradent considérablement les conditions de travail, ce sont également d’autres facteurs sur notre département qui ont conduit, en cet été 2023, à confirmer ce franchissement du seuil de plus de 80 postes de sages-femmes vacants sur un effectif public territorial qui se voudrait de 170 places. Cette triste réalité numéraire qui impacte, tel un cercle vicieux, la qualité de travail du personnels restant, la direction du CHM en a conscience et, en plus de faire appel régulier à des renforts nationaux réservistes — dans le cadre de missions sanitaires — étudie activement une stratégique politique de charme pour susciter et rebooster l’engouement hors et intra département** notamment à l’approche Grand-pas de cette rentrée 2023/2024.
On a poussé les murs à Kahani !
Avisées le vendredi 30 juin pour une prise à effet quasi immédiate le lundi suivant, les différentes équipes des maternités de Mramadoudou et Dzoumogné ont donc été invitées à choisir entre Mamoudzou et Kahani pour exercer leurs fonctions en un autre lieu. Ayant à coeur de garder la dynamique des plannings déjà programmés et de ne pas disperser les agents, des solutions de placements stratégiques groupés ont donc été mises en place.
Déjà classée seconde plus importante maternité de Mayotte, derrière le CHM et devant Dzoumogné et Mramadoudou justement, Kahani (1 157 naissances en 2022) est quelque part devenue la grosse centralisation accouchement de la côte Ouest. Une centralisation qui n’est pas sans mal logistique, sachant la plus grande sollicitation de la structure publique, ayant ainsi converti et/ou ouvert certaines pièces afin d’offrir 31 chambres, d’une capacité qui se veut volontairement maximale de 2 lits, contre 22 chambres encore en juin dernier. Et bien que, d’ordinaire, il y ait la possibilité de consultations programmées externes de suivi et fin de grossesse en ces murs, ces-dernières se veulent annulées jusqu’à nouvel ordre en raison, d’une part, d’un trop plein autre d’activité et urgences*** notamment pour les sages-femmes et, d’autre part, de la rareté du personnel médical concerné (pour exemple, en janvier 2023, additionnant les consultations gynéco-obstétriciennes et d’anesthésie, nous étions à 75 consultations contre 0 en juillet 2023).
À noter que les retours à domicile post-accouchement sans difficulté, après consultation obligatoire du pédiatre, ont vu leur durée minimale tirée à 24h — contre 48h avant — afin d’éviter au maximum les saturations et pour désengorger par la même occasion et au besoin, le CH Mamoudzou (qui concentre principalement ses activités périnatales sur des grossesses pathologiques lourdes, c’est-à-dire présentant un risque obstétrical, fœtal ou maternel) en proposant des lits aux nouvelles mamans et leur nourrisson à J+1, voire J zéro de vie, au moyen de transfert par ambulance entre les établissements.
Présentation globale
Composée d’une salle de consultation urgences et admission, de 2 salles de pré-travail, d’une de travail et une autre de réanimation, la maternité périphérique de Kahani centralise le plus gros de son activité sur des grossesses dites relativement classiques (ne présentant pas foncièrement de grosses pathologies au regard des nombreuses complexités sanitaires et carences connues sur notre territoires) mais en aucun cas des césariennes programmées, comme à Mamoudzou, faute encore une fois d’anesthésiste.
En temps normal, le roulement logistico-humain se table sur 3 sages-femmes (1 en salle et 2 en suite de couche avec au besoin 1 qui part en transfert) et 3 auxiliaires de puériculture de jour, pour 2 sages-femmes et 2 auxiliaires de puériculture la nuit. Tous ces effectifs se sont en moyenne vus additionnés par 1 pour les rotations sages-femmes et par 2 pour les auxiliaires de puériculture, ce qui est bien-entendu cohérent au regard de l’activité désormais plus importante (237 hospitalisations directes et transferts en janvier 2023 contre déjà 344 pour juillet en date du 27 juillet 2023, mois non achevé) mais pas forcément plus simple en termes d’adaptation et de configuration. En effet, lorsque nous sommes habitués à travailler d’une certaine manière, avec des visages que l’on connait et en un espace délimité de surcroît, il n’est pas chose aisée, du jour au lendemain, d’arriver en un autre lieu, avec des process et une organisation qui peuvent parfois différer. Cette intelligente et bienveillante transition quelque peu prématurée s’est dans l’ensemble très bien articulée grâce, disons-le, à l’incroyable symbiose de ces femmes et de ces hommes avant tout nourris d’une pleine humanité et de passion pour leur respectif métier.
Car si l’on parle de personnel médical et paramédical, il est évident qu’on ne peut faire l’impasse sur toutes les ramifications qui s’y greffent telles que les secrétaires médicales, les agents de services hospitaliers (ASH) ou encore le staff restauration et les ambulanciers. Toutes ces personnes souvent pressées que nous avons croisées dans les couloirs de la maternité, lors de notre visite, avaient un incroyable point commun : leur sourire malgré une fatigue palpable et des traits de visage tirés. Des personnes au service d’autres qui, malgré de légitimes peurs sur leur trajet routier (ndlr – dues à l’insécurité ambiante et quotidienne), désormais rallongé pour certaines, et tous les récents changements qui se sont opérés, demeurent fidèles et présents à leurs poste et convictions.
Tablée sur une vision quasi au jour le jour, il n’est pour le moment nullement question de parler de la réouverture d’une quelconque maternité de périphérie en attendant, bien entendu, de voir comment cette prochaine rentrée se dessine, notamment du point de vue des Ressources humaines relatives au CHM et de l’évolution des besoins et naissances sur notre île. Effets Wuambushu tant espérés et/ou décriés, déjà ou non visibles, il semblerait que les derniers chiffres ne plaident guère en une accalmie massivement notoire.
En effet, avec 941 naissances recensées pour juin 2023 (dont 210 pour le total Kahani, Dzoumogné et Mramadoudou), l’estimation se porte plutôt sur une tendance légèrement à la hausse en comparaison de ce même mois l’année passée (917 naissances, soit une statistique augmentation de +2,62%). Sur une plus grande période étudiée, de janvier à juin, toujours entre 2023 et 2022, la moyenne tendrait vers le contraire (-1,28%) soit 74 accouchements de moins.
Passant outre l’approche purement informative et numéraire, merci à toutes ces femmes et ces (rares) hommes à qui il est important de rappeler, d’autant plus face aux actuels défis, doutes et difficultés, que oui ! Sans contestation aucune, ils font le plus beau métier…
MLG
*sources : Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf)
**En plus de contrats attractifs à très courte durée, la direction du CHM, en concertation avec l’ARS, prévoit de proposer des primes d’installation de 10 000 euros pour les nouvelles sages-femmes venant hors département et de valoriser les personnels déjà en fonctions sur le territoire depuis un certain temps.
***En janvier 2023 les sages-femmes ont assurés 339 consultations programmées (monitorings, cycles glycériques, échographies) et 635 consultations d’urgence (monitorings, bilans, pansements, échographies). Pour juillet 2023, arrêté en date, pour cet article au 27 juillet 2023, il est question de 115 consultations programmées et de 632 consultations d’urgence.