À Mayotte, où les défis du système de santé restent nombreux, la directrice des soins du CHM, Samianti Kalame Soilihe, mise sur la formation locale pour accompagner les transformations à l’œuvre.
Un parcours enraciné dans l’île

« Je suis un pur produit du CHM et de Mayotte. » Cette phrase, Samianti Kalame Soilihe la prononce avec fierté. Aujourd’hui directrice des soins du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), elle a franchi une à une les étapes du système de santé local : d’abord secrétaire médicale, puis infirmière, cadre, cadre supérieure… jusqu’à prendre la tête d’une direction stratégique. Hormis une année à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) à Rennes et une formation à La Réunion, son parcours s’est construit sur l’île. « J’ai fait ma scolarité à Mayotte. J’ai étudié à l’école qui forme les infirmiers de Mayotte », rappelle-t-elle.
Ce cheminement professionnel s’est doublé d’un engagement. Jeune infirmière dans un service de médecine au début des années 2000, elle est confrontée à des conditions d’accueil difficiles : « Il y avait des chambres de trois ou quatre patients, sans aucune intimité… Je me suis dit : que fait la direction ? ». C’est ce constat qui la pousse, progressivement, à rejoindre les sphères de décision.
Des progrès notables, malgré des fragilités
Pour la directrice des soins, le système de santé mahorais a connu une évolution importante au cours des deux dernières décennies. « La santé à Mayotte a beaucoup évolué », estime-t-elle, citant des améliorations dans la prise en charge des patients et les dotations matérielles.

Mais sur le terrain, ces progrès restent inégaux. Le 16 mai dernier, des sages-femmes du CHM faisaient état de tensions persistantes, aggravées par les conséquences du cyclone Chido, survenu en décembre 2024. « On court après des aiguilles, on appelle la pharmacie plusieurs fois par jour pour obtenir un simple cathéter. C’est épuisant », relatait l’une d’elles. La charge de travail, l’épuisement, et les pénuries ponctuelles sont encore le quotidien de certains soignants.
Samianti Kalame Soilihe ne nie pas ces difficultés, qu’elle relie en partie aux spécificités d’un territoire insulaire. « Il faut que cela fasse ’tilt’ auprès des professionnels de santé. […] Il y a une acculturation à faire sur l’utilisation rationnelle du matériel car l’acheminement du matériel prend du temps ici », estime-t-elle, rappelant que la logistique est soumise à des aléas spécifiques à Mayotte. Elle souligne néanmoins que, malgré les tensions sur les effectifs, « aucun service n’a été fermé » faute de personnel. « On s’organise autrement, parfois en mode dégradé, mais on assure les soins », insiste-t-elle.
Miser sur la jeunesse et la formation
Face à la pénurie de professionnels, Samianti Kalame Soilihe insiste sur une priorité : la formation locale. L’Institut d’enseignement supérieur (IES) de Mayotte propose aujourd’hui un cursus d’infirmier, une formation IBODE (bloc opératoire), et d’autres filières sont en projet : anesthésie, radiologie, pharmacie. Elle évoque aussi la possibilité d’ouvrir une première année de médecine sur l’île.

« Beaucoup de jeunes pensent à la profession de médecin ou d’infirmier, mais il y a pléthore de formations médicales et paramédicales », explique-t-elle. L’enjeu est d’orienter et de fidéliser les futurs professionnels de santé dès le collège et surtout au lycée. Pour cela, une coopération étroite est engagée entre CHM, l’Académie de Mayotte, l’Agence régionale de Santé et des associations locales.
Sa vision est claire : construire un système plus autonome, en formant pour Mayotte. Et pourquoi pas, demain, faire revenir des professionnels mahorais partis exercer ailleurs. « Ce serait très positif », estime-t-elle.
Mathilde Hangard