Atteindre la souveraineté alimentaire, droit des peuples à une alimentation saine et produite avec des méthodes durables, c’est un vœu du président de la République. C’est pour en étudier la faisabilité que la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, a mené son enquête. Deux rapporteurs, Vivette Lopez (LR) et Thani Mohamed Soilihi (RDPI) ont écumé les surfaces agricoles pendant 4 mois, et auditionné 85 acteurs, autour de l’enjeu du foncier dans les 5 DOM.
Dans leur rapport, « Une reconquête nécessaire pour la souveraineté alimentaire », les caractéristiques communes à ces territoires ont été listées : urbanisation rampante, fléau de l’indivision, prolifération des friches, transmission bloquée, terres difficiles à travailler faute des réseaux essentiels, réchauffement climatique… « Les vents contraires s’accumulent, tandis que certains outils essentiels pour inverser la tendance manquent de force : Safer privées de moyens financiers, police de l’urbanisme indulgente, désordre foncier persistant, dialogue compliqué entre les agriculteurs, les organisations du monde agricole, l’État et les collectivités. »
Précisons qu’à Mayotte c’est l’EPFAM (Etablissement Public Foncier et d’Aménagement de Mayotte) qui joue le rôle de SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), dont l’objectif est de permettre à tout porteur de projet viable de s’installer en milieu rural.
Le dernier recensement agricole réalisé en 2020 révèle que la surface agricole utile (SAU) a continué à reculer de 7,5% depuis 2010 dans les DROM, à l’exception de la Guyane. C’est à Mayotte que ce recul est le plus marqué, -15%.
Évolution contraire de la population et de la production agricole
Parallèlement, la population des exploitants agricoles est particulièrement âgée. Aux Antilles, plus d’un tiers des exploitants ont aujourd’hui plus de 60 ans, contre 25 % dans l’Hexagone. À Mayotte, cette proportion atteint même 52 %. Et le vieillissement s’accélère. Les causes sont multiples : un désordre foncier qui bloque les transmissions (occupations sans titre, indivisions non réglées), des retraites agricoles très basses, l’espoir de voir déclasser ses terrains en zone constructible et de valoriser ainsi sa terre, des jeunes qui manquent de moyens financiers, etc. Enfin, un dernier facteur déterminant est la prolifération des terres incultes ou friches et les nombreux obstacles à leur remise en culture. D’une part, les procédures qui pourraient contraindre les propriétaires sont peu utilisées. D’autre part, ces friches sont trop souvent requalifiées en espace naturel ou forestier. « La conséquence de cette tendance est implacable : la production agricole a crû moins vite que la population ».
La production agricole destinée à l’approvisionnement des marchés locaux (hors canne et banane) a diminué d’environ 900 tonnes par an.
Malgré ce handicap foncier, l’objectif d’une autonomie alimentaire est atteignable, font valoir les deux sénateurs, « les quantités de terres manquantes pour couvrir 100 % des besoins en fruits et légumes n’apparaissent pas pharaoniques. Dans les hypothèses les moins favorables, il faudrait augmenter la SAU de 10 % environ ». A Mayotte, il faudrait libérer 140 hectares supplémentaires pour atteindre une autonomie alimentaire dans les filières végétales, soit 1,4 km2. Pour les fruits, le différentiel est plus important (voir graphique). Sur notre territoire, l’agriculture vivrière est très présente et « sert d’amortisseur social », avait souligné un des nombreux interlocuteurs des deux sénateurs lors de la table ronde sur Mayotte.
Rendez-vous autour d’un repas en 2030
En travaillant les terres en friche, en déployant des techniques innovantes de culture et en développant une agroforesterie raisonnée, « la souveraineté alimentaire est un objectif atteignable à horizon 2030 ». Les pouvoirs publics, État, départements, régions, communes, EPF, détiennent aussi des terrains inexploités dont il faudrait inventorier le potentiel agricole pour installer de jeunes agriculteurs.
Glissons que ce prévisionnel est à nuancer pour Mayotte dont la population croit de 3,8% par an, autant de bouches à nourrir qui vont demander davantage que les 140 ha manquants. Surtout que cette croissance démographique impacte l’emprise foncière.
L’absence voire l’insuffisance d’aménagement autour du foncier agricole est aussi soulignée, et avait été pointée par le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental de Mayotte CESEM). « Des réseaux manquent », indiquent les sénateurs, et on peut dire qu’à Mayotte, peu sont mis en place, que ce soit les pistes agricoles, l’irrigation, l’électrification rurale, les réseaux de communication, « et de véritables fermes avec un logement attenant sont trop rares ». Cela pèse sur l’attractivité du métier, la sécurité des exploitations et l’efficacité du travail. Dernier défi : aider la jeune génération à prendre la relève.
Taxer les propriétaires « dormants »
« Faciliter la relève, c’est aussi aider les anciens à transmettre et à accompagner leurs successeurs ». Des préconisations – elles sont 20 – sont émises sur ce sujet aussi.
Quatre axes de recommandations sont proposés : Sauvegarder les terres agricoles déjà cultivées, Reconquérir celles qui sont exploitables, Favoriser la transmission et Aménager dans une perspective d’agriculture durable.
Des grands chapitres qui recouvrent plusieurs incitations : à une meilleure concertation lors du classement en espaces naturel, agricole ou forestier, à doter les SAFER de moyens supplémentaires, en allouant une ressource propre à l’agriculture, à libérer des terres en friche en taxant les propriétaires inactifs, à renforcer la loi Letchimy par la mise en place d’une plateforme de publicité des ventes de parcelles, à mettre en place un « tutorat rémunéré » pour garantir une ressources aux vieux agriculteurs tout en assurant de la terre aux jeunes, à accorder « de manière très limitée » des autorisations d’implanter les habitations des exploitants agricoles sur leurs parcelles, etc.
Pas mal d’idées novatrices issues de ce rapport qui devront être présentées lors du prochain Comité interministériel pour les outre-mer (CIOM) ainsi que dans le pacte et le Projet de loi d’orientation et d’avenir agricole (PLOA).
A.P-L.