« Dans l’incapacité de soigner », l’accès aux soins bucco-dentaires toujours difficile sur le territoire

Depuis 2009, l’antenne de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) de Mayotte organise des actions de sensibilisation des publics, notamment des jeunes. Un moyen de prévention nécessaire, mais qui ne suffit pas à pallier le manque de chirurgiens-dentistes. Avec moins de 10 dentistes pour plus de 300.000 habitants, l’accès aux soins reste une véritable épreuve sur le territoire.

Le 14 juin dernier, le « Dentobus » de l’antenne mahoraise de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) s’est arrêté à l’école élémentaire et primaire Djabou Ahamadi de Tsoundzou 2 pour sensibiliser les élèves à l’importance de l’hygiène bucco-dentaire.

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L’UFSBD est active à Mayotte depuis 2009 pour sensibiliser la population et les enfants sur l’importance d’une bonne santé orale.

Mais cette-fois-ci, en plus des ateliers, les membres de l’association, financée en partie par l’ARS et la CSSM, ont proposé de réaliser des dépistages. « Sur 100 enfants observés, la moitié avait des caries et en moyenne chacun d’entre-eux avait quatre caries », raconte Sarah Koutala, chirurgien-dentiste au Centre hospitalier de Mayotte et membre de l’UFSBD, « plusieurs enfants en avaient entre 8 et 10 et l’un d’entre eux en avait plus de 14, c’est énorme ! Je ne veux pas faire de généralité puisqu’il s’agît d’un petit échantillon dans une seule école de Mayotte, mais ces chiffres peuvent quand même montrer l’ampleur de la problématique ».

Une quinzaine de dentistes pour plus de 300.000 habitants

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Sarah Koutala, chirurgienne-dentiste au CHM, fait partie des 15 professionnels sur l’ensemble du territoire, un chiffre insuffisant

Après des études en métropole, Sarah Koutala est revenue à Mayotte il y a six ans pour exercer au CHM, « je suis contente d’être là car je connais les besoins du territoire et je me sens utile ici », mais ce sentiment s’entremêle à la frustration. « Quand on se rend sur le terrain c’est important de dépister la population et les jeunes mais habituellement on ne le fait pas car, une fois le diagnostic réalisé, on est dans l’incapacité de les soigner, c’est frustrant », déplore-t-elle, « on est trop peu de dentistes sur le territoire pour proposer à tout le monde une offre de soin. A Tsoundzou on a essayé d’orienter au mieux les parents des enfants dépistés mais la plupart ne seront pas soignés ».

Dans un article publié le 4 juin 2024, Thierry Arulnayagam, représentant URPS bénévole des dentistes de Mayotte et conseiller ordinal régional des chirurgiens-dentistes, indiquait que le territoire comptait 9 dentistes libéraux. A cela s’ajoutent entre 3 et 8 professionnels au CHM en fonction des périodes, selon Sarah Koutala, ce qui amène à un total d’une quinzaine de chirurgiens-dentistes pour une population de plus de 300.000 habitants. En métropole, la norme est de 75 dentistes pour 100.000 habitants, 55 à La Réunion, pour Mayotte on compte 2,8 dentistes pour 100.000 habitants. « Après Chido, certains dentistes libéraux n’ont pas pu ouvrir directement leur cabinet, ce qui a encore ralenti la prise en charge et amplifié la rupture de soins », poursuit Sarah Koutala qui indique que de nombreuses personnes sont obligées de quitter Mayotte pour se faire soigner.

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Les sodas sont très accessibles et largement présents dans les rayons des magasins. Dans certaines boutiques, il est parfois plus facile d’en trouver que de l’eau.

« Si cela concerne toute la population, les enfants sont particulièrement touchés par le manque de professionnels. Il arrive que des dentistes ne les prennent pas en charge parce que c’est difficile et que ça demande du temps. Il faut réussir à les calmer et souvent il faut multiplier les rendez-vous pour les suivre sur la durée »

Pourtant les enfants sont très exposés, dès le plus jeune âge, aux produits sucrés, comme les sodas, les bonbons, les jus, les chips, une réalité qui rend encore plus importantes les  actions menées par l’UFSBD. A travers différents ateliers, le but est de montrer aux élèves et aux parents les risques d’une telle alimentation, mais aussi de leur donner des pistes pour mieux protéger leurs dents. « Au début on a mal, on a une carie puis il y a un risque d’infection et ça peut devenir grave. Au CHM il arrive de placer des enfants en réanimation à cause d’une cellulite dentaire, une infection très importante”, note la chirurgienne-dentiste, qui remarque qu’il est parfois plus facile de trouver des sodas que de l’eau dans les magasins.

Former les dentistes mahorais et poursuivre la sensibilisation

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Le « Dentobus » de l’UFSBD se rend directement dans les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves

Consciente que le manque de chirurgiens-dentistes et de soignants à Mayotte est une question d’attractivité du territoire, qu’elle ne peut maîtriser toute seule, Sarah Koutala reste optimiste. Pour tenter d’améliorer la situation à son échelle, elle encourage les jeunes Mahoraises et Mahorais à se tourner vers ce métier plus que nécessaire pour le territoire. « Au CHM on accueille des étudiants dans notre service pour qu’ils appréhendent mieux notre métier, et on espère qu’ils vont venir travailler sur l’île ! Il faut faire en sorte qu’ils s’engagent sur le territoire”, reconnaît celle qui est revenue de l’Hexagone pour réaliser son stage au CHM lors de ses études.

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Afin d’améliorer ses actions, l’UFSBD a lancé un appel aux dons

Sarah Koutala souhaite également développer les actions de l’association pour aller à la rencontre de tous les publics. « J’aimerais poursuivre les actions dans les PMI où on apprend aux parents à utiliser une petite brosse à dent pour leurs bébés, mais aussi me rendre auprès des personnes âgées, qui ne sont pas forcément visées par les initiatives malgré leurs besoins », confie-t-elle. « Depuis que je suis dans l’association Mayotte a traversé beaucoup de crises », relève Sarah Koutala, « je ne sais pas si les choses se sont améliorées mais j’ai envie de croire que nos actions servent à quelque chose et qu’il faut poursuivre dans cette direction ».

Pour cela, l’UFSBD a lancé un appel aux dons et recherche aussi des bénévoles prêts à s’investir. L’association reprendra ses actions dans les écoles après les vacances scolaires, tandis que le « Dentobus » continue de sillonner les routes pour assurer des consultations auprès de patients atteints de drépanocytose, une maladie génétique du sang, héréditaire, confrontée elle aussi à un accès aux soins limité à Mayotte.

Victor Diwisch

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