Même avec 5 ans de délais, c’est une révolution : les détenteurs des titres de séjour à Mayotte pourront sortir du territoire pour se rendre en métropole ou dans les autres DOM… comme tout étranger dans ce cas vivant dans un territoire ultramarin. Gérald Darmanin alors à l’Intérieur, avait fait le premier pas, mais l’avait conditionné à la suppression du droit du sol, histoire de rassurer les parlementaires sur l’absence d’envahissement du territoire national.
Car en métropole, les interrogations craintives se multiplient, « vous pensez que c’est une bonne chose ? », est la question qui revient sur de plus en plus de lèvres, et d’un coup, tout le monde arrive à situer Mayotte sur la mappemonde.
L’étude d’impact reste à mener, mais pour reprendre notre titre du mois de mars dernier, le maintien des détenteurs de titres de séjour sur le territoire mahorais est une atteinte à « l’indivisibilité de la République », terme cher à notre conseil constitutionnel.
Cet article a été rajouté en Commission des Lois de l’Assemblée nationale sous l’action de trois amendements, dont l’un porté par la députée LIOT Estelle Youssouffa, et alors que le gouvernement reste divisé sur cette question. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau y est notamment opposé, quant à son collègue des Outre-mer, Manuel Valls disait sa crainte que la mesure ne fasse que renforcer le flux migratoire vers Mayotte, « pour rejoindre La Réunion ou le continent européen ». Il s’en remettait « à la sagesse » des députés, mais s’opposait à l’application immédiate de cette déterritorialisation des titres de séjour.
Le RN : des scores électoraux à la réalité…

Un sujet sensible et la députée Estelle Youssouffa expliquait dans l’hémicycle les engagements pris pour qu’une telle mesure soit adoptée : « C’est un accord construit avec les quatre rapporteurs (…) Même si on souhaite l’abrogation immédiate, La Réunion demande de pouvoir se préparer (…) on va serrer les dents jusqu’en 2030 ».
Les parlementaires réunionnais ont d’ailleurs déposé un amendement pour limiter la déterritorialisation à l’Hexagone, s’attirant les foudres de la députée LIOT de Mayotte, « La Réunion vous avez bénéficié de tous les engagements financiers de l’Etat pour l’océan Indien, CHU etc., et quand il s’agit que vous preniez votre part, vous déposer un amendement ».
L’engagement du gouvernement à endiguer l’immigration clandestine – sans résultat jusqu’à présent – doit être le préalable pendant ces 5 ans pour garantir l’efficacité de la mesure. Il va falloir mettre les bouchées double en lutte à terre ou en mer car l’effet d’annonce de cette mesure risque de provoquer des arrivées massives dans un premier temps.
Si la députée RN Anchya Bamana a soutenu la suppression de territorialisation, son groupe s’est abstenue, recevant une réplique cinglante d’Estelle Youssouffa, « On peut faire de superbes scores à Mayotte mais ne pas écouter les mahoraises et les mahorais ».
Des titres de séjour à 80% familiaux

Les principales mesures du chapitre immigration du Projet de loi ont été adoptées. Il s’agit notamment de conditionner la délivrance des titres de séjour « parents d’enfants français » et « liens personnels et familiaux » à une entrée régulière sur le territoire, et de rallonger leur délai d’obtention. Ce qui répond là encore à une spécificité de Mayotte, rapportée par le député Philippe Gosselin, « les titres de séjour sont à 80% délivrés ou renouvelés pour motif familial contre 36% dans l’Hexagone (…) C’est une grande cause d’embolisation des services publics. »
Les échanges se sont envenimés sur deux mesures. Tout d’abord, sur la mise en place des « unités familiales » destinées à se substituer au Centre de rétention administrative (CRA) et s’adressant aux familles accompagnées de leurs enfants en vue de leur éloignement pour un durée maximale de 48h. Pour la députée Elisa Martin (LFI), « la priorité du gouvernement, c’est d’enfermer les enfants ! », provoquant la colère de Manuel Valls qui appelait à « sortir des caricatures (…) c’est honteux ! », pour s’en tenir aux « éléments concrets », en livrant les chiffres qui ne souffrent pas la comparaison : « Le nombre de mineur accompagnant leurs parents au CRA avoisine chaque année les 3.000 depuis 2019, ils étaient 2.900 en 2023 contre 87 en la France Hexagonale. Nous devons mettre en place des infrastructures différentes mais d’une autre nature que les CRA. »
Autre article adopté, celui ouvrant la possibilité de retirer un titre de séjour à des parents de mineurs étrangers qui représentent une menace pour l’ordre public. Choc des calendriers, il fait écho au texte sur le durcissement de la justice des mineurs de Gabriel Attal, vidé en partie de sa substance et publié le 23 juin au JO. Pour ce qui est de Mayotte où plus de la moitié de la population est âgées de moins de 17 ans, avec donc des adultes sous-représentés, phénomène qui se conjugue avec un déficit d’autorité parentale, certains ayant été éloignés sans signaler la présence de leur enfant sur place, et une PJJ sous-dotée, c’est l’enfer assuré : caillassage des véhicules, dont les bus scolaires, barrages nocturnes avec dépouillages sous la menace de machettes… très peu d’habitant ose encore sortir le soir. « La violence a rendu notre île invivable », décrivait Estelle Youssouffa.
Les débats sur le Projet de loi pour la refondation se poursuivent à l’Assemblée nationale. Ensuite, le, texte passera par la Commission mixte paritaire, certains des articles, notamment sur la déterritorialisation des titres de séjour, n’ayant pas été examiné par le Sénat. Un compromis devra être trouvé.
Anne Perzo-Lafond