Un peu comme la potion magique chez Obélix, Bacar Attoumani semble tombé dans la police depuis toujours. « Je suis un pur produit police nationale », aime-t-il à plaisanter. L’œil rieur, celui qui a commencé à 21 ans comme agent de sécurité, s’apprête à quitter son poste de Chef de la BAC nuit à Mayotte, pour voguer vers d’autres horizons, toujours bleus. Il rend hommage aux « grands hommes » que sont ses chefs.
Pourquoi quitter Mayotte ?
Bacar Attoumani : Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, familiales, avec de grands enfants menant leurs études en métropole. Ensuite, comme je le dis à mon équipe, il faut savoir laisser la main aux jeunes et continuer à se former ailleurs pour mieux revenir. Je souhaite notamment passer des concours pour monter en puissance. Enfin, je n’arrivais plus à consacrer assez de temps au syndicat Alliance Police nationale 976 dont je suis le secrétaire départemental. Or, il monte en puissance avec 11 sièges de gagnés lors des élections professionnelles, alors qu’en 2019 nous avions perdu les élections.
Le commissariat s’est-il doté de compétences locales ces dernières années ?
Bacar Attoumani : Oui et avec un fort encouragement à la progression de la hiérarchie. Que ce soit de notre DTPN Laurent Simonin, ou du préfet Thierry Suquet, la méritocratie fonctionne avec des prix et des récompenses pour encourager le travail et l’engagement, deux points sur lesquels le syndicat Alliance s’est bagarré. Plusieurs mahorais ont été mis aux responsabilités, je suis chef de la BAC nuit, et la BAC jour est également dirigée par un policier local. Hervé Mogne-Mali est revenu comme chef de service, il faudrait malgré tout d’autres officiers natifs de l’île. A quand un commissaire mahorais ? Le préfet et le Directeur de la police nationale nous soutiennent, nous attendons que les élus fassent pareil.
Je veux souligner les évolutions favorables : sur les 750 policiers qui composent actuellement le commissariat, ceux des collègues blessés en intervention sont pris en charge, le suivi des dossiers est fait.
Le directeur Laurent Simonin a une vision pour Mayotte, des directions des actions à mener pour restaurer la paix publique. Il participe aux opérations de terrain que l’on mène, que ce soit lors de matchs de foot, ou à Cavani et Tsoundzou, il est sur place pour donner des instructions nettes et précises. Et le préfet lui aussi se déplace. Syndicalement, c’est un plus, quand on échange sur un sujet, on sait de quoi on parle. Je dis toujours à mes collègues qu’à Mayotte on sait pourquoi on est là, non pour le salaire, mais en terme de service public. J’ai eu une bonne équipe.
Vous avez pu obtenir un déblocage des retours des policiers qui ont leurs centres d’intérêt matériels et moraux à Mayotte ?
Bacar Attoumani : C’est toujours bloqué sur la période de 5 ans qui suit l’obtention du concours national, 8 ans si celui-ci a été passé en Ile-de-France. Ensuite, généralement, ils rentrent. Pour éviter cette période où ils sont bloqués sur leur lieu d’affectation, il faudrait créer un concours déconcentré à Mayotte, comme c’était le cas avant, et comme il y en a ailleurs.
Contre les bandes, création d’une unité d’investigation spécialisée
Vous avez constamment dénoncé l’organisation des bandes, et l’indispensable recours au renseignement. Avez-vous l’impression d’être entendu ?
Bacar Attoumani : Nous avons tous observé cela au nombre de machettes qui se déplacent en divers lieux. Ils sont en même temps à Vahibe et à Passamainty, ce que j’appelle la simultanéité de rupture de liberté. Certains occupent la police, d’autres cambriolent, et avec des combinaisons blanches qu’une partie d’entre eux a achetées. En réponse, une unité d’investigation spécialisée vient d’être créée, une nouvelle commandante en prend la tête. Elle va permettre de travailler sur la résolution d’affaires sensibles relatives aux bandes.
D’autre part, nous avons demandé à la mairie de Mamoudzou de poser des vidéo-surveillances aux endroits où ça chauffe. Il y en a, mais pas sur les zones stratégiques, elles ne fonctionnent pas toutes et quand c’est le cas, il n’y a personne pour les exploiter ! C’est pareil en Petite Terre. Je pose une question, où en est le budget alloué aux collectivités territoriales pour la vidéo-protection ? Comme nous n’avons pas la réponse, certains de nos fonctionnaires vont poser des balises munies de caméras pour filmer H24 à des endroits identifiés. C’est un service dépendant de la police judiciaire, Service interministériel d’assistance technique (SIAT), le commissaire Laurent Simonin y est favorable.
Quant aux Renseignements territoriaux, leurs effectifs ont été récemment renforcés, on le voit par les premières grosses affaires d’interpellation qui sortent. Il faut encore améliorer la coordination entre les supports techniques, que sont notamment les drones, et le renseignement humain.
Les interpellations sont-elles toujours freinées par le silence d’habitants, certains par peur, d’autres pour protéger les auteurs des faits ?
Bacar Attoumani : La population communique de plus en plus avec la police, car lors des Comités locaux de prévention de la délinquance, les CLSPD, le sujet est de plus en plus abordé, notamment par les élus. Un meilleur travail est également fait auprès des victimes qui parlent, rassurées aussi par le renfort d’effectifs de l’opération Wuambushu. Lors des viols, la parole se libère grâce à un bon travail mené par des associations. La population a moins peur de parler.
Comme BAC nuit vous êtes confrontés à des actes de violence qui montent en intensité. Quelle lecture en avez-vous ?
Bacar Attoumani : On voit de plus en plus de jeunes et de fonctionnaires salement amochés, avant, ce n’était pas le cas. J’ai vu dernièrement une femme rouler en contresens de la circulation car elle venait de se faire caillasser avec ses enfants dans la voiture. Nous arrivons à un déferlement de violence en raison du nombre. Nous sommes sur un territoire où il y a des gens qui ne se retrouvent pas dans une société d’où ils sont exclus. Ils sont délaissés, trainent avec des chiens, ils n’ont aucune valeur, aucun sens de la gravité. Ils veulent seulement se venger, quand ce n’est pas contre une autre bande, c’est contre la société qui les a abandonnés. C’est là que les collectivités ont un rôle, elles doivent donner un cadre. Tout d’abord en terme de prévention, de prise en charge des jeunes. Mais le conseil départemental n’est pas capable de nous fournir un bilan de prise en charge des enfants par les structures qu’il habilite. Il faut rendre compte. La police peut-elle tout résoudre ? L’Etat seul peut-il tout résoudre ? Je rappelle que la décentralisation a donné aux élus et notamment aux maires, de nombreux pouvoirs. J’attends beaucoup de la part des familles, des associations, des collectivités, du sport, des bibliothèques. Sinon comment allons-nous faire pour rassurer les mahorais ? Mayotte se vide !
Votre syndicat a-t-il défendu le positionnement d’une zone police à Koungou et en Petite Terre ?
Bacar Attoumani : Bien sûr Alliance s’est positionnée dès le départ pour cette répartition dans le cadre du redéploiement police-gendarmerie, mais nous savons que le sujet est politique et porte sur une lutte des territoires.
Quelles sont vos attentes pour le commissariat à Mayotte ?
Bacar Attoumani : Que le territoire trouve les meilleurs agents en développant l’attractivité, c’est une des actions syndicales à mener, et l’amélioration de la gestion des agents par l’intégration du Service administratif Technique de la Police nationale au sein de la DTPN, pour garantir la prise en charge de la paie, de l’intégration en école de gardiens de la paix, etc. Et je me demande quelle sera la place de Mayotte dans le syndicat Alliance Police nationale demain. Comme l’avait fait monsieur Delage, ce serait une bonne chose que le secrétaire général du syndicat vienne à Mayotte, car il faut notamment former les délégués syndicaux mahorais.
Vous partez, mais pour mieux revenir ?!
Bacar Attoumani : Alors ça, c’est certain. La police m’a jusqu’à présent beaucoup donné, beaucoup appris sur moi-même. Je suis bien placé pour dire que la promotion sociale existe au commissariat de Mayotte, et notamment grâce aux grands hommes qui nous tirent vers le haut, comme Laurent Simonin. Je dis aux jeunes mahorais, ne croyez pas que tout se fait à Mayotte, forcément vous allez croiser quelqu’un qui va vous aider, et beaucoup de métropolitains m’ont fait avancer. Je veux aussi dire que si aujourd’hui il y a la paix publique, c’est que le procureur Le Bris est un soutien sans faille, et que le trio magique préfet-directeur de la police et procureur fonctionne à fond.
Là j’ai demandé à partir chez les CRS, dans un contexte des Jeux Olympique qui devrait me faire bouger d’une région à l’autre, et après avoir passé des concours, je reviendrai.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond