Taxis collectifs à Mayotte : « Une solution historique face à un avenir incertain »

Protestant contre la mise en place d’un Caribus qui les « oublie », les taxis menacent de bloquer les axes principaux de l’île ce lundi. Depuis 2018, Mohamed Hamissi, ingénieur spécialisé en mobilité, demande d’anticiper ce virage. Il propose des solutions adaptées qui imposent une réflexion globale.

Plus de 60 ans de service en tant que principal moyen de transport collectif

Depuis le début des années 60, les taxis collectifs font office de transport en commun à Mayotte. Ils participent activement au développement socio-économique de notre département, facilitant les échanges entre villages et assurant une mobilité sociale essentielle pour une large part de la population. Ils sont un facteur d’emploi important à Mayotte, générant de nombreux emplois directs et indirects et faisant vivre des centaines de familles dans un département frappé par un fort taux de chômage. Pourtant, leur avenir est aujourd’hui incertain, confronté à de nombreux défis.

Critiqués pour la qualité de service qu’ils offrent — confort limité à bord, temps d’attente aléatoires, fréquences dégradées en heures creuses, faible disponibilité dans certaines zones —, les taxis collectifs subissent également des pressions importantes : concurrence illégale, embouteillages chroniques et récurrentes dans le Grand Mamoudzou, et augmentation du taux de motorisation des ménages. Ces facteurs impactent lourdement leur chiffre d’affaires, en baisse continue.

Mohamed Hamissi Thomas est régulièrement force de proposition sur la compatibilité des usages de la voie publique

Dans une enquête de satisfaction des clients des taxis menée en 2018 par la Communauté d’agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) dans le cadre du projet de transport collectif Caribus, 90 % des usagers se déclarent favorables à la mise en place de services de transports publics urbains et interurbains, tandis que 55 % expriment leur insatisfaction vis-à-vis des taxis collectifs. Cette étude met en lumière les limites du service actuel, mais souligne aussi l’opportunité de mieux intégrer les taxis dans une offre de mobilité plus structurée et cohérente.

Sur la base de ces constats, la CADEMA a établi une feuille de route de recommandations à destination de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat (voir rapport). Toutefois, à l’exception de la création de la coopérative Vanille, peu d’actions concrètes ont vu le jour depuis 2020.

La revendication des taxis collectifs concernant le site propre Caribus

Dans le cadre du déploiement du projet Caribus, futur réseau de transport collectif urbain de la Communauté d’Agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) en site propre à Mayotte, les taxis collectifs formulent une revendication claire : pouvoir circuler sur les voies réservées aux bus. Cette demande repose sur une préoccupation bien réelle — l’engorgement routier, qui pénalise fortement leur activité au quotidien.

Cependant, cette aspiration entre en contradiction avec le mode de fonctionnement essentiel des taxis collectifs à Mayotte. Leur modèle repose en effet sur la maraude : la liberté de circuler, de s’arrêter à tout moment et de prendre des passagers au fil du trajet. Or, les voies réservées au transport en site propre (TCSP) sont régies par une réglementation stricte : elles sont accessibles uniquement à certains véhicules autorisés, interdisent le stationnement et n’autorisent les arrêts qu’aux stations dédiées. Autoriser les taxis collectifs à y circuler sans leur permettre d’en sortir librement, de rejoindre les quartiers ou d’accéder aux trottoirs et arrêts traditionnels reviendrait à restreindre leur souplesse, qui constitue pourtant leur principal atout.

Taxis, Mayotte
Depuis le début, les tentatives d’intégrer les taxis au dispositif sont restées vaines, induisant des vagues de protestation de leur part

Au-delà de l’enjeu technique, une telle mesure risquerait d’affaiblir leur rôle de transport de proximité, en détournant les usagers vers d’autres modes et en laissant le champ libre au transport informel. Si cette revendication peut se comprendre dans un contexte de pression économique — perte de revenus, concurrence illégale — elle ne constitue pas une réponse structurelle aux défis majeurs que rencontre aujourd’hui le secteur.

Par ailleurs, si la question concerne plus particulièrement les taxis interurbains, également appelés taxis « brousse », elle ne doit pas occulter une réalité plus vaste : avec l’arrivée imminente de nouveaux services de transports urbains et interurbains, y compris en dehors du périmètre de la CADEMA, ces acteurs doivent dès à présent se repositionner dans le paysage de la mobilité de demain à Mayotte, et se donner les moyens de s’y inscrire durablement. Le débat autour de l’accès aux voies réservées ne doit pas occulter une interrogation plus stratégique : quelle place pour les taxis collectifs dans le futur système de transport du territoire ?

Sur ce point, les exemples des autres départements d’Outre-mer ne peuvent être transposés tels quels à Mayotte. Chaque territoire a son histoire, ses contraintes, ses ressources et ses ambitions. Mayotte doit définir un modèle propre, en phase avec ses réalités locales et ses objectifs de développement.

Pour assurer leur pérennité, les taxis collectifs doivent évoluer, s’adapter et jouer un rôle structurant dans une offre de mobilité plus vaste. Cela suppose une volonté de transformation, une implication active dans la construction d’un système de transport intégré, moderne et équitable. Car la mobilité est un droit fondamental, qui doit être garanti pour toutes et tous, sur l’ensemble du territoire. À Mayotte, les besoins évoluent rapidement. Les trajets domicile-travail ne représentent qu’environ 25 à 30 % des déplacements quotidiens, ce qui reflète la diversité croissante des usages — accès aux soins, à l’administration, à l’éducation, aux loisirs — qu’une politique de mobilité moderne doit prendre en compte.

Taxis collectifs et transports publics ne sont pas nécessairement en concurrence, mais relèvent de logiques complémentaires, encadrées par des règles d’organisation, des missions de service public et des modèles économiques différents. C’est pourquoi il est essentiel d’ouvrir un chantier collectif et ambitieux pour repenser leur avenir, à la hauteur des enjeux de service public, de modernisation et de justice sociale.

Ce chantier mobilise une pluralité d’acteurs : autorités organisatrices de la mobilité, élus, usagers, chambres consulaires, professionnels du secteur et bien sûr l’État, en tant que régulateur, accompagnateur et partenaire financier. Ensemble, ils ont une responsabilité commune : garantir à Mayotte une mobilité accessible, fiable et durable, au service de la cohésion sociale et du développement territorial.

Intégrer les taxis collectifs dans une stratégie de mobilité globale et cohérente

Fréquents arrêts sur les voies de circulation des taxis collectifs

L’intégration des taxis collectifs dans une vision d’ensemble du système de transport peut contribuer à une meilleure efficacité économique et opérationnelle. Par exemple, les autorités organisatrices de la mobilité ont la possibilité de réaliser des économies substantielles en confiant à des taxis, plutôt qu’à des autobus réguliers, la desserte de certains territoires ou tranches horaires spécifiques — notamment en heure creuse ou en fin de ligne, là où la demande est faible.

Cette adaptation fine de l’offre aux particularités des milieux urbains et ruraux est indispensable pour garantir un service performant, équitable et soutenable. Elle implique également de développer des lignes de rabattement efficaces vers les pôles d’échanges multimodaux, afin d’assurer la connexion avec les lignes structurantes du réseau.

À Mayotte, le contexte géographique et démographique rend cette recherche d’efficacité particulièrement nécessaire : desservir des zones peu denses, au potentiel de clientèle limité, représente un coût élevé. Dans cette optique, une distinction claire entre services urbains et services interurbains, conformément aux critères légaux (distance moyenne entre arrêts, fréquence minimale, etc.), permet une meilleure maîtrise budgétaire et une optimisation de la gestion du réseau.

En effet, les coûts d’exploitation des services interurbains sont généralement moins élevés que ceux des services urbains, notamment en raison de régimes sociaux et de conventions collectives différents.

Dans ce cadre, le développement de services souples et ciblés, tels que les « Taxibus », représente une réelle opportunité : réduire les coûts tout en maintenant un niveau d’offre adapté aux besoins des territoires. Ces services peuvent jouer un rôle complémentaire essentiel dans une stratégie de mobilité mieux adaptée aux réalités locales de Mayotte.

Mohamed Hamissi Thomas

Spécialiste des transports urbains et régionaux de personnes

Partagez l'article :

Subscribe

spot_imgspot_img

Les plus lus

More like this
Related

Nouveau forage en prévision sur la commune de Kani Keli

Dans le cadre de la lutte contre la pénurie...

Assemblée plénière : Le Département confronté aux exigences de la régularité financière

Les conseillers départementaux étaient réunis en séance plénière ce lundi matin. Outre l’adoption de 8 rapports, il a surtout été question de prendre acte de l’avis de la chambre régionale des comptes (CRC) concernant le budget primitif du Département pour l’année 2025.

À Mayotte, Kassandrah Chanfi sur tous les fronts : loi de refondation, reconstruction et bataille municipale

Alors que l’Assemblée nationale entame, ce lundi 23 juin, l’examen du projet de loi de refondation pour Mayotte, la présidente du MoDem-Mayotte se mobilise sur trois fronts : défendre un texte qu’elle juge nécessaire, accélérer la reconstruction post-cyclonique, et se positionner vers la mairie de Mamoudzou.

Une convention pour renforcer l’accessibilité à la formation des personnes en situation de handicap

Renforcer l’accessibilité à la formation des personnes en situation de handicap afin d’améliorer leur insertion sociale et professionnelle : c’est l’objectif de la convention signée ce lundi 23 juin entre l’AGEFIPH, le FIPHFP et le GIP CARIF-OREF Mayotte. L’enjeu est d'unifier tous les acteurs et de rendre effectives les offres de formation proposées par les 192 organismes de formation déclarés sur le territoire.