Plus de cinq mois après le passage du cyclone Chido, Mayotte tente de se relever. Mais derrière l’urgence de reconstruire se cache un défi plus profond : comment relancer un territoire en crise sans reproduire les erreurs du passé ?
Ce lundi 26 mai, au Technopôle de Dembéni, plus de 200 décideurs publics, cadres techniques et représentants d’entreprises sont attendus pour un séminaire inédit. Porté par le cabinet CT Consulting & Formation, en partenariat avec IDEPHI, l’ADIM et la CCI Mayotte, cet événement veut faire de la loi d’urgence, votée le 24 février dernier, un outil concret, efficace et sécurisé pour rebâtir l’île. Une course contre la montre s’engage entre exigences juridiques, besoin d’ingénierie, et urgence économique.
Une mobilisation collective pour sécuriser la reconstruction

L’ampleur du séminaire organisé le 26 mai à Dembéni en dit long sur l’attente locale. Plus de 200 participants sont annoncés : représentants de l’État, élus locaux, cadres des collectivités, entreprises, opérateurs économiques… Tous réunis autour d’un même enjeu : comprendre, s’approprier et mettre en œuvre la loi d’urgence votée après le passage du cyclone Chido.
« Nous avons voulu proposer un moment d’intelligence collective, de pédagogie et de solutions », explique Christian Traoré, président de CT Consulting & Formation, structure à l’initiative du projet. Le cabinet, implanté à Mayotte depuis 2019, s’est associé à des partenaires du territoire — IDEPHI, spécialiste de l’ingénierie du bâtiment, l’ADIM et la CCI Mayotte — pour construire un événement à la fois gratuit, technique et opérationnel. L’objectif : rassurer les donneurs d’ordre et leur fournir les outils concrets pour agir rapidement… sans failles juridiques.
Une loi d’exception à ne pas manquer, mais à manier avec rigueur
La loi d’urgence pour Mayotte ouvre une fenêtre de deux ans — du 24 février 2025 au 24 février 2027 — pour faciliter la reconstruction de Mayotte. Elle prévoit des dérogations ciblées au droit de la commande publique : procédures accélérées, relèvement des seuils, possibilité de gré à gré dans certains cas. Mais cet assouplissement n’équivaut pas à une exonération de rigueur.

« Le droit a été assoupli, mais les règles restent en vigueur. Et si elles ne sont pas respectées, les risques sont majeurs », prévient Christian Traoré. Il prend pour exemple le territoire ultramarin de Saint-Martin, après le passage de l’ouragan Irma le 6 septembre 2017, où des millions d’euros de factures n’ont pas pu être réglées faute de pièces justificatives. « Sans cahier des charges clair, le comptable public ne peut pas procéder au paiement. C’est une chaîne de responsabilités dans laquelle chaque maillon est essentiel ».
En effet, le comptable engage sa responsabilité pénale s’il valide un paiement sans que toutes les conditions soient remplies, ce qui le pousse à refuser les paiements en l’absence de justificatifs. Cette situation met également en difficulté les entreprises ayant réalisé les travaux. Christian Traoré insiste : » Ces problèmes ne résultent pas de malversations, mais de la complexité des règles. Par ailleurs, les donneurs d’ordre s’exposent au délit de favoritisme, même sans intention frauduleuse, si les règles de la commande publique ne sont pas scrupuleusement respectées « .
Pour sécuriser les démarches, le cabinet prône une méthode en trois temps : d’abord, la stratégie, qui consiste à cartographier les besoins et définir une vision claire ; ensuite une contractualisation sécurisée, avec la rédaction de marchés conformes au droit ; enfin le pilotage des projets, pour assurer un suivi rigoureux de leur exécution. « La performance de cette loi dépendra de la performance de la commande publique. Et cela, c’est une affaire de méthode après la volonté politique ».
Un enjeu d’ingénierie pour un territoire en attente de solutions

À Mayotte, les défis sont connus : tension administrative, sous-effectif chronique dans les services techniques, tissu économique fragile. Le passage du cyclone n’a fait qu’exacerber ces fragilités. Et c’est là qu’intervient le besoin crucial d’ingénierie. « Le retard pris à Saint-Martin était dû, selon la Cour des comptes, au manque d’ingénierie. Nous ne voulons pas que cela se répète ici à Mayotte », insiste Christian Traoré. Son cabinet, déjà actif dans plusieurs territoires ultramarins, propose des dispositifs d’accompagnement adaptés à chaque contexte local.
À Mayotte, l’urgence est double : reconstruire vite, mais aussi structurer durablement l’action publique, afin que les entreprises locales puissent trouver leur place, car plusieurs marchés publics peuvent leur être réservés, à condition qu’elles soient en capacité de répondre aux appels d’offres. « Ce séminaire, c’est aussi un message adressé aux acteurs économiques : il faut se mobiliser dans une démarche commerciale et se former sur ces procédures « .
À travers cette initiative solidaire, CT Consulting & Formation ne se contente pas de transmettre un savoir : il ouvre un espace d’élan, de lucidité et d’action partagée. Car à Mayotte, il ne s’agit pas seulement de réparer ce qui a été brisé. Il s’agit d’inventer, dans l’urgence, une reconstruction qui soit aussi un projet de société.
Mathilde Hangard