Les partenaires sociaux sont en train d’apprivoiser un Code du travail qui s’affichait jusqu’à encore l’année dernière sur les banderoles des syndicats qui en demandaient la transposition intégrale et immédiate à Mayotte, et d’un patronat y voyait l’occasion de d’obtenir en contrepartie une zone franche globale.
Sous leur pression conjointe, la loi Travail du 8 août 2015 a annoncé son application à Mayotte pour le 1er janvier 2018, en laissant des possibilités d’adaptation au gouvernement pour tenir compte des spécificités de Mayotte. Les jours fériés musulmans, en sont une, mais le différentiel de 25% entre les cotisations sociales des salaires minimums en est une autre. Un rattrapage immédiat pourrait tuer ou affaiblir des entreprises, et abaisser d’un coup de pouvoir d’achat des salariés.
C’est pour digérer cette législation et se faire décrypter le potentiel d’évolution de leur droit que les partenaires sociaux vont pouvoir suivre une session de cinq fois une semaine de formation, qu’explique Dominique Ledemé, Chargé de mission au ministère du travail pour la transposition du Code du travail de droit commun à Mayotte. Une décision prise à l’issue du passage sur le territoire de deux envoyés de l’Institut national du Travail : « Nous devons préparer l’étape suivante. Un texte applicable, c’est bien, mais il faut pouvoir le faire appliquer. »
Passer du conflit au dialogue
C’est à dire que la place donnée aux partenaires sociaux va être de plus en plus grande, il va falloir apprendre à discuter sereinement entre patronat et représentants de salariés, « or nous sommes plutôt dans une situation conflictuelle ici pour l’instant », glisse Dominique Ledemé, « avec notamment de la défiance envers la préfecture et la Dieccte. »
Les sessions s’intitulent « Code du travail, risques et opportunités : quels projets pour Mayotte ? ». L’écho des partenaires sociaux semblent favorable, « ils ont tous signé pour suivre la session, CGT, CFDT, FO, CFE CGC, Sud et UNSA du côté des salariés, et Medef, CPME et CAPEB, du côté du patronat », souligne Alain Gueydan, le nouveau Directeur de la Dieccte.
Tout semble fait pour s’approprier ce code, et observer comment il a été négocié ailleurs : le 1er module traitera du fonctionnement administratif du code du travail, le 2ème portera sur des territoires où le dialogue social a été fructueux, « nous irons en Bretagne en prenant aussi à témoin les échecs provoqués par des organisations syndicales qui n’arrivaient plus à représenter leur base. » Toute ressemblance avec des situations locales connues…
Période électorale : « C’est l’embouteillage dans les cabinets »
Le 3ème module portera sur les regards différents posés par le patronat et les syndicats, « et la nécessité pourtant de bâtir un avenir commun en s’enrichissant mutuellement. L’époque où l’Etat pouvait tout décider de l’avenir de Mayotte est échue », expliquera Dominique Ledemé dans un exercice d’autosuggestion proche de la méthode Coué. En tout cas, c’est l’objectif final. Les partenaires sociaux se déplaceront en Martinique pour le 4ème module, « un exemple d’apaisement des relations sociales en Outre-mer », et le 5ème une synthèse sur une construction commune. Les sessions commencent la 1ère semaine d’octobre.
En matière d’agenda, le timing se resserre, puisque tout doit être prêt au 1 janvier 2018. Mais aucune date n’est figée, calendrier électoral oblige, « c’est l’embouteillage dans les cabinets » (sans faire de mauvais jeux de mots avec la situation sanitaire dans le sud de l’île). « Un projet d’ordonnance existe et reste soumis à arbitrages. » C’est à dire qu’en quelques mois, une dizaine d’instances seront consultées pour étudier les impacts de ce nouveau code du travail, avant d’être soumis au conseil départemental pour avis, et validation définitive par le conseil d’Etat. « Et tout ça avant l’ordonnance qui doit être publiée le 8 octobre. »
Parmi les arbitrages, la mise en place des prud’hommes ou le passage des 39h aux 35h. « Le droit commun impose les 35h, mais la durée du travail pourrait rester dans un premier temps à 39h payées 35h. Dans ce cas, la compensation devra être négociée par les partenaires sociaux. » Un vrai baptême du feu pour la nouvelle entente entre patronat et syndicats !!
Dans le même état d’esprit, on ne parlera plus de SMIG*, mais de SMIC*, sans évolution des montants… « Le gouvernement peut en effet fixer des taux différents de SMIC puisqu’à Mayotte, les cotisations sociales sont 25% moins élevées qu’en métropole. » Certains points du Code seront transposés, « c’est le cas du travail temporaire ou de la collecte de la taxe d’apprentissage, dont les ordonnances sont en cours. »
L’alignement sur les autres territoires se fera d’autant plus progressivement que le code du travail n’est pas le seul à régir la vie des salariés, « il faut notamment faire évoluer le code des Impôts et le code de la Sécurité sociale, qui dépend du Ministère des Affaires sociales, prévu pour être opérationnel en 2036… »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Salaire minimum interprofessionnel Garanti et Salaire minimum interprofessionnel de Croissance