Il faut dire que Ali Saïd Attoumani, auparavant en charge de la culture au conseil départemental, avait intrigué ses lecteurs. Interrogé par Christine Coulange (Sisygambis) il y a quelques années, il disait ceci : « Cet instrument suit la voix humaine, sa fréquence fusionne avec les tambours et provoque la transe. Il est maudit parce qu’à Mayotte, on s’est rendu compte que les veillées ne s’arrêtaient plus, les gens jouaient jusqu’à 3 à 4 jours d’affilée et ne faisaient rien d’autre. Les marmites des femmes brûlaient sur les foyers, les hommes n’allaient plus à la mosquée ». Bigre, risqué de partir à la quête de cet instrument qu’Ali Saïd Attoumani dit arriver à Mayotte en 1942, quand, parmi les armées alliées, se trouvaient des musiciens africains qui jouaient du ndzumari pour les mariages.
Depuis, l’instrument est tombé dans l’oubli, il ne se fabrique plus à Mayotte, et personne ne sait en jouer. Avec une telle réputation, pas étonnant. Mais pas partout dans la région, dit encore le spécialiste de la culture mahoraise, qu’il serait par ailleurs bon de remettre sur le devant de la scène. Si à Mayotte, les religieux avaient fini par émettre une fatwa contre cet instrument, expliquant son déclin, à Zanzibar, on l’envisage autrement, « une classe de fins lettrés fait une lecture moins fondamentaliste du Coran », et garantissent de la compatibilité de l’instrument avec la religion musulmane, rajoute Ali Saïd Attoumane. Le ndzumari est également utilisé à Madagascar lors des cérémonies de retournement des morts, les esprits des ancêtres ou les djinns se sentiraient dans leur élément aux premiers sons de l’instrument.
Direction Pemba donc, dans l’archipel de Zanzibar, du 29 avril au 13 mai 2022, pour Cécile Bruckert, directrice de l’école Musique à Mayotte, Mohamed Issa Haji Matona, le fondateur de l’ancienne académie des violons de Zanzibar, Anthoumani Rakoto, salarié de MAM, qui organise le voyage, financé par MAM et la Direction des Affaires Culturelles (DAC) de l’Etat, Jean Wellers, musicien et luthier de l’école de musique, Rayssa Mohamadi et Naouir Hassani, respectivement traductrice et responsable des prises de vues, tous deux pour le MuMa (Musée de Mayotte)
Des procédés de fabrication certifiés par les djinns
Ils ont des pistes. « Après un premier sondage, nous avons appris que le ndzumari était présent sur l’île de Lamu, au Kenya, au 14ème siècle, et dans l’archipel de Zanzibar. Et Matona est arrivé à retrouver la trace de fundi Juma, 67 ans, le dernier facteur de ndzumari, habitant de Pemba. Nous avons préparé la mission il y a deux ans, quand la vague de Covid s’est abattue sur la région. Et il y a un mois, nous avons enfin pu concrétiser et nous y rendre », nous rapporte Cécile Bruckert, des étoiles dans les yeux.
Mais pour cerner un tel instrument, il faut prendre son temps, et la mission s’est vite révélée trop courte : « Nous avons dû passer deux jours à Zanzibar pour prendre connaissance des instruments accompagnant le ndzumari, et cinq jours sur place à Pemba. C’était un peu court, mais au moins, nous avons appris comment le fabriquer. » Ils n’ont malheureusement pas pu aborder le jeu, « nous allons y repartir », car les instrument ramenés de Pemba sont orphelins de son.
Bon, à l’inverse d’une chaine de fabrication de voitures, toutes les étapes ne sont pas respectées, heureusement : « Le fundi nous a expliqué son rituel. Comme l’instrument appelle les esprits, il broie des feuilles, se frotte trois fois les joues, en présence de trois coqs, un noir, un blanc et un rouge, pour que les esprits aient à manger. » Ce n’est pas tout, ce serait trop facile, il faut aussi fabriquer le ndzumari uniquement la nuit, entre minuit et 6 heures du matin, et le laisser sur le site tant qu’il n’est pas terminé. L’instrument, qui n’en demandait peut-être pas tant, est ensuite utilisé dans des rituels de possession, ou de demande particulières aux esprits.
Les Celtes l’ont adopté
Dans la salle de Musique à Mayotte, lorsque Anthou se saisit de l’instrument, ce sont des sons proches de la bombarde bretonne qui s’élèvent, « j’ai fait une résidence en Bretagne avec cet instrument parmi les Celtes », nous lance Matona qui passe la tête dans l’embrasure de la porte.
Il est joué seul ou avec 4 tambours (photo), et accompagné de masheve qui recouvrent quasiment intégralement les jambes des hommes. « Lorsqu’il en joue, fundi Juma ne fait pas de pose pour reprendre sa respiration, c’est fluide et harmonieux. »
Autre particularité de cet instrument, la transmission de sa fabrication et de son jeu ne se fait pas en direct, « les papas protègent ainsi leurs enfants des esprits. Nous y avons eu accès car nous ne faisons pas partie de la famille. » Mais fundi Juma, désépaissit le côté diabolique, « il nous a expliqué que ce ne sont pas que des mauvais esprits qui sont appelés, il y en a autant de bons. » Il vend son bijou musical à 150 euros, « cela représente 12 heures de travail, et les Omanais mettent jusqu’à 200 euros pour en acheter un, car ils connaissent ses finitions. Même les politiciens font appel à lui ! » Houlà, un article interdit aux candidats aux législatives donc !
Fundi Juma le met à toutes les sauces, « les récoltes, les tam-tam bœuf, ou lors des mariages et des matchs. »
Les esprits nuisent surtout aux coqs, puisque lorsque l’instrument est fini, les volatiles finissent dans la casserole pour nourrir la communauté.
Une nouvelle mission semble indispensable, ne serait-ce que pour cerner le bois dans lequel est fabriqué le pavillon, « c’est du mpezi, mais il faudrait qu’on aille en brousse avec le fundi qu’il nous désigne l’essence précisément. » Le corps est fait de mbunduki, le bec en laiton, et la hanche, en fibre de cocotiers.
Même court, ce déplacement va néanmoins déjà permettre au MuMa d’enrichir ses collections, « nous avons mené ce travail de concert avec eux, deux de leurs agents étaient présents, car une des prochaines salles exposera les instruments de musique, dont les ndzumari que nous avons rapportés. »
Anne Perzo-Lafond