Les familles d’accueil, une « opportunité » pour les jeunes en errance à Mayotte

Parfois sources de préjugés et autres « on-dit », les familles d’accueil constituent pourtant une alternative à l’incarcération des mineurs. Pour tenter d’aller au-delà des idées reçues, M. Alimdine professeur au collège de Koungou ainsi que Hubert Bordy, responsable d’unité éducative à la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Mayotte, apportent un éclairage sur ce dispositif d’hébergement diversifié.

La baie de Chiconi s’offre toute entière au regard depuis la terrasse de l’appartement de M. Alimdine, juchée sur les hauteurs de son village. Ce panorama remarquable revêt tous les attraits propices à la méditation et à la réflexion. Un lieu de calme, de sérénité, authentique havre de quiétude loin de l’agitation qui fourmille aux abords de la route nationale serpentant en contrebas. D’un ton affable, le propriétaire des lieux, professeur au collège de Koungou, se livre peu à peu sur les raisons qui l’ont amenés, lui et sa femme, à devenir famille d’accueil pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) de Mayotte ; subtiles circonstances à la croisée de l’altruisme et du hasard.

La baie de Chiconi

« Ce n’est pas le gîte et le couvert »

« Nous n’avons jamais eu d’enfants mais nous désirions en avoir. Un jour, de retour des Hauts-Vallons, j’ai vu l’affiche de la PJJ et je me suis dit ‘tiens c’est intéressant pour nous’ », raconte M. Alimdine avant de poursuivre, « je voulais soutenir ma femme alors je me suis renseigné pour avoir des informations et le lendemain nous avons eu un rendez-vous ». De fil en aiguille, le professeur détaille aussi bien la venue de la PJJ au domicile afin d’évaluer les conditions matérielles, que les deux heures d’entretien avec un psychologue pour sonder les personnalités des futurs hébergeurs.

Un processus fastidieux puisque « être famille d’accueil, ce n’est pas donné à tout le monde », souligne Hubert Bordy, responsable à la PJJ. « Si l’avis des éducateurs et du psychologue sont favorables et qu’en plus le casier judiciaire est vierge, c’est bon signe », abonde-t-il. Conditions certes nécessaires, mais pas pour autant suffisantes au regard de la relation « d’empathie » qui doit se créer et s’entretenir entre le jeune et sa famille. « Ce n’est pas le gîte et le couvert », prévient-il. L’objectif est en effet bien plus profond : aider le jeune à acquérir les bases du savoir-vivre et du savoir-être. Selon le responsable d’unité éducative, « 80 % des mineurs que l’on reçoit ont des carences éducatives et scolaires ». Il est donc primordial au regard de cette situation que les familles aient une fibre « empathique », une « ouverture d’esprit » ainsi qu’un désir de « transmettre ».

Un accompagnement de tous les instants par la PJJ

Les familles concernées ne sont pas pour autant livrées à elles-mêmes. Une à deux fois par semaine, des éducateurs se rendent dans chaque domicile pour faire un suivi. Si la fréquence de ces visites entend à ne pas être « intrusif », la présence de l’éducateur n’en est pas moins primordiale puisque « c’est lui qui apporte le financement, entre autres, du transport pour aller en formation ou à l’école ». Les quarante euros quotidiens perçus par la famille pour chaque jeune accueilli servent avant tout à assurer leur alimentation. « Quand elle commence à accueillir, on place d’abord un jeune pour savoir si elle est véritablement en mesure de l’accompagner et au bout d’un certain temps, et après concertation en réunion de service, on peut éventuellement en placer un second, mais pas au-delà », prévient le responsable. Cette situation est loin de désavantager les mineurs placés puisqu’elle favorise l’émergence d’un espace de dialogue, de confiance et de sérénité condition sine qua non à la libération de la parole. Libération salvatrice encourageant la prise de recul aussi bien sur soi que les actes reprochés.

Des résultats probants

Les critères sont stricts mais les résultats parlent d’eux-mêmes. Reprenant les chiffres de la réinsertion, Hubert Bordy commente : « ils sont plutôt pas mal ». « Sur dix jeunes placés, huit rentrent chez eux après », informe-t-il. « Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, les jeunes sont très respectueux avec les familles d’accueil » poursuit-il, avant de préciser que «tous les types de profil ne vont pas en famille d’accueil ; c’est la permanence administrative qui propose une alternative à la prison et c’est le juge qui en

La famille d’accueil, une alternative à l’incarcération

tient compte ou non ». Dès lors, les données actuelles parlent d’elles-mêmes sur « les trente jeunes placés, seulement deux ont présenté des difficultés que ce soit des fugues ou des insultes ». M. Alimdine semble témoigner, à ce titre, de l’exception qui confirme la règle. « On nous a envoyé un jeune mais je le soupçonnais de fuguer la nuit », indique-t-il. Un soupçon qui sera rapidement confirmé. « J’ai immédiatement averti la PJJ », précise le professeur. Une mésaventure qui n’entache en rien sa volonté d’accueillir un nouveau jeune.

Et concernant les résultats scolaires ? « Cette année, sur l’ensemble des jeunes inscrits au baccalauréat, aucun ne l’a raté », fait savoir Hubert Bordy, dont les prémisses d’un léger sourire de satisfaction semblent furtivement se dessiner. Il continue, « on peut également s’arranger pour qu’un jeune puisse changer de famille d’accueil en fonction de son affectation dans l’établissement scolaire mais cela dépend de son dossier et de son comportement ». En définitive, résume le responsable, « il peut y avoir de très belles histoires qui se nouent ». Est-ce une deuxième chance que la société leur offre ? « Je dirais plutôt que c’est une opportunité, à eux de la saisir ou non, mais pour ceux qui la saisissent, ils restent reconnaissants ».

Pierre Mouysset

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