« Je ne vais pas commencer à m’occuper des mineurs isolés, je n’en finirai plus, et il faudra doubler les structures tous les deux jours ». C’est la réponse que nous avait faite un ex-directeur du Pôle enfance et famille en 2010 lorsque nous l’interrogions sur les 6% de dépenses du budget départemental réservées alors au social, alors qu’elles devaient dépasser 60% sur cette compétence première. Dix ans après, on voit le résultat tous les jours dans la rue. Lorsque Issa Issa Abdou a pris les manettes de l’action sociale en 2014, son prédécesseur avait menacé de déposer plainte contre son DGA. Un terrain miné. Un vrai défi politique.
Tout comme celui du Comité de pilotage sur l’Aide sociale à l’enfance qui se tenait ce jeudi 25 mars, et pas seulement parce que l’élu se présente aux départementales. Il s’agissait avant tout de rendre compte et de mesurer le chemin parcouru, non pas depuis la départementalisation de l’île, mais depuis les 6 ans de mise en place des mesures par l’exécutif actuel. Et même, depuis seulement 4 ans de versement de la compensation financière de l’Etat. Car, voyant que le conseil départemental commençait à bouger le petit doigt, et suivant le rapport de l’IGAS* invitant à mettre les moyens, le gouvernement par la ministre des outre-mer Ericka Bareigts, s’engageait en 2017 à compenser les dépenses à hauteur de 9,6 millions d’euros annuels, avec rétroactivité.
Depuis, les besoins se sont démultipliés, indiquait Issa Abdou : « En 4 ans, les dépenses engagées en matière d’aide sociale à l’enfance ont été multipliées par 5, pour atteindre en 2021, 48 millions d’euros », correspondant aux engagements pris lors de la rédaction du Schéma Départemental de l’Enfance et de la Famille 2017-2021 : la capacité d’accueil est passée de 326 places en 2016 à 826 places, le nombre d’assistants socio-éducatifs de 22 à 38, d’assistants familiaux de 92 à 203, la mise en place de deux Maison Educatives à Caractère social, de 15 Lieux de Vie et d’Accueil, pour ces mineurs en danger, soit dans leur famille, soit en errance. Le nombre d’enfants placés est passé de 352 à 909. La dernière avancée est le vote d’une contractualisation avec l’Etat à laquelle avait invité le secrétaire d’Etat Adrien Taquet. La signature devrait intervenir dans les semaines à venir, tout comme l’appel à projets sur les Mineurs non Accompagnés.
Pas de suivi de l’enfant
Malgré ces avancées, « il reste encore beaucoup à faire », reconnaissait Issa Abdou, évoquant le nombre insuffisant de travailleurs sociaux, des places d’accueil, de la diversification des modes d’accueil, mais invitait l’Etat à faire sa part : « à la fois en amont en réglant la question migratoire, et en aval, c’est bien d’accueillir sur un territoire de 374 km2, mais il faut permettre d’en ressortir, soit en appliquant la circulaire Taubira de répartition des mineurs sur d’autres départements, soit en autorisant les détenteurs de titres de séjour à quitter Mayotte. »
Le Comité de pilotage réunit le procureur, le directeur de la Protection Judicaire de la Jeunesse et le sous-préfet chargé de la Cohésion sociale, c’est à dire qu’en présence de la presse, l’élu s’attendait à ne pas recevoir que des satisfécits. Tout en commençant par souligner les efforts faits, « vous êtes partis de rien et après 10 ans, nous avons un organigramme en ordre de marche », le procureur Yann Le Bris soulignait de nombreuses et conséquentes pistes d’amélioration, en demandant un accompagnement qualitatif des mineurs : « Régulièrement, nous avons des jugements impliquant des mineurs, mais ni l’éducateur, ni le mineur n’est présent à la barre. Et quand nous demandons le suivi à l’ASE, nous n’avons pas de rapport sur l’enfant. »
Gagner en qualité de suivi devrait impacter favorablement sur les problèmes structurels : « Un enfant ne doit pas être confié ad vitam æternam à la famille d’accueil. Il doit retourner dans sa famille mais il faut pour cela qu’un lien soit tissé par l’éducateur. Or, cela ne se fait pas. Pourtant, avec une meilleure rotation des mineurs, vous pourriez en placer moins par famille d’accueil. » Un raisonnement valable quand les parents sont sur le territoire. Le procureur attend un listing précis du nombre de famille d’accueil.
Faire sortir de l’impasse les « ni-ni »
A l’origine, la plupart n’avaient pas le niveau pour être famille d’accueil, et se contentaient de percevoir les rétributions sans trop se soucier des jeunes qu’elles avaient à charge. Issa Abdou s’était interrogé sur l’éventualité de se séparer de celles qui ont officié jusque là, ou de les former ». La 2ème option avait été retenue, mise en place il y a 4 ans, mais des améliorations sont encore attendues par le procureur : « Une fois qu’on a extrait l’enfant d’une situation de danger, un suivi de qualité est indispensable par la famille d’accueil. Elles doivent monter en compétence. » Et concluait par une phrase « au regard de la justice, un enfant sur la pente de la délinquance, reste un enfant, quelque soit sa nationalité », qui résume à la fois l’obligation qui échoyait à Issa Abdou de se mettre en règle avec la loi et celle, pour l’Etat, de compenser cette prise en charge au titre de la lutte contre l’immigration clandestine.
Sur ce plan, l’Etat se dit prêt à travailler avec le conseil départemental sur une liste de « ni-ni », des enfants mineurs ou jeunes majeurs non régularisables et non expulsables, en raison de leur situation, pour sortir de l’impasse.
Autre proposition d’accompagnement, celle de la PJJ, la Protection judiciaire de la Jeunesse, par la voix de son directeur Hugues Makengo, qui commençait par féliciter le vice-président pour le Schéma de l’Enfance 2017-2021, « très ambitieux » : « Nous pouvons assurer une journée de permanence à la Cellule de Remontée des Informations préoccupantes. » Comme nous l’avons constamment rappelé, la CRIP est le tendon d’Achille du dispositif, pourtant plus un enfant est pris en charge tôt, moins les séquelles seront importantes, et plus il aura de chance de s’en sortir.
La PJJ, un organisme que connaît bien Antoissi Abdou-Lihariti, qui y avait fait un passage comme conseiller technique à la direction, et qui est revenu à son poste de directeur de l’ASE. Il repart avec une liste conséquente d’actions à mettre en place pour améliorer grandement le suivi individuel de ces jeunes.
Anne Perzo-Lafond