Après l’annonce de la démission de la ministre de la Justice et Garde des Sceaux Christiane Taubira, l’heure est au bilan. Si le visage de l’institution judiciaire a beaucoup changé en 4 ans dans notre département, il reste encore des points épineux, du statut des traducteurs à la justice des mineurs.
Christiane Taubira en visite à Mayotte, c’était en octobre 2014. Les magistrats et les personnels de l’institution judiciaire avaient alors souligné la qualité de l’écoute de la ministre de la Justice qui avait «pris conscience des problématiques de Mayotte». «C’est mieux que tous les rapports!» disait-on après son passage.
De fait, de nombreux dossiers en souffrance ont été réglés. Le greffe du tribunal de commerce a été remis sur pied permettant à nouveau la délivrance de Kbis aux entreprises après une longue période de blocage. Le RCS, le registre du commerce et des sociétés, fonctionne également sur des normes correspondant aux standards nationaux.
Le tribunal de Mayotte a aussi pu répondre au défi des personnels. Ici, comme dans toutes les institutions du département, la question de l’attractivité et des postes non pourvus est un problème récurrent. Pour la 1ère fois, en septembre dernier, des magistrats et des greffiers fraîchement sortis des écoles ont été affectés à Mayotte, permettant de combler une grande partie des postes vacants.
Des interprètes sans contrats
Et d’autres moyens humains ont depuis été débloqués. Les services judiciaires de l’état civil et de la nationalité ont, eux aussi, réussi à pourvoir des postes vacants et 10 vacataires ont été recrutés pour quelques mois en octobre dernier pour travailler au traitement des dossiers qui s’empilaient dans des proportions invraisemblables.
Pour autant, tout n’est pas encore réglé, comme en témoigne la situation des interprètes. Leur contractualisation n’a pas encore abouti et la question du règlement de leurs prestations repose encore sur un certain flou. S’ils déclarent leur activité, beaucoup émettent des factures sans disposer de statut… ce qui ne leur permet pas de cotiser pour la sécu ou la retraite. On n’est pas loin des affaires de travail dissimulé que les tribunaux ont régulièrement à juger.
Pour autant, là encore, les choses avancent : Le président du tribunal, Laurent Sabatier, vient d’annoncer que 3 interprètes sur les 8 officiant actuellement seront très prochainement contractualisés.
Nouvelle prison et tribunal plus grand
Du côté des équipements, ces dernières années ont été celles des grands changements. Fini la Maison d’arrêt. Les bâtiments flambant neuf de Majicavo sont devenu un Centre pénitentiaire depuis le 14 décembre, avec une capacité d’accueil triplée en 5 ans… pour suivre l’évolution de la délinquance dans l’île. Si les conditions de travail pour les agents et d’incarcération pour les détenus ont été grandement améliorées, cette transformation s’est faite socialement dans la douleur, les agents réclamant le versement d’une indemnité qui ne leur a toujours pas été accordée.
Au tribunal, mises aux normes et sécurisation des locaux (après une série de cambriolages), système informatique calé sur les normes nationales (CASSIOPEE) et le chantier de l’extension ont rythmé ces derniers mois. Le nouveau bâtiment est en voie d’achèvement avec une mise en service programmée pour le mois de septembre. Le tribunal bénéficiera ainsi d’une 2e salle d’audience et d’un accueil enfin réfléchi pour le public.
Le choix d’un PPP, partenariat public-privé, a été retenu. L’institution judiciaire possédait bien des terrains dans le centre de Mamoudzou mais, faute de moyens à court terme, c’est le choix d’une réalisation par un privé puis d’une location de long terme qui a été retenu.
Trois nouvelles juridictions
Trois juridictions nouvelles avaient été annoncées pour Mayotte : le tribunal des Affaires de Sécurité sociale est devenu une réalité depuis quelques mois. Le tribunal mixte de Commerce pourrait suivre à la fin de l’année après un vrai bilan du fonctionnement du registre du commerce (RCS). Enfin un Conseil des Prudhommes est toujours dans les cartons. La loi prévoit un délai supplémentaire avant cette harmonisation relevant du droit commun.
La justice sous Christiane Taubira aura également connu son lot de crises. Les relations avec les avocats n’ont ainsi pas toujours été faciles. Deux mouvements de grève des barreaux de France, dont celui de Mayotte, ont dénoncé la volonté du ministère de faire évoluer la rémunération des avocats et le fonctionnement de l’aide juridictionnelle qui représente un poids particulier à Mayotte. A chaque fois, le ministère a reculé face à la fronde des robes noires.
Le tabou de l’ordonnance de 1945
A Mayotte, la situation de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse est également loin d’être apaisée. Si la ministre avait visité un chantier modèle où des jeunes pris en charge par le service réalisaient un bateau, les grèves ont ponctué la vie de la PJJ, les agents dénonçant des moyens insuffisants. La montée en puissance de l’institution a été réelle mais pas encore assez importante face aux enjeux de l’accompagnement judiciaire de jeunes toujours plus nombreux.
Ce dossier de la délinquance des mineurs à Mayotte restera d’ailleurs comme le point noir non réglé. Alors que l’insécurité mahoraise a pour particularité d’être, pour beaucoup, le fait de très jeunes gens, aucune adaptation de la réglementation n’a été envisagée par le ministère. L’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante est restée la règle nationale intangible, une ligne taboue. La réalité sociale de notre département appellerait pourtant probablement à l’adapter.
RR
Le Journal de Mayotte