Justice : A Mayotte « Il reste énormément à faire »

Tribunaux en ruine, juges en transit et avocats débordés… À Mayotte, se faire entendre par la justice relève parfois du parcours du combattant. Une enquête de l’Assemblée nationale lève le voile sur un système en mode survie.

Quand un cyclone s’abat sur l’île, ce n’est pas seulement les arbres qui tombent. Le tribunal judiciaire de Mamoudzou, déjà fragile, a été sévèrement touché par Chido, laissant magistrats et justiciables dans un imbroglio quotidien. Six habitants sur dix se déclarent en insécurité, d’après une étude de l’Insee, et porter plainte peut sembler un exploit, tant les obstacles sont nombreux.

Une magistrate résume la situation avec lucidité. « Il reste énormément à faire. La nouvelle cité judiciaire, que nous attendons depuis longtemps, ne paraît pas prête de voir le jour. Après Chido, nous avons perdu une grande partie de nos locaux et avons dû louer des espaces en urgence pour continuer à assurer nos missions. Les travaux de rénovation ne débutent que ce mois-ci. La chambre d’appel, elle, fonctionne dans des bâtiments modulaires, et seuls des travaux de mise en sécurité ont pu être réalisés en attendant une vraie reconstruction. Malgré tout, la justice continue de se rendre mais dans des conditions difficiles pour tous ». 

Le rapport de l’Assemblée nationale du 27 novembre 2025, fait au nom de la Commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins, présidée par Frantz Gumbs et rapportée par Davy Rimane, dresse un portrait saisissant d’une île où la loi peine à rattraper le quotidien.

Quand porter plainte devient un pari risqué 

Commissariat, Mayotte
À Mayotte, porter plainte reste un pari risqué : sans preuves, de nombreuses affaires, comme les agressions d’automobilistes restent souvent sans suite.

À Mayotte, le sentiment d’insécurité est palpable. Dans ce climat, beaucoup hésitent à saisir la justice, par peur de représailles ou par résignation face à la lenteur des procédures. « Les gens trouvent que cela ne va pas suffisamment vite et que les responsables ne sont pas suffisamment punis. Dans un territoire où tout le monde se connaît, si on porte plainte, elle sortira de prison quelques semaines plus tard et finira par vous retrouver, ce qui fait peur », expliquait le président du conseil départemental au rapport.

Les étrangers en situation irrégulière sont encore plus vulnérables.  La présidente du tribunal judiciaire de Mayotte résume : « Il y a beaucoup plus d’étrangers en situation très précaire, qui ont peur de sortir de chez eux en raison de la féroce répression pour les reconduire à la frontière. Le fort taux de non-recours est lié au fait qu’on ne circule pas à Mayotte avec autant de liberté qu’ailleurs », comme le précise le rapport.

La justice à Mamoudzou, entre cyclone et carences

Mayotte, Chambre d'appel à Mamoudzou, magistrats, installation,
La chambre d’appel de Mamoudzou neuf mois après le passage du cyclone Chido : des locaux soufflés, illustrant l’état critique des infrastructures judiciaires sur l’île.

La juridiction mahoraise est concentrée à Mamoudzou, avec un tribunal judiciaire, un conseil des prud’hommes et un tribunal mixte de commerce dont le greffe est à La Réunion. La chambre d’appel de Mamoudzou relève de Saint-Denis de La Réunion, distante de 1 500 kilomètres. La présidente du tribunal décrit un bâti « dans un état qu’il faut bien qualifier de lamentable », la moitié des locaux ayant été perdus après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre 2024. L’accueil du public est limité, les audiences se tiennent dans des modulaires sur le parking, et les détenus partagent une unique geôle.

Les effectifs sont tout aussi fragiles. Sur dix-huit magistrats du siège prévus, seuls quatorze sont en poste, dont six jeunes sortants de l’ENM. Au parquet, cinq magistrats occupent six postes, et les renforts temporaires, comme les brigades d’urgence outre-mer, deviennent indispensables mais ne règlent rien sur le long terme. Comme le résume la présidente du tribunal : « Si notre collègue brigadiste refusait d’assurer la fonction de juge des libertés et de la détention, nous atteindrions alors les limites du possible », souligne-t-elle.

L’accès au droit, une course d’obstacles

Mayotte, tribunal judiciaire, salle d'audience,
Une salle d’audience du tribunal judiciaire de Mamoudzou : sous-dimensionnée pour une île entière, cristallise à elle seule la pénurie de moyens accordée à la justice.

Le barreau de Mayotte compte seulement trente avocats pour 320.000 habitants, soit un avocat pour 13.000 habitants, contre un pour neuf cents en moyenne nationale. Le bâtonnier, Me Yanis Souhaili, note que certains contentieux, notamment le droit des étrangers, sont difficiles à couvrir : « Peu d’avocats sont inscrits au barreau pour intervenir devant le tribunal administratif. Nous arrivons à assurer une permanence pour le juge des libertés et de la détention, mais le gros contentieux des titres de séjour échappe aux avocats de Mayotte », comme le précise le rapport.

Le Conseil départemental d’accès au droit (CDAD) tente de pallier le manque d’avocats et d’auxiliaires de justice, mais ses permanences sont souvent assurées par des salariés sans formation juridique et restent peu visibles. La présidente du CDAD souligne : « L’équipe ne dispose d’aucune des compétences juridiques, managériales et de communication requises ». Pour les justiciables, surtout étrangers et précaires, la justice semble donc distante, abstraite et parfois… virtuelle. Le rapport de la Commission d’enquête le dit sans détour : à Mayotte, l’accès au droit reste un horizon plus qu’une réalité.

Mathilde Hangard

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