Au Sénat, les outre-mer veulent sortir du banc de touche

Au palais du Luxembourg, ce jeudi 4 décembre, les territoires ultramarins se sont retrouvés sous les projecteurs. Entre incertitude politique, régulation complexe et défis démographiques, chacun cherche ses leviers pour transformer son potentiel économique en croissance concrète.

Sénateurs, économistes et experts ont passé au crible les obstacles et opportunités des Outre-mer. Emploi, sécurité, régulation, infrastructures… chaque territoire présente ses défis, et Mayotte illustre particulièrement certains points : jeunesse démographique, intégration économique limitée, insécurité. Mais tous partagent la même ambition : enfin jouer un rôle à la hauteur de leur potentiel dans leur secteur géographique singulier.

Des ambitions qui ne se comptent pas en kilomètres 

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Sous la présidence de Micheline Jacques, la délégation sénatoriale aux Outre-mer met le cap sur des changements majeurs pour les territoires ultramarins.

La présidente de la délégation sénatoriale aux Outre-mer, Micheline Jacques, a ouvert le colloque en rappelant les priorités : emploi, innovation et développement durable. Elle a souligné que la coopération régionale et la lutte contre la vie chère constituent des leviers indispensables pour soutenir des économies souvent contraintes par leur éloignement et leur insularité.

Teva Rohfritsch, vice-président de la délégation, a insisté sur la nécessité de dépasser les constats : « Nous devons transformer la trajectoire de nos économies ultramarines. Les petites tailles de marché, les contraintes logistiques et les coûts de structure élevés exigent des leviers spécifiques, pas des calques de solutions métropolitaines ». 

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La présidente de l’Institut for Small Markets Law & Economics a souligné que la régulation économique est un levier central pour protéger le pouvoir d’achat et sécuriser les circuits d’approvisionnement dans les territoires ultramarins.

Johanne Peyre, présidente de l’Institut for Small Markets Law & Economics, a développé l’idée que la régulation économique est au cœur du développement : « Dans les DOM et collectivités ultramarines, la régularisation n’est pas un luxe technique, mais un instrument de justice économique. Elle protège le pouvoir d’achat, contribue à la lutte contre la vie chère et permet de sécuriser les circuits d’approvisionnement, souvent vulnérables ».

La jeunesse massive de Mayotte et de la Guyane représente un potentiel économique mais pose aussi des défis en termes d’emploi et de formation.

Loup Wolff, ancien directeur interrégional La Réunion–Mayotte, a dressé un panorama démographique précis : certains territoires comme la Guadeloupe ou la Martinique connaissent un vieillissement marqué, avec une concentration élevée de seniors et une population active dont la productivité ne peut plus soutenir seule la croissance. À l’inverse, Mayotte et la Guyane disposent d’une jeunesse massive et d’un potentiel démographique important, mais dont l’intégration économique reste un défi majeur. Les projections à 2050 indiquent qu’accompagner cette croissance vers l’emploi et la formation sera déterminant pour éviter des déséquilibres sociaux et économiques.

Entre obstacles et solutions : l’Outre-mer se réinvente

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À Mayotte et dans d’autres territoires ultramarins, insécurité, cherté du logement et aléas climatiques, freinent l’installation des jeunes et la fidélisation des talents, alertait Françoise de Palmas.

Angélina Simoni, directrice interrégionale outre-mer de BPI France, a souligné l’énergie et l’agilité des entrepreneurs ultramarins. Mais elle a alerté sur la combinaison des vents contraires : coûts logistiques élevés, concurrence internationale, faibles marges et incertitude politique. Selon les dernières enquêtes, seulement 29 % des dirigeants maintiennent leurs projets d’investissement fin 2025, contre 44 % fin 2024. Cette baisse reflète directement le poids de l’instabilité politique et de l’insécurité réglementaire sur la prise de décision économique.

Françoise de Palmas, secrétaire générale de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (FEDOM), a détaillé les obstacles structurels : insécurité, aléas climatiques, rareté du logement et fiscalité complexe. Elle a insisté sur le cas de Mayotte, où ces contraintes freinent fortement l’investissement et l’installation des jeunes couples, limitant ainsi la dynamique entrepreneuriale et le développement économique local. La FEDOM plaide pour un soutien accru de l’État dans ces domaines, notamment via la défiscalisation et des politiques assurantielles adaptées aux risques climatiques.

Pierre-Yves Chicot, professeur et avocat, a rappelé l’importance de l’innovation et de la créativité locale. « La nouvelle génération n’accepte plus l’idée d’un handicap structurel. Elle invente ses propres solutions : une étudiante a conçu un modèle d’approvisionnement de la Guadeloupe vers les États-Unis, à 21 ans. Ce type d’initiatives pourrait être systématisé pour renforcer l’autonomie économique des territoires ». 

Réguler pour libérer : le nerf de la guerre vers la croissance 

À Mayotte, comme à La Réunion, organiser les flux commerciaux avec les territoires voisins est crucial : sans coopération régionale, les économies ultramarines peinent à se développer et leurs habitants en paient le prix fort, rappelait Audrey Bélim.

La régulation économique a été identifiée comme un levier stratégique. Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, a dénoncé un cadre législatif trop contraignant. « La régulation à des milliers de kilomètres ne peut se faire depuis Paris. La loi EROM sur l’égalité réelle outre-mer, est loin, et l’instabilité politique bloque les propositions concrètes. Il faut un cadre adapté aux réalités locales et capable de gérer la concurrence internationale tout en protégeant les acteurs locaux ». 

Elle a proposé une régulation déconcentrée et intégrée aux bassins économiques spécifiques, de l’océan Indien aux Caraïbes, afin de sécuriser les circuits d’approvisionnement et de réguler l’importation face à la concurrence internationale. Solanges Nadille, sénatrice de Guadeloupe, a rappelé que cette résilience n’est pas un privilège : « Nous sommes des Français comme les autres, mais il faut se battre pour défendre nos spécificités, comme l’octroi de mer ou la protection des filières locales ». 

Les territoires ultramarins ont tous les atouts pour passer à l’offensive : jeunesse massive et ambitieuse, potentiels économiques variés et leviers identifiés. Encore faudrait-il que l’instabilité politique cesse de freiner leurs initiatives, que la régulation s’adapte aux réalités locales et que les investissements soient sécurisés.

Mathilde Hangard

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