Poursuivi pour des soupçons de favoritisme, de prises illégales d’intérêts et de détournements de fonds publics liés principalement à l’attribution de marchés publics de la municipalité, le maire de Koungou, Assani Saindou Bamcolo, a comparu ce mardi 25 novembre devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou.

Des accusations similaires avaient déjà été examinées lors d’un premier procès en octobre 2021, finalement annulé en raison d’une enquête jugée « bâclée », avant même l’ouverture des débats. Trois ans plus tard, le 12 avril 2024, l’élu et son directeur général des services (DGS) avaient de nouveau été placés en garde à vue dans le cadre d’investigations portant sur des soupçons de favoritisme, de détournements de fonds publics et de prise illégale d’intérêts.
À la suite de cette garde à vue, une audience avait été programmée le 20 mai 2025, mais le procès avait alors été renvoyé à ce 25 novembre. Cette fois-ci, les échanges ont bien eu lieu et se sont déroulés pendant près de quatre heures et demie.
Le chef d’accusation concernant une supposée prise illégale d’intérêts liée aux fonctions du maire lorsqu’il présidait le SIDEVAM, des faits qui remonteraient sur la période 2015-2020, n’a pas été abordé lors de l’audience, le procureur n’en étant pas encore saisi.
Détournement de fonds publics et non respect des règles de l’attribution des marchés publics

L’audience s’est donc focalisée sur deux volets. D’une part, des soupçons de détournement de fonds publics liés à la gestion de biens municipaux en 2022, qui concerne la location d’un véhicule 4×4 entre février et mars 2022, d’autre part, des accusations de non-respect des règles de mise en concurrence dans l’attribution de marchés publics entre 2018 et 2022.
Au cours de l’audience, le procureur de la République, Guillaume Dupont, a présenté neuf marchés publics identifiés comme problématiques après enquête. Le premier marché de prévention de 2018, divisé en six lots pour le renforcement du réseau fluvial, d’un montant total de 1,7 million d’euros, a été particulièrement souligné. Selon le rapport, les formules de calcul et les notes attribuées auraient été modifiées, quatre lots posant problème et deux présentant des erreurs de calcul, entraînant une perte estimée à 269.313 euros pour la commune. Ces anomalies ont été interprétées comme un exemple flagrant de favoritisme et de violation des principes d’égalité et de transparence.
Le marché de réhabilitation de la mairie en 2020, pour 664.000 euros, et le marché de sécurisation et de rénovation des bâtiments communaux en 2018 ont été jugés irréguliers en raison de méthodes de notation incohérentes et de critères techniques mal appliqués.
Le marché de fourniture de structures métalliques en 2019 pour 279.350 euros et la livraison de collations pour les écoles en 2018 pour 1,7 million d’euros ont été signalés pour publicité insuffisante et concurrence restreinte. Un contrat de location de matériel de communication entre 2019 et 2020, pour 114.000 euros puis 90.000 euros, ainsi que plusieurs marchés de nettoyage des bâtiments municipaux et des écoles, d’abord reconduits tacitement depuis 2014 puis fractionnés en 2021 pour un total proche de 900.000 euros, ont aussi été pointés pour absence de mise en concurrence. Les conventions successives avec la société de formation SMFP, pour 29.000, 46.000, puis deux fois 63.000 euros, ont été relevées pour absence de publicité et fractionnement apparent d’un même marché.

Enfin, un marché de prestations de maîtrise d’œuvre a été confié au bureau d’études EIC pour 80.000 euros. Ce marché aurait dû respecter les règles de publicité et de mise en concurrence, ce qui n’a pas été le cas. Le gérant de la société EIC, ainsi que plusieurs autres gérants impliqués dans la location de matériel, le nettoyage et la formation, ont reconnu leur rôle dans le cadre d’une Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC). Après de nombreux échanges avec leurs avocats, ils ont accepté la qualification juridique de recel de favoritisme et la peine proposée. Ils ont reconnu que leur implication constituait un recel du délit de favoritisme, avec le maire Assani Saindou Bamcolo comme auteur principal. « Ça n’engage que eux, madame la présidente », a indiqué le maire de Koungou, interrogé à la barre.
Tout au long du procès, le maire a évoqué les difficultés de recruter des personnes compétentes au sein de la mairie de Koungou. « On reçoit des candidatures mais aussi beaucoup de désistements à cause des faits divers ». Des incompétences qui le pousse à signer la plupart des documents et attributions de marchés publics. « Ils n’assument pas leur responsabilité donc je le fais ». Ce n’est qu’en 2020 que ses DGS ont obtenu la délégation pour s’occuper de ces dossiers précise-t-il, et ce n’est qu’après un second rapport de la Chambre régionale des comptes de 2023, que la Ville met en place des mesures pour pallier les problèmes récurrents liés aux marchés publics.
« Que votre défense est pauvre à la barre »
« M. Bamcolo, que votre défense est pauvre à la barre. Je suis assez stupéfait de cette pauvreté dans vos déclarations alors qu’entre 2018 et 2024, 230 marchés publics ont été signés pour près de 60 millions d’euros », lance Guillaume Dupont, qui a rappelé qu’il ne baissera pas les bras face à la corruption. « Un élu de longue date doit savoir ce qui convient de faire en matière de marché public et s’il ne l’a pas fait c’est de manière intentionnelle ».
Le procureur s’est également appuyé sur le premier rapport de la Chambre régionale des comptes de 2018. « Ce rapport est accablant. Procédures peut respectueuses en matière de marché public comme l’absence de publicité et lorsqu’il y en a, les procédures elles sont ensuite modifiées. Le stock des procédures le concernant commence à prendre de l’épaisseur ».

Pour les soupçons de détournement de fonds publics. Cela concerne la location de 4 véhicules de « prestige » pour un montant de 8.444 euros début 2022. Pour le procureur, le maire disposant déjà d’un véhicule fourni par la collectivité, ces locations sont non nécessaires et injustifiées. La justification apportée par la défense et le maire, est qu’il s’agissait d’une location d’intérêt pour la commune puisque en période des pluies, avec de la boue, notamment sur le terrain de l’élu, ce véhicule lui permettait de se déplacer et travailler.
Avec ses observations, le procureur a requis 36 mois de prison, dont 18 mois avec sursis, assortis d’un mandat de dépôt différé au regard de la gravité des faits. Il a également demandé 2 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.
Absence d’éléments matériels et intentionnels, la défense demande la relaxe
Après les réquisitions, la défense, représentée par deux avocats, a insisté sur le fait qu’à aucun moment le maire n’était poursuivi pour corruption et qu’aucun élément du dossier ne démontre un enrichissement personnel ou un avantage indu. Elle a rappelé qu’en 2018, Assani Saindou Bamcolo, élu maire depuis 2012, était moins aguerri, notamment sur les marchés publics, et n’occupait pas les fonctions de Directeur général des services, chargé d’assister, d’alerter et d’organiser les marchés. Dans ce contexte, et compte tenu des spécificités de la commune de Koungou et des difficultés structurelles à Mayotte, les irrégularités relevées s’apparentaient souvent à des problèmes administratifs ou techniques et non à des décisions délibérées du maire.
La défense a souligné également qu’il n’avait pas personnellement choisi les procédures ni les critères d’attribution, et qu’il n’avait pas participé aux décisions de rejet des offres. Les marchés étudiés, tels que ceux concernant les cantines, le nettoyage des bâtiments ou les prestations ponctuelles notamment liées à la crise du Covid, ont été passés selon les besoins opérationnels, parfois sans appel d’offres, mais dans un cadre légal ou justifié par l’urgence. La défense a également contesté certaines analyses du procureur, estimant qu’elles reposaient sur des méthodes fictionnelles et ne permettaient pas de conclure que les offres retenues n’étaient pas économiquement avantageuses pour la commune.
Concernant les soupçons de détournement de fonds liés à la location de véhicules, la défense a précisé que ces locations répondaient à un intérêt professionnel de la commune pour faire face à des besoins ponctuels et que le maire n’en avait tiré aucun avantage personnel.

La défense a insisté sur l’absence d’éléments matériels et intentionnels permettant de caractériser un délit. La connaissance d’irrégularités administratives ne suffit pas à établir l’intentionnalité du délit, et la jurisprudence confirme que sans acte matériel ni volonté délictueuse, la relaxe est justifiée. Enfin, selon ses avocats, depuis les faits, Assani Saindou Bamcolo et la Ville ont mis en place des mesures correctives pour améliorer la gestion des marchés publics, démontrant sa bonne foi et sa volonté de remédier aux difficultés constatées. La défense a conclu en invoquant le principe de proportionnalité des peines, rappelant qu’une condamnation disproportionnée porterait atteinte aux fonctions d’un élu et au choix des électeurs.
Le délibéré est attendu le 16 décembre prochain.
Victor Diwisch


