À Mayotte, le cancer reste la deuxième cause de décès après les maladies cardiovasculaires. Selon le Plan Régional de Santé (PRS 2023‑2028) de l’ARS Mayotte et le Focus Cancers 2024, les tumeurs représentent 15 % des décès sur la période 2012‑2021, soit une moyenne d’environ 107 décès par an. La progression est préoccupante, avec une population touchée relativement jeune : sur la période 2019‑2021, 68 % des femmes décédées d’un cancer avaient moins de 65 ans, et 51 % des hommes.
Chez les femmes, les cancers les plus fréquents concernent le sein, le col de l’utérus, les organes digestifs et le poumon. Chez les hommes, ce sont principalement la prostate, le foie, le poumon, le sang et le pancréas.
Une filière cancérologie encore fragile

L’offre de soins dédiée au cancer à Mayotte reste très limitée. Le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) assure la chimiothérapie et dispose d’un service d’hospitalisation de jour, tandis que certains traitements médicamenteux peuvent être administrés à domicile. Pour les interventions spécialisées (chirurgie complexe, radiothérapie ou radiologie interventionnelle), les patients doivent encore être transférés vers La Réunion ou l’Hexagone.
Dans ce contexte, l’équipe mobile d’accompagnement aux soins palliatifs (EMASP) tente de soutenir les patients en phase avancée malgré des moyens parfois restreints. Par ailleurs, certaines interventions pour des cancers spécifiques restent en dessous des seuils minimaux recommandés : le cancer du col de l’utérus est estimé à 25 cas par an, et les cancers digestifs représentent près de 10 % des décès liés au cancer.
Dépistages : des campagnes encore insuffisantes

La prévention et le dépistage du cancer à Mayotte progressent lentement. Selon le Focus Cancers 2024 de l’ARS Mayotte, quatre femmes sur cinq âgées de 15 ans ou plus n’ont jamais réalisé de mammographie, exposant la population féminine à un risque accru pour le cancer du sein. Le dépistage du cancer du col de l’utérus est tout aussi préoccupant : trois femmes sur cinq n’ont jamais été testées, et seulement 20 à 23 % des femmes âgées de 25 à 44 ans ont réalisé un test l’année précédente.
Pour le cancer colorectal, la situation est encore plus critique, puisque 94 à 95 % de la population n’a jamais participé à un dépistage, en raison de contraintes logistiques et d’un faible accès aux coloscopies. La vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), déployée dans le cadre de campagnes scolaires depuis trois ans, est un progrès mais reste insuffisante. Si le Centre régional de coordination des dépistages des cancers (CRCDC), mis en place en 2021, commence à généraliser le dépistage du sein, des efforts considérables restent nécessaires pour développer le dépistage du col de l’utérus et du colorectal sur l’île.
Aussi, la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) a été progressivement déployée à Mayotte depuis 2022‑2023, avec notamment des campagnes de vaccination en milieu scolaire, mais la couverture reste insuffisamment documentée, et Santé publique France souligne l’absence de données suffisantes permettant d’estimer précisément la proportion de la population protégée.
L’intelligence artificielle et la pathologie numérique : une piste prometteuse

Dans d’autres territoires ultramarins, l’IA et la pathologie numérique sont déjà utilisées pour analyser à distance les lames de tissus, détecter rapidement les anomalies et prioriser les cas urgents. Ces outils combinent le scan haute résolution avec des algorithmes capables de détecter des tumeurs, segmenter les cellules et analyser des bio-marqueurs.
À Mayotte, leur introduction pourrait réduire les délais de diagnostic et pallier le manque de spécialistes. Mais plusieurs obstacles subsistent : infrastructures limitées, formation du personnel, et absence de retour d’expérience dans un contexte insulaire à faibles volumes de patients. L’efficacité réelle sur la précision des diagnostics et la réduction des délais reste donc à évaluer.
L’IA, un outil complémentaire mais pas un substitut
La coordination du parcours de soins à Mayotte, incluant les transferts sanitaires vers La Réunion et les dispositifs de soins de support (prise en charge de la douleur, suivi diététique, psychologique et social), impose que toute technologie soit intégrée dans un schéma global de filière. L’intelligence artificielle pourrait alors être un outil complémentaire, mais ne peut remplacer les besoins humains et organisationnels du territoire.
Mathilde Hangard


