Saint-Pierre bruisse d’impatience. Sous les barnums de la Ravine Blanche, les coureurs défilent, sac sur le dos, sourires crispés et regards fixés sur l’horizon. Il est à peine dix heures du matin, mercredi 15 octobre, et déjà la chaleur pèse sur les épaules des 7.183 participants venus retirer leur dossard. Le rituel est précis, presque solennel : pièce d’identité, convocation, vérification du matériel. Les bénévoles passent les sacs au peigne fin. Pas de frontale, pas de dossard. Pas de couverture de survie ? Retour à la file d’attente. Dans cette fourmilière disciplinée, le moindre oubli peut coûter des années de préparation.
L’un des ultra-trails les plus exigeants au monde

Car ce jeudi à 22 heures, lorsque les lampes frontales s’allumeront dans la nuit de Saint-Pierre, ce sera le grand départ de la 37ème édition du Grand Raid de La Réunion. Quatre jours de course, de montées, de descentes, de douleurs et de gloire.
À 10.500 mètres de dénivelé positif, la Diagonale des Fous reste la reine, l’épreuve mythique de 175 kilomètres qui traverse l’île du Sud au Nord, deux volcans, jusqu’au stade de La Redoute à Saint-Denis. Autour d’elle, quatre autres courses complètent le ballet, du Trail de Bourbon à la Mascareignes, en passant par le Zembrocal Trail en relais et le Métis Trail pour celles et ceux qui veulent goûter à la folie sans s’y perdre tout à fait.
Des athlètes Mahorais en course

Parmi les participants, une délégation mahoraise attire l’attention. Cinq coureurs se tiennent prêts pour les sentiers escarpés. Huit mois d’entraînement intensif, un investissement financier conséquent et le soutien d’entreprises locales et de la commune de Mamoudzou : l’équipe vient avec sérieux mais surtout avec un moral d’acier, prête à affronter le Trail de Bourbon et le Métis Trail.
« La journée de mercredi, c’était la journée de retrait des dossards et du matériel pour les coureurs chanceux retenus pour participer au Grand Raid », confie Attoumani Toibibou, sourire aux lèvres, déjà concentré vers la future ligne de départ aux côtés de ses coéquipiers.
« Mon objectif, c’est de terminer, sans me blesser et profiter »

À côté des coureurs aguerris, il y a Laurine, 35 ans, pour qui le Grand Raid est une première. Inscrite sur le Trail de Bourbon, 100 kilomètres et 6.120 mètres de dénivelé positif l’attendent, un vrai défi d’ultra-trail. Elle connaît déjà la fatigue des longues distances — des 50 et 60 km aux 100 km de Millau l’an dernier — et La Réunion pour y avoir traversé l’île à pied en trek. Mais deux nuits blanches sur les sentiers volcaniques, c’est une autre dimension.
« Je me prépare depuis avril 2024, explique-t-elle, d’une voix concentrée mais détendue. J’ai enchaîné les longues sorties, jusqu’au 100 km de Millau en octobre dernier. Mon objectif, c’est de terminer, sans me blesser, et profiter ».
L’inconnu des nuits blanches, l’épuisement, la solitude dans les crêtes, Laurine le sent venir. Pourtant, elle avance sereine. Pas de pression, juste l’envie de savourer chaque instant et de franchir la ligne entière, le sentiment du devoir accompli en tête. « C’est ma première course à La Réunion, je ne sais pas encore comment va se faire la gestion des nuits blanches, mais je veux vraiment profiter, même dans la fatigue ». Dans un univers encore largement masculin, elle fait partie des 20% de femmes engagées sur le Trail de Bourbon cette année. Sa présence à la ligne de départ est déjà un petit exploit.
Les sentiers blessés et la rage de courir

À la veille du départ, l’organisation s’affaire encore sur le front logistique. Pierre Maunier, président de l’association Grand Raid, le martèle : tout est prêt. Malgré les dégâts laissés par le cyclone Garance, survenu le 28 février dernier, qui a ravagé plusieurs portions de sentier, le parcours a pu être entièrement rétabli. La dernière descente entre le Colorado et La Redoute, endommagée, a été remplacée par le sentier de la Vigie, plus raide, plus sauvage, plus fidèle à l’esprit du Grand Raid. Rien n’est jamais simple ici.
La Diagonale des Fous rassemble 2.845 coureurs venus de 35 pays. Le plus jeune a vingt ans, les doyens soixante-dix-sept. Dans la foule, les accents se mêlent : créole, métropolitain, espagnol, japonais. Beaucoup sont venus pour simplement finir la course, d’autres pour se classer, quelques-uns pour gagner. Chez les femmes, Blandine L’Hirondel, double championne du monde de trail, sera aux côtés de Sarah Vieuille, Émilie Maroteaux et Amélie Huchet. Chez les hommes, Aurélien Dunand-Pallaz, vainqueur en 2023, Ludovic Pommeret et Baptiste Chassagne mènent la charge, tandis que Léo Rogaume, Matthis Leau et Fabrice Payet défendront les couleurs locales.
Le départ se fera dans la moiteur nocturne de Saint-Pierre. Les frontales s’allumeront une à une, comme des lucioles piquées sur la montagne. Les premiers coureurs devraient atteindre La Redoute vendredi soir vers 21h30. Les derniers auront jusqu’à dimanche 16h pour franchir la ligne, épuisés, ivres de fatigue et d’émotion. Attention… top départ !
Mathilde Hangard