Vendredi matin, la chambre régionale des comptes de La Réunion avait des allures de Conseil d’État miniature. Véronique Hamayon, procureure générale près la Cour des comptes, y faisait son premier déplacement en outre-mer depuis sa nomination le 11 octobre 2024. Le préfet de La Réunion, des parlementaires, des magistrats financiers et du Siège, ainsi que des élus locaux, étaient réunis dans la salle pour un événement où solennité rime avec vigilance.
« Je suis très sensible à votre présence, qui témoigne de l’intérêt et de l’estime que vous portez aux juridictions financières, à leurs membres et à leurs travaux », a déclaré la procureure en ouverture. Elle a salué l’engagement des chambres régionales de La Réunion et de Mayotte, particulièrement actives pour leurs tailles modestes.
L’État de droit face à la dette et à la défiance

Si l’audience se déroulait dans un cadre immuable et formel, le contexte national est bien plus instable. Entre la dette publique qui inquiète, la défiance des citoyens envers les institutions et l’instabilité gouvernementale récente, le rôle des juridictions financières n’a jamais été aussi crucial. Leur mission : garantir que chaque euro public dépensé le soit conformément à la loi et à l’intérêt général.
La procureure générale a rappelé l’objectif du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP), entré en vigueur le 1er janvier 2023 : « Ce n’est pas un régime destiné à devenir un contentieux de masse. Sur les 140 affaires actuellement en cours, le rythme futur n’excédera probablement pas 40 à 50 dossiers par an. C’est un contentieux de l’exemplarité », a-t-elle insisté.
Sanctionner pour faire réfléchir
Ce dispositif ne traite pas de grandes affaires de délinquance financière, mais concerne des gestionnaires publics, souvent pour des infractions non intentionnelles. Les amendes, en moyenne de 4.500 euros, ne réparent pas la caisse publique mais frappent les esprits : « Le simple fait de se retrouver face à la Cour est impressionnant et stigmatisant. Cela permet de faire prendre conscience aux gestionnaires de l’importance de respecter la réglementation et de prévenir les irrégularités », souligne la procureure générale. L’objectif : éduquer et prévenir, autant que sanctionner.
Deux chambres régionales petites mais redoutablement actives

Si La Réunion et Mayotte impressionnent, ce n’est pas seulement par leur présence sur le terrain, mais par le volume d’affaires qu’elles traitent pour leurs tailles. « Le taux d’affaires contentieuses ou pénales apportées par ces chambres est sensiblement supérieur à celui observé ailleurs », explique Véronique Hamayon.
Nicolas Péhau, président des chambres régionales des comptes de La Réunion et Mayotte, insiste sur la pédagogie et la coopération : « Depuis 2015, la loi prévoit que les collectivités doivent rendre compte des suites données à nos recommandations devant leur assemblée délibérante. Cela nourrit le débat démocratique ». Mais seule la moitié des collectivités à La Réunion et à Mayotte respectent cette obligation. « Pour Mayotte, on peut comprendre, le cyclone Chido a bouleversé les priorités. Pour La Réunion, en revanche, ce n’est pas normal. La chambre est là pour accompagner, pas seulement contrôler », précise-t-il.
Faire participer les citoyens, c’est élever le niveau d’exigence

La transparence ne se limite pas aux rapports internes. L’implication citoyenne est devenue un pilier du contrôle financier, mais elle ne peut fonctionner que si tous les acteurs de la chaîne sont correctement informés. Nicolas Péhau illustre ce principe à travers un rapport sur la prévention et la gestion des déchets, récemment publié. « Durant ce dossier, nous avons réalisé que les bailleurs ne communiquaient pas avec les associations, et que même les acteurs sur le terrain, jusqu’aux concierges d’immeubles, n’avaient pas toujours les informations nécessaires. Résultat : des manquements dans la prévention ».
Pour y remédier, la chambre a veillé à associer le plus grand nombre possible d’acteurs, des associations citoyennes aux responsables de terrain, afin que chacun puisse contribuer efficacement à la prévention. « C’est en impliquant ainsi tous les maillons que l’on peut faire progresser les choses. Et plus on embarque les citoyens, plus le niveau d’exigence augmente », insiste Nicolas Péhau. « Cela oblige à ce que nos travaux soient irréprochables et crédibilise notre action ».
Entre vigilance et accompagnement
Entre transparence financière, pédagogie et implication citoyenne, le message était clair : le contrôle des fonds publics est un pilier de la confiance démocratique, et à La Réunion et à Mayotte, les juridictions financières montrent qu’elles peuvent être vigilantes et accompagnatrices à la fois, dans un souci de transparence pour l’intérêt de tous. « La mission des juridictions financières est délicate : elles doivent être à la fois des tiers de confiance et des vigies contre les dérives », conclut Véronique Hamayon. « Cette confiance, nous n’avons pas le droit de la trahir ».
Mathilde Hangard