Dette, santé, Mayotte : comprendre la vraie crise que François Bayrou voulait affronter

Après la chute du gouvernement Bayrou et la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, le conflit entre désendettement et préservation des soins se pose avec acuité, notamment depuis le 101ème département français.

Depuis Raymond Barre en 1976, qui mettait en garde contre le fait que « la France vit au-dessus de ses moyens », les avertissements sur la dette publique française se succèdent. Le 25 août, François Bayrou déclarait lors d’une conférence de presse : « Notre pays est en danger parce que nous sommes au bord du surendettement ». Quelques semaines plus tard, le 8 septembre, devant les députés de l’Assemblée nationale et quelques heures avant sa destitution, il insistait : « L’addition des déficits annuels par milliards nous a conduits à une accumulation écrasante : 3 415 milliards d’euros de dettes à l’heure précise où nous parlons ».

Mais que représente réellement cette dette ? Est-elle inédite ? Et surtout, pourquoi le plan de Bayrou ciblait-il la santé pour alléger les finances publiques ? Avec la démission forcée du Gouvernement après 364 voix contre 194, et la nomination de Sébastien Lecornu le 9 septembre pour préparer le nouveau budget, le pays se trouve au croisement de la politique et des chiffres, avec des choix qui affecteront directement la vie des français d’Hexagone et d’Outre-mer.

La dette française : un héritage historique

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« On va y arriver », a affirmé Sébastien Lecornu, Premier ministre, le 10 septembre 2025, à propos de la dette publique française. Si elle reste élevée, elle demeure inférieure à celle de l’Italie (138 %) et de la Grèce (153 %) et bien loin des pics historiques, comme les 300 % du PIB enregistrés lors des deux guerres mondiales.

La dette publique française, aujourd’hui à 3 415 milliards d’euros, soit 114 % du PIB, est le résultat d’un déficit structurel persistant depuis cinquante ans : les dépenses publiques dépassent systématiquement les recettes. Chaque année, l’État doit emprunter pour combler la différence, rembourser les dettes arrivant à échéance et payer les intérêts, ce que l’on appelle la « charge de la dette », représentant environ 7 % du budget de l’État.

Historiquement, la France a utilisé différents outils : du long terme au XIXème siècle, des emprunts obligataires pendant les guerres mondiales, puis la dette « hors marché » dans l’après-Seconde Guerre mondiale, avant de passer à la doctrine néo-libérale actuelle, basée sur le financement sur les marchés internationaux. Aujourd’hui, la dette est détenue pour un quart par des Français, un quart par la Banque de France, un quart par des investisseurs européens et un quart par des investisseurs hors zone euro. Cette diversification limite les risques et reflète la confiance internationale dans la signature française.

Pour les historiennes Laure Quennouëlle-Corre et Clara Léonard, le problème n’est pas la dette en soi, mais la capacité à dégager des marges de manœuvre pour investir dans l’avenir. Si l’État consacre une part croissante de ses ressources au remboursement, il réduit sa capacité à financer la transition écologique, la modernisation des services publics et les innovations technologiques à venir.

Plan Bayrou : pourquoi la santé a-t-elle été ciblée ?

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Alors que la maternité de Mamoudzou est la plus importante de France en nombre de naissances, le Centre hospitalier de Mayotte, qui devrait compter entre 120 et 140 sages-femmes pour fonctionner correctement, n’en dispose plus que d’une quarantaine.

Face à la dette publique, François Bayrou avait tiré la sonnette d’alarme, évoquant un « pronostic vital engagé » pour les finances françaises. Son plan visait à ramener le déficit à 3 % du PIB d’ici 2029, en réalisant 43,8 milliards d’euros d’économies en 2026, dont 5,5 milliards sur la santé, faisant de ce secteur l’un des principaux leviers d’action.

Les mesures prévues touchaient à la fois patients et professionnels : doublement des franchises médicales, limitation des prises en charge des affections de longue durée (ALD), mutualisation des achats et réutilisation de dispositifs médicaux, ainsi qu’un contrôle renforcé des arrêts maladie. L’objectif affiché était de freiner la hausse des dépenses tout en préservant l’accès aux soins.

Ces initiatives ont suscité des critiques : syndicats et élus ont alerté sur un transfert des coûts vers les patients, la pression sur les hôpitaux et le manque de personnel. Plusieurs voix se sont élevées pour souligner les risques sociaux et sanitaires : Boris Vallaud (PS) pour l’hôpital public, Cyrielle Chatelain (EELV) sur l’installation des médecins, Stéphane Peu (GDR) sur l’endettement « vertueux », Mathilde Panot (LFI) sur les enfants et personnes vulnérables, et Paul Christophe (Horizons) sur l’autonomie des personnes âgées.

Quand les finances nationales résonnent à Mayotte

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Depuis plusieurs années, Mayotte dépend fortement de la réserve sanitaire, dont les professionnels se relaient presque quotidiennement pour pallier le manque d’effectifs et la saturation des services de l’hôpital.

Le parallèle avec Mayotte est frappant. L’île, encore en reconstruction après le cyclone Chido en décembre 2024, fait face à des besoins massifs : sa maternité est la plus grande de France, les services sont saturés, les sages-femmes en pénurie, et les renforts passent régulièrement par la réserve sanitaire. La loi de programmation pour la refondation de l’île, promulguée le 12 août 2025, prévoit des financements importants pour les infrastructures, la sécurité et la santé.

Selon la Cour des comptes (rapport d’octobre 2023), Mayotte dépend presque entièrement des transferts financiers de l’État pour assurer le fonctionnement de ses services publics. Chaque retard ou réduction de dépenses a donc un impact immédiat : matériel médical livré en retard, difficultés de recrutement, surcharge dans les services déjà tendus.

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À Mayotte, où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, l’accès limité à une alimentation saine aggrave les maladies chroniques.

Dominique Voynet, députée et ancienne directrice de l’ARS Mayotte, résume la situation : « Depuis des années, on traite la santé seulement sous l’angle des moyens, entre ceux qui veulent plus de postes et remboursements, et ceux qui veulent restreindre. Le Gouvernement, lui, choisissait la seconde voie : franchises plus élevées, restes à charge sur les médicaments, réduction du panier de soins – et à Mayotte, il faut rappeler qu’il n’y a même pas l’aide médicale d’État. Mais le vrai problème est ailleurs : l’absence de prévention et d’éducation. Sur l’île, l’obésité, l’hypertension, les grossesses à risque ou encore les AVC sont d’abord liés aux conditions de vie, aggravées par la pauvreté et le manque d’accès à une alimentation saine. Faire payer davantage les patients, ici, c’est aggraver un système déjà au bord de la rupture ».

Pour Nicolas Da Silva, maître de conférences en sciences économiques à l’Université Sorbonne Paris Nord, la progression des dépenses de santé s’explique par le vieillissement de la population, l’augmentation des patients en ALD, les conséquences de la pandémie, les hausses salariales liées au Ségur de la santé et l’inflation.

Mais au‑delà des chiffres, la question qui se pose est celle des choix collectifs : jusqu’où la société est‑elle prête à laisser l’État absorber la charge du financement des soins, pour protéger un système qui demeure l’un des piliers de son organisation sociale ? À Mayotte, où les services publics sont quasi intégralement tributaires des transferts nationaux, chaque arbitrage budgétaire se traduit instantanément dans la vie quotidienne des habitants. Plutôt que de considérer cette situation comme une simple contrainte financière, elle pourrait être l’occasion d’interroger le cap choisi : continuer à ajuster les dépenses sur les services essentiels, au risque de les affaiblir, ou envisager des mesures plus structurelles, qui feraient porter le poids sur d’autres segments de la société. Subtilement, c’est à ce carrefour que se joue l’équilibre entre rigueur budgétaire et protection des fondements mêmes du pacte social.

Mathilde Hangard

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