Justice : Après Chido, une bagarre termine à la barre

Dix jours après le passage du cyclone Chido, une rixe éclatait devant un commerce de Dembéni. Trois jeunes ont comparu mardi 9 septembre 2025 pour ces faits, entre regrets maladroits et sanctions fermes.

Le 14 décembre 2024, Chido ravage Mayotte. Routes coupées, commerces détruits, rationnements en eau et en carburant : l’île peine à se relever. Treize jours plus tard, le 27 décembre, ce climat de pénurie et de tension sert de décor à une scène de violence gratuite devant le commerce Marziki de Dembéni.

« Il faut rappeler que les faits se sont déroulés dans un moment particulier », insiste la présidente Alexandra Nicolay en ouvrant l’audience. La justice se replonge ainsi dans un contexte où la solidarité aurait dû primer, mais où l’alcool, la colère et la désorganisation ont pris le dessus.

Une bagarre qui vire à l’émeute

Mayotte, tribunal judiciaire de Mamoudzou, salle d'audience,
Onze dossiers devaient être jugés ce mardi.

Tout commence par une altercation entre un jeune, surnommé « Démarche », et un client du magasin. Sur les images de vidéosurveillance, on le voit brandir un morceau de bois clouté et frapper le client, qui sera arrêté avec dix jours d’incapacité. Le gérant tente de s’interposer, mais plusieurs jeunes se joignent à la mêlée. Un mineur sort un couteau, un autre distribue des coups.

« Scarabée » reconnaît avoir plongé dans la bagarre après quelques bières. Puis le troisième prévenu, présenté comme le chef de la bande de « MHB », saisit un jerrican de carburant et tente d’enflammer le véhicule du commerçant. « Heureusement que c’était du gasoil, si c’était de l’essence, cela aurait pris feu », souffle la présidente, résumant l’ampleur du danger.

« J’ai pas pu résister »

À la barre, les prévenus livrent un récit confus. L’excuse de l’alcool et l’effet de groupe dominent. « J’étais bourré, j’ai vu mes potes se battre, je n’ai pas pu me retenir », lâche « Scarabée », qui dit avoir acheté ses bières en faisant la manche. Le chef de la bande, lui, explique : « J’ai vu mon pote par terre, je n’ai pas pu résister, Madame ». La présidente le coupe : « Quand vous êtes énervé, vous jetez de l’essence ? ».

« Démarche » baisse la tête, le silence pesant trahissant son malaise. Finalement, d’une voix à peine audible, il lâche : « Je regrette… beaucoup. » Les regrets sont jugés bien maigres par le ministère public. Le parquet s’emporte : « Si on voulait ajouter du chaos au chaos, on ne s’y serait pas mieux pris. » Il dénonce une violence « absolument gratuite », d’autant plus inacceptable qu’elle s’est déchaînée sur une île encore meurtrie par Chido. L’influence de Guillaume Dupont, procureur de la République à Mayotte, se fait déjà sentir : le parquet insiste sur la fermeté, même face à des jeunes sans casier judiciaire.

Des peines fermes sous le signe de l’avertissement

Mayotte, tribunal judiciaire de Mamoudzou,
« …Nous avons mis en place le déferrement systématique d’un mineur, même lorsqu’il est était jusque-là, inconnu des services de police, de gendarmerie et de justice », déclarait Guillaume Dupont, procureur de la République, lors de l’installation dans ses fonctions le 3 septembre 2025.

« Scarabée » et le chef de la bande sont condamnés à seize et quatorze mois de prison, assortis d’un sursis probatoire, cent quatre-vingts heures de travail d’intérêt général, un suivi pour l’alcool, un stage de citoyenneté et l’interdiction de port d’armes pendant cinq ans. « Démarche », déjà impliqué dans une autre procédure, écope de dix-huit mois, dont un an ferme avec mandat de dépôt immédiat.

La présidente souligne que ces jeunes vivaient dans des bangas, avec très peu de ressources. L’un cherchait simplement à se nourrir, un autre dit avoir bu plusieurs heures dans la rue. Ces détails ne justifient en rien la violence, mais éclairent la frustration et la tension qui ont explosé ce jour-là devant le commerce.

Cette audience illustre la ligne de crête de la justice à Mayotte : fermeté face aux violences, tout en ménageant une marge pour reconstruire des parcours fragilisés, dans une île marquée par la précarité sociale.

Mathilde Hangard

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